Maria Chapdelaine

Par Anne Onyme

Louis Hémon
Bibliothèque québécoise
207 pages

Résumé:

Il aura suffi d'un court séjour dans un coin de pays récemment ouvert à la colonisation pour que Louis Hémon propose une nouvelle interprétation du drame du peuple canadien-français, « l'éternel malentendu entre deux races » : les nomades et les sédentaires. Le roman met en conflit deux tendances irréconciliables, celle qu'incarnent François Paradis, l'aventurier, et le père Chapdelaine, et celle dont la mère de Maria est la meilleure représentante, avec Eutrope Gagnon, son allié. Quant à Lorenzo Surprenant, sa positon d'exilé le disqualifiait aux yeux de l'héroïne, de même qu'une trop grande témérité a éliminé de la course amoureuse François Paradis.Pour qu'une race persiste et se maintienne, selon Hémon, il lui faut se fixer à demeure, prendre feu et lieu.

Mon commentaire:

J'aime Maria Chapdelaine. C'est une histoire triste, qui parle de résignation. C'est aussi le portrait un peu amer de la misère des colons canadiens-français, vers 1908 ou 1910. Les différents articles ou livres que j'ai pu lire autour de ce roman ne s'entendent pas sur les dates où se déroulent le roman.

Louis Hémon est un français qui a longtemps séjourné à Londres. Il part au Canada, pour vivre l'aventure et toucher du bout des doigts la vie comme elle est vécue par les paysans. Il loue une chambre chez un habitant qui travaille la terre. Il s'inspire de ce qu'il voit pour écrire Maria Chapdelaine, un roman qui parut d'abord en feuilleton, avant de devenir un classique de notre littérature.

J'ai lu Maria Chapdelaine à l'école, à la fin de l'adolescence. C'est un roman qui m'avait émue et marquée, mais je réalise aujourd'hui en le relisant que je n'avais pas été en mesure de le remettre en contexte et d'en comprendre toute la portée.

Maria Chapdelaine est fille de défricheur. Elle vit avec ses parents et ses frères et soeurs. Son père aime le bois et dès qu'il a défriché une parcelle de terre, il s'exile avec sa famille dans un coin encore plus reculé. Il aspire à une vie libre, même si ses choix le laissent, lui et sa famille, dans la grande misère. Le travail est incessant. La vie est rude et difficile. Maria est la fille aînée. Elle aide aux travaux, prend soin des plus petits. Elle est courtisée par trois jeunes hommes, qui viennent veiller le soir, à tour de rôle.

Eutrope Gagnon est un homme stable, qui travaille à sa terre et offre à Maria une vie similaire à celle qu'elle mène déjà, à deux pas de la cabane de ses parents. C'est une vie semblable à la sienne, une vie sans surprise, mais qui lui offrira tout ce qu'elle a déjà vécu jusqu'à maintenant. C'est la continuité. Elle poursuivrait la même vie que sa mère.

Lorenzo Surprenant s'est exilé aux États-Unis. C'est lors d'une soirée où il est au pays qu'il rencontre Maria. Il la fait rêver, avec ses évocations de grands magasins, de richesse, de travail plus facile et des commodités à portée de main. C'est le rêve américain. L'espoir d'une vie moins misérable. L'exil des canadiens-français aux États-Unis.

François Paradis est l'homme qui fait battre le coeur de Maria. C'est un homme de peu de mots, mais Maria l'aime. C'est un coureur des bois, un homme qui n'a pas récupéré la terre de son père pour pouvoir vivre ici et là, voyager, bûcher, faire les chantiers l'hiver. Il n'a pas grand chose à offrir, mais représente la liberté. Les grands espaces.  Il ne lui fait pas de promesse, à part celle de revenir des chantiers au printemps. Elle l'attend. Il ne reviendra malheureusement jamais...

Maria Chapdelaine est un roman qui débute sur le bonheur simple d'une famille de défricheurs. Les tâches sont rudes, mais elles font partie du quotidien. Tout le monde met la main à la pâte. Plus le temps avance, plus les malheurs et la misère s'acharnent sur les Chapdelaine. Le François si attendu et rêvé de Maria ne rentrera jamais. La mère de famille se meurt. La cabane est si loin de tout, qu'il est impossible de trouver un médecin compétent ou de se sortir de cet hiver glacial et froid qui les accable tous. Sur les ordres de Monsieur le Curé, Maria doit se remettre du départ de François, un jeune homme qui, pour tout le monde, ne lui était rien. Elle doit alors choisir. Et elle se résignera.

Maria Chapdelaine trace le portrait d'une époque de défricheurs, où la vie était difficile. Ce roman nous donne, aujourd'hui, une bonne idée de la façon dont on vivait à l'époque. La dualité fermier / coureur des bois est très présente dans l'histoire, chacun se sentant obligé d'expliquer sa manière de vivre à l'autre et de se faire comprendre. De nombreuses informations sur l'époque parsèment l'histoire: les coutumes, les modes, la façon de vivre, l'usualité des noms et des prénoms, le voisinage, les veillées, la façon de vivre les saisons et les éléments.

Les hommes travaillent la terre, les femmes s'occupent du quotidien. Les bûcherons côtoient les agriculteurs et les coureurs des bois. Les femmes rêvent à une vie moins miséreuse. La religion est omniprésente et mène tout. C'est aussi une façon pour les colons d'apprivoiser la mort, de comprendre ce qu'ils ne peuvent expliquer et de demander des faveurs. Maria qui fait mille prières dans sa journée pour le retour de son beau François en est un bon exemple.

Pour les colons, les saisons sont primordiales tant leurs vies en dépendent. Ils font les foins, font boucherie, prépare la maison à affronter l'hiver. Toute leur existence tourne autour de la survie quotidienne. Si on ne peut se débrouiller, on ne peut survivre. Même ceux qui sont habitués des bois ne survivent pas toujours... Le discours de Lorenzo à un moment du roman est un constat virulent et douloureux sur la misère journalière des colons.

On peut aussi percevoir la mentalité du peuple québécois et ses fondements, à travers les différents personnages. La religion qui étouffe tout désir de changement. L'idée d'un peuple né pour un petit pain. L'espoir n'existe pas. La vie n'est qu'une roue qui tourne et les aspirations à autre chose sont étouffées dans l'oeuf. Pourtant, malgré son pessimiste, c'est un roman extraordinaire, un riche témoignage de notre passé et une histoire d'amour triste où la dureté de la vie ne laissait pas de temps pour se plaindre ou se morfondre.

Maria Chapdelaine est devenu un classique de la littérature québécoise. C'est un roman souvent étudié en classe, qui illustre la capacité de survie de tout un peuple. C'est aussi un roman qui apporte, malgré sa tristesse et sa vision noire du travail de défricheur, une idée de l'aventure et du romantisme relié à la vie sauvage, dans les grands espaces du pays.

Cette édition de Maria Chapdelaine s'ouvre sur une préface de Bernard Clavel. Un hommage à la lecture, au Québec et à l'oeuvre de Louis Hémon. C'est un texte sensible sur la découverte d'une oeuvre qui marque et qui a chamboulé les lecteurs à travers le temps.

Maria Chapdelaine est une oeuvre indémodable, qui nous plonge dans le passé du Québec, un peuple de colons qui vivait avec ardeur et courage, dans un pays rude et sans pitié. L'histoire des Chapdelaine pourrait être l'histoire de n'importe lequel de nos ancêtres qui a fait de ce coin de pays ce qu'il est aujourd'hui. Un roman qu'il faut lire, touchant, émouvant et qui nous aide à aborder notre propre histoire, à travers ceux qui nous ont précédés.

À lire ou relire.

Quelques extraits:

"-Marche donc, Charles-Eugène!
Il s'était réveillé brusquement et étendit la main vers le fouet. Charles-Eugène reprit le trot, résigné. Plusieurs générations auparavant, un Chapdelaine avait nourri une longue querelle avec un voisin qui portait ces noms, et il les avait promptement donnés à un vieux cheval découragé et un peu boiteux qu'il avait, pour s'accorder la satisfaction de crier tous les jours, très fort, en passant devant la maison de son ennemi:
-Charles-Eugène, grand malavenant! Vilaine bête mal domptée! Marche donc, Charles-Eugène!
Depuis un siècle, la querelle était finie et oubliée, mais les Chapdelaine avaient toujours continué à appeler leur cheval Charles-Eugène." p.30

"Cela leur avait paru si merveilleux, dans leur étroit logement parisien, cette idée qu'au Canada ils passeraient presque toutes leurs journées dehors, dans l'air pur d'un pays neuf, près des grandes forêts. Ils n'avaient pas prévu les mouches noires, ni compris tout à fait ce que serait le froid de l'hiver, ni soupçonné les mille duretés d'une terre impitoyable." p.136

"Quand je remonte par icitte à chaque voyage, venant des États, et que je vois les petites maisons de planches perdues dans le pays, si loin les unes des autres et qui ont l'air d'avoir peur, et le bois qui commence et qui vous cerne de tous côtés... Batêche, je me sens tout découragé pour vous autres, moi qui n'y habite plus, et j'en suis à me demander comment ça se fait que tous les gens d'icitte ne sont pas partis voilà longtemps pour s'en aller dans les places moins dures, où on trouve tout ce qu'il faut pour faire une belle vie, et où on peut sortir l'hiver et aller se promener sans avoir peur de mourir..." p.140

"Autour de nous des étrangers sont venus [...] ils ont pris presque tout le pouvoir; il ont acquis presque tout l'argent; mais au pays de Québec rien n'a changé. Rien ne changera, parce que nous sommes un témoignage. De nous-mêmes et de nos destinées, nous n'avons compris clairement que ce devoir-là: persister... nous maintenir... Et nous nous sommes maintenus, peut-être afin que dans plusieurs siècles encore le monde se tourne vers nous et dise: Ces gens sont d'une race qui ne sait pas mourir..." p.194