Les 9 It Shoes de 2012

Publié le 10 décembre 2011 par Modissimo

Ou quand le dogmatisme modesque décide qu’il faut de nouvelles chaussures pour un bête changement numérologique.

La mine enfarinée, le cheveu gras, la bouche pâteuse et l’œil hagard, vous vous réveillez un lendemain de premier de l’an, dans votre robe de chambre en grenadine de soie à pompons, et réalisez que ce petit pas de l’immarcescible horloge franc-comtoise siégeant dans votre salon vous a propulsé dans une nouvelle ère. Chamboulement imprévu dans le calendrier qui éveille en vous une panique mécanique. Que mettre aux pieds en cette nouvelle année ?!
Vous n’avez jamais été assailli par ce genre d’inquiétude? Encore heureux.
Néanmoins, les créateurs ont leurs raisons que la raison ignore, et voici un aperçu non-exhaustif des futures folies qui se doivent d’exister – ou de continuer à perdurer – en cet an de grâce à venir.

Les Bottines

De gauche à droite, bottes Bronx, bottines lacées Zara, bottines Doucal's et bottes motardes Balmain

Toujours bon pied bon œil, elles sont encore là pour une année de plus. En 2012, les bottines prennent de la hauteur, à défaut de pouvoir croitre du talon comme pour la gent féminine, c’est la tige qui grimpe inexorablement le long de la cheville. Certains modèles ressemblent d’ailleurs plus à des bottes, et c’est là tout le charme aristocratique qu’elles confèrent à leur propriétaire.
Sinon pour l’allure générale, on reste sur les bonnes vieilles bases. Militaire lacée, motarde sanglée, ou de moumoute fourrée, comme chez Balmain. Avec tout de même une petite préférence pour la version lacée ou carrément cavalière Hermès, dans un esprit colonial-preppy, apportant un vent de fraicheur fashion du meilleur goût.

Quant aux couleurs, pas beaucoup de nouveautés, on reste dans les tons bruns, gris ou noirs. Il est à déplorer qu’on ne puisse pas trouver plus de modèles vraiment élégants, au cuir patiné… Problème des tendances naissantes (et puis c’est quand même assez dur à porter, avouons-le).

Les Chaussons

En haut, chaussons Trickers modèles Churchill, en bas, souliers Louboutin modèle Harvanana

Les petits chaussons proprets s’aventurent hors des salons feutrés et des épaisses moquettes pour se frotter au dur bitume crasseux des trottoirs (parisiens pour l’essentiel).
C’est une nouveauté, augurée de longue date. Initialement destinés à chausser les rupins panards des dandys dans la douce quiétude du logis, ces chaussons améliorés avaient déjà tout d’une vraie chaussure. Généralement brodés d’initiales rutilantes et habillés de velours sombre, ils ont un chic indiscutable, devrait-on dire à la limite du too much.
Mais le much n’est jamais too en matière de tendance pointue, et pour peu que votre environnement quotidien s’y prête, on dit pourquoi pas. D’ailleurs tant qu’à faire, optez pour la version louboutinesque avec rivets acérés et tartan douteux, malgré le « CL » un peu ridicule, ça a le mérite d’être vraiment original.
Un dernier détail, ce sont des CHAUSSONS ; la jungle urbaine ne leur est certes pas trop hostile, mais s’il vous arrivait de commettre l’ineffable folie de les porter alors qu’il pleut, autant donner son argent au fondateur de Wikipédia.

Mais, me susurre-t-on à l’oreille, jamais auparavant n’avait-on vu pareilles chaussures de maison ?
C’est vrai, comme dit précédemment, ce sont des chaussons d’élégants, le comble du raffinement. Du coup, ils ne courent pas les rues, ou plutôt les chambres… Il faut dire qu’être bien chaussé jusqu’au pied du lit a un prix. Plus de 200 euros, si on veut les vrais modèles Tricker’s au style tout britannique. Leurs propriétaires en sont si fiers que ce sont eux les premiers à avoir voulu les porter sur le pavé.
Parenthèse historique: Tricker’s est connu pour être l’un des plus anciens chausseurs encore présents aujourd’hui dans le royaume de sa majesté. Cette dernière a même décerné un brevet royal à l’auguste maison, distinction suprême. Depuis 1829, cette marque symbolise le fief de Northampton dans toute sa splendeur.

Les Bicolores

De gauche à droite, bottines en daim et cuir Crockett & Jones modèle Somerville, chaussures tricolores Gucci, derbies Asos Made in England

Les chaussures bicolores c’est très 2011 me direz-vous. Eh bien non, puisque cette schizophrénie pigmentaire permet justement un renouvellement de la tendance, avec de nouvelles associations inédites. Observez plutôt, ce magnifique violet épiscopal épousant à merveille ce noir (… noir).
Déclinable à l’infini, un tel crescendo de couleurs ne nous garantit pas que 2013 soit exempte de derbies fuchsia et or. D’autant plus que le tricolore continue de se répandre dans la même veine, avec Prada et Gucci pour thuriféraires. L’avantage de ce genre d’excentricité, c’est que ça reste chic en toute circonstance, avec un léger côté décalé.
Petit plus, comme en témoigne le modèle Asos ci-dessus, la semelle assortie au camaïeu du revêtement, c’est top.

Les Sneakers

De gauche à droite, sneakers Dior Homme en daim et cuir, sneakers Louboutin modèle No Limit

« La sneaker désigne une chaussure de sport détournée à un usage citadin. En effet, la plupart de ces chaussures de sport ne fouleront jamais un terrain. » (Wikipédia)
Ah on en a soupé des sneakers, mais pas assez visiblement. Il est vrai, c’est confortable, mais cet argument ressorti en permanence, comme une excuse, par les aficionados ne prouve rien. On ne porte pas des chaussures à 500 euros pour être ‘’confortable’’. Achetez des Kalenji.
Non, la sneaker a un style et une identité propre. L’homme porte des sneakers pour être reconnu. Un doux breuvage paradoxal mi-hipster, mi-luxe assumé, qui continue donc de plus belle cette année.
Pour 2012, on a le choix entre épure faussement monacale (Dior) et delirium tremens hallucinatoire. Pas de grosses innovations, les codes restent finalement assez similaires aux précédents. On pourra juste noter que le grand-guignolesque continue son ascension vers les sphères invisibles de l’absurde. (Louboutin, Lanvin)
Façon de dire que c’est fantastique de faire des modèles esthétiquement beaux, mais leur portabilité reste-t-elle dans le domaine du possible ?

Les Vernies

De gauche à droite, chaussures de soirée Lanvin, bottines et derbies anglaises Zara.

Jusque-là, les chaussures vernies s’étaient cloisonnées à usage assez confidentiel en matière de mode masculine. Pour certains cocktails guindés et quelques illuminés du soulier, et puis c’est tout. Mais elles ont fait leur grande arrivée dans le vestiaire fashion, et 2012 devrait être leur année de consécration.
Lanvin propose de superbes modèles d’escarpins, au même titre que Jimmy Choo qui fait également des derbies, Zara part plutôt sur la chaussure anglaise ou même les bottines, à l’instar de Burberry. Bref, vous l’aurez compris, le vernis de 2012 est mangé à toutes les sauces et peut être du plus bel effet s’il est correctement porté. Attention tout de même à l’éventuel mauvais genre qu’il pourrait vous infliger dans un égard stylistique : bouts pointus interdits.

Préoccupation d’apparence futile, mais pourtant capitale : l’homme moderne, n’ayant plus à faire aux chaussures vernies depuis le XIXème siècle, se retrouve coi devant la délicate créature quand vient l’heure d’en prendre soin.
Les vraies patent leather shoes, comme les nomment nos voisins d’outre-Atlantique, sont faites entièrement en cuir, puis enduites d’une laque à base d’huile de lin. Mais aujourd’hui beaucoup de modèles sont composés en réalité d’un cuir recouvert d’une habile couche de plastique. En ce cas, le seul entretien valable reste le nettoyage avec un linge humide et de l’eau savonneuse (et un marqueur indélébile noir éventuellement…).
Si vous êtes l’heureux propriétaire de véritables chaussures en cuir verni, alors vous pouvez entretenir la laque à l’aide de produits à base de lanoline, puis la faire briller avec un tissu légèrement imbibé de vinaigre blanc ( et en aucun cas avec un quelconque cirage !) .

Et puis, information de dernière minute, en ce 6 décembre 2011, le Grand Palais a été une nouvelle fois l’écrin du traditionnel défilé d’Hiver Chanel. Avec pour thème cette année Paris-Bombay, le Kaiser se rallie à la cause des chaussures vernies, en témoigne son toyboy favori arborant de beaux souliers brillants dans un imposant costume de Maharadja du XXIème siècle.

Les Creepers

De gauche à droite, creepers Burberry Prorsum, creepers tricolores Prada

Les creepers ont déjà occupé le devant de la scène l’année dernière, mais principalement en mode féminine.
Chaussures anglo-saxonnes « new age » incarnant l’ère rockabilly des 50’s par excellence. Elles sont une invention de George Cox, commercialisées initialement sous la marque Hamilton.
Elles font aujourd’hui leur grand retour chez l’homme, réinventées par Calvin Klein, Prada, Costume National, Dr. Martens, ou encore Burberry Prorsum, avec les caractéristiques semelles épaisses en crêpe, en corde, ou en liège. C’est la célèbre marque milanaise qui la première a relancé cette incongruité sur le marché en 2010. La connotation punk anarchiste a disparu, mais les brothel creepers restent des chaussures qui servent à se faire remarquer, quoique plus à un vernissage chez Colette qu’à un concert en plein air dans la boueuse campagne anglaise.
Les creepers existent en trois épaisseurs de semelles, respectivement appelées simple, double et triple sole. Ces dernières, les plus épaisses, mesurent approximativement 5 cm, c’est beaucoup. Les matériaux utilisés ‘’traditionnellement’’ sont le cuir et la peau de daim, mais comme vous avez pu peut-être le constater, le panel s’est élargi.
Les creepers sont pratiques pour les gens de petite taille, mais elles ne pourront jamais être d’un usage quotidien, et on les réserve pour les journées shopping, ou les soirées toquées. Il est conseillé de les assortir d’un pantalon droit et étroit, et vu leur aspect massif, mieux vaut être fin pour les porter harmonieusement.

Les Loafers

De gauche à droite, loafers vernies Prada, loafers Tod's.

Les loafers à franges existent depuis toujours (1930 pour être précis), elles ont même un nom bien précis, inconnu de tous, les Kiltie Tassel Loafers. Bien que connotant une symbolique apache pour nos étroits esprits Disney, ces chaussures de monsieur nous viennent tout droit des confins glacés de la Norvège. Ces félons d’amerloques s’en sont aussitôt emparés pour aller faire du bateau dans les Hamptons. D’où leur autre sobriquet estival de Sleepers. Mais attention, ces souliers sont multi-usages, puisqu’ils conviennent aussi bien aux douceurs du farniente que pour les rodomontades affairistes et citadines.
Cette tendance redémarra dès 2009 chez nos consœurs. Surfant sur le style preppy à la peau dure, on réinvente aujourd’hui le port de ces chaussures archi-classiques en faisant péter les couleurs et les jeux de matières… On vous l’accorde, la combinaison cuir verni bleu fiente de pigeon + la balayette à chiottes jaune pisse + le gazon artificiel, n’est pas du goût de tout le monde, mais ça a le mérite d’être explicite.
Dr. Martens fait actuellement des modèles de loafers très réussis, comme la majeure partie de leur nouvelle collection, preuve qu’une marque en friche peut renaitre de ses cendres en une saison.

Les Brogues

De gauche à droite, brogues Forzieri Two-tone Wingtip, Trickers x Superdenim et Mark McNairy modèle New Amsterdam

Rurales chaussures d’Outre-Manche, à l’origine conçues pour protéger les délicats petons britanniques des vicissitudes vaseuses de leur triste pays, les brogues de 2012 se sont gentrifiées et font une entrée en grande pompe dans les salons d’affaires et autres colloques costumés. Elles sont caractéristiques à leurs grosses semelles orangées ou marrons cousues dans un épais goodyear, et aux lisérés anglais qui ornent souvent leur cuirs et fleurissent leurs embouts.
Beaucoup de versions plus librement inspirées existent également, Mark McNairy sait très bien y faire chez Asos, avec des revêtements en daim bleu (une espèce très rare) et des semelles flamboyantes.

Les Montagnardes

De gauche à droite, bottines Dr. Martens modèle Langston et bottines Burberry

La néo-montagnarde fait des émules parmi les gens qui n’ont jamais vu une montagne. C’est d’ailleurs heureux qu’ils ne destinent pas ces bijoux à des ardeurs alpinistes qui risqueraient d’endommager les cuirs chatoyants de ces nouveau-nés. Dr. Martens s’est risqué à l’exercice avec brio, tout comme Burberry, et on en oublierait presque la roture de leurs semelles.
Délicate alchimie qui vient rejoindre ce courant des gros godillots hautement juchés. On les choisit très crantées sous la voute plantaire pour montrer avec évidence que se sont bien de fausses chaussures de montagne.

On pourrait s’épancher sur une foultitude d’autres choses, mais on va dire que ça suffit. Le coup de l’horloge franc-comtoise ne sera pas pour vous cette année.

~ Post scriptum ~

Évitez vraiment les loafers Prada susnommées, elles sont pas belles.
Et puis ne faites pas de folies, car vous savez qu’il faudra tout jeter à la poubelle
l’année prochaine ! LOL