Bilan de la coupe du monde de rugby 2011 II: De l'arbitrage

Publié le 11 décembre 2011 par Manuelmarches
  Ce n'est pas de l'arbitrage de la finale que je veux parler d'abord, ni même de celui de cette coupe du monde. Je ne manquerai pas de le faire mais je veux camper un contexte de réfléxion, pour éviter si possible de tomber dans la polémique. Arbitrage de la finale qui, d'ailleurs, déjà anecdotique, va peut-être enfin pouvoir être évalué sans passion exagérée d'ici peu, et c'est que je tenterai de faire. Non, aujourd'hui, c'est de l'arbitrage du rugby en général que je veux parler.
      L'arbitrage de rugby est un cas particulier dans les sports collectifs. Je pense pouvoir affirmer que c'est le sport ou le rôle de l'homme au sifflet est le plus important.
  Quantitativement d'abord, le nombre de décisions est imposant. Par rapport au foot, le sifflet retentit 3 ou 4 fois plus. Cela a été longtemps le principal reproche fait au rugby par les amoureux du ballon rond, le nombre et la longueur des arrêts de jeu.

Steve Walsh

Et quand certains sports s'approchent au nombre d'interventions comme le basket, ou le hand-ball, c'est qualitativement que le rugby se démarque encore. Les décisions de l'arbitre y sont beaucoup plus conditionnées par l'interprétation que dans les autres sports collectifs. Il existe dans les règles de ce sport des régions immenses par le nombre de décisions à prendre dans un match et par les possibilités de choix , qui sont soumises à l'interprétation de l'arbitre. Je peux citer tout ce qui concerne les mêlées fermées, les zones de placage et zones dites de "ruck" ou les "passages à vide.  Déjà, ces règles ne sont pas toujours connues par les acteurs du monde du rugby et autres aficionados. Elles ont été beaucoup réformées depuis 15 ans à la recherche d'un équilibre fragile entre l'attaque et les défenses, et souvent certains joueurs de haut niveau même peuvent monter des faiblesses sur la connaissance stricte du texte.(Alors les supporters... ) On a vu par exemple , il y a quelques temps , le talonneur de Biarritz Benoist August faire en toute légalité le tour du regroupement pour aplatir l'essai dans les pieds du demi-de mêlée adverse sans réaction autre que la stupéfaction , mais qui depuis a sûrement appris qu'il n'y a pas de ligne de hors-jeu lorsque le ballon est dans l'en-but. August le savait, il était le seul avec l'arbitre.
 Ensuite, ces règles , une fois apprises à la lettre ne donnent pas beaucoup de solutions évidentes derrière lesquelles se retrancher. Lorsque la mêlée s'écroule, il faut bien assumer sa décision et le plus souvent, la règle est d'un secours limité. Sur une zone de placage/scène de crime, la police scientifique serait parfois bienvenue tant le nombre de fautes contradictoires et simultanées empêche toute décision simple et univoque.

Derek Bevan

    C'est donc là, que le rôle de l'arbitre prend toute sa spécificité dans le rugby. L'arbitre doit trancher, entre des fautes de part et d'autre ou en l'absence du secours d'une règle claire. Et il faut le dire, il le font le plus souvent avec succès, plaisir, tact et parfois même humour.
  Ils font de bons et de mauvais matchs comme les joueurs , certains sont meilleurs que d'autres mais le rugby a besoin d'eux pour exister plus encore que d'autres sports.
   Et c'est selon moi ce qui explique en priorité l'exception rugbystique. On parle souvent du respect de l'arbitre qui y serait plus flagrant que dans d'autres sports et il est vrai qu'on ne voit pas les joueurs se rebeller et hurler leur mécontentement à sa figure en le forçant comme au football notamment à un footing à reculons pour dégainer un carton.
  Cette particularité ne vient pas de l'éducation, ou de la nature des hommes en présence. Les hommes sont les mêmes, ni meilleurs,  ni pire et aucune différence sociale ou d'éducation n'a d'influence sur les comportements. L'envie de gagner et l'enjeu sportif et aujourd'hui financier ont le même effet sur les petits gars qui s'engagent dans la voie du rugby professionnel. Un mauvais effet!

Waynes Barnes

   Mais c'est bien le sport qui contient en lui-même de quoi contrer ces effets négatifs. Et c'est le sentiment collectif de la nécessité de laisser l'arbitre exercer son autorité sans laquelle aucun jeu , aucun plaisir n'est possible, qui régule les réactions de dépit des joueurs sanctionnés. Plus moins efficacement selon les personnalités, mais la cohésion de l'équipe aplanit les différences. On voit régulièrement un co-équipier épauler préventivement son collègue qu'il sait impulsif au moment d'une décision désagréable. On a aussi tous assisté amusé, grâce aux micros des arbitres, au sermon paternaliste d'un gringalet dégarni à un athlète penaud lui pesant 50 kg de plus que lui. Certains font d'ailleurs preuve de beaucoup d'esprit à ces occasions.
 
   Et c'est là qu'on approche les sujets qui fâchent.  L'équilibre recherché par les législateurs est aussi la recherche du corps arbitral à l'instar de la jurisprudence complétant la loi en l'interprétant. À chaque coupe du monde, une commission d'arbitrage se réunit en amont et essaie de dégager du contexte récent des priorités afin d'améliorer le spectacle offert et je l'espère, l'équité sportive. Ces compétitions sont à l'origine d'évolution de l'arbitrage.

Alain Rolland

  Cette évolution existe dans le temps bien sûr, mais aussi dans l'espace et c'est plus problématique. Je m'explique. La répartition géographique de ce sport entraîne une répartition par hémisphère avec des différences marqués entre le nord et le sud. Au plan sportif existe une domination du Sud, mais les différences sont également économiques, de calendrier et vont jusqu'à affecter les règles écrites puisqu'il est arrivé récemment avant 2007 et la coupe du monde en France, que les deux compétitions majeures de chaque hémisphères utilisent des règles sensiblement différentes ( il s'agissait notamment de la règle qui donnait un coup-franc à la place d'une pénalité dans le sud pour accélerer le jeu en suscitant les relances, ou du placement de la ligne d'attaque sur les mêlées). L'arbitrage aussi connait cette dichotomie. Travaillant ensembles, arbitres du nord et arbitres du sud élaborent deux façons d'arbitrer plus ou moins contrastée selon les périodes.  Et il suffira qu'ils donnent des réponses différentes sur les zones signalées ci-dessus comme très "interprétables", et l'écart entre les deux "arbitrages" grandira.
      C'est ce qui s'est passé lors de cette coupe du monde organisé à la Mecque du rugby, dans l'hémisphère sud avec la commission des arbitres dirigée par Paddy O'Brien, arbitre réputé, qui a conduit Craig Joubert à arbitrer la finale.

Paddy O'Brien

    En 2007, l'irruption des argentins au plus haut niveau et de leur jeu destructeur à base de courage et d'agressivité pour ralentir les sorties de balle adverse avait donné lieu à une réunion spécifique de la commission des arbitres qui avait décidé à juste titre de ne pas changer ses choix en cours de compétition au nom de l'équité mais avec le résultat que l'on sait au niveau du spectacle notamment.
       Ceci étant posé, je parlerai de l'arbitrage de Craig Joubert ce dernier 23 Octobre notamment la prochaine fois.
   À SUIVRE...