Le gouvernement mondial et la faillite des démocraties

Publié le 15 décembre 2011 par Copeau @Contrepoints

Une interview de Hans Hermann Hoppe réalisée par Anthony Wile pour The Daily Bell, publiée le 27 mars 2011.

Traduction et synthèse : Arthur Gautier, Institut Coppet.

Daily Bell (DB) : Pourquoi la démocratie est-elle, pour reprendre le titre de votre ouvrage le plus célèbre, un « Dieu qui a échoué »[1] ?

Dr. Hans-Hermann Hoppe (HHH) : La monarchie absolue fut l’archétype traditionnel, pré-moderne de l’Etat. Le mouvement démocratique s’est avant tout dressé contre le pouvoir héréditaire des rois et de la noblesse, critiqué pour son incompatibilité foncière avec « l’égalité de tous devant la loi ». Le régime monarchique reposait en effet sur des privilèges synonymes d’injustice et d’exploitation. La démocratie était supposée en finir avec tout ceci. Par la participation des citoyens et la possibilité pour tous d’accéder au pouvoir via les urnes, celle-ci était censée réaliser l’égalité de tous devant la loi et faire advenir le règne de la liberté. Or, ce fut là une grossière méprise !

Certes, en régime démocratique, tout un chacun peut en théorie devenir le chef de l’Etat, et non plus un cercle de privilégiés par la naissance. Ainsi, il n’existe pas de privilèges personnels en démocratie. Cela dit, il y a bel et bien des privilèges fonctionnels. Le « droit public » s’applique aux élus et hauts fonctionnaires et les protège, leur offrant de fait une position privilégiée par rapport à tous ceux qui sont simplement gouvernés par le « droit privé ». Les fonctionnaires ont ainsi le droit de financer leurs propres activités par le biais de l’impôt. En clair, il leur est permis de vivre en toute légalité de ce qui est considéré, dans le droit privé entre sujets privés, comme du vol pur et simple. Il est donc bien évident que les privilèges et la discrimination devant la loi – ainsi que la distinction entre souverains et sujets – n’ont pas disparu avec la démocratie.

Pire encore. En régime monarchique, il y a une claire distinction entre gouverneurs et gouvernés. Je sais par exemple que je ne deviendrai jamais roi ; sachant cela, je vais avoir tendance à m’opposer aux hausses d’impôts ordonnées par le roi. En démocratie, cette distinction entre gouverneurs et gouvernés devient nébuleuse. On peut céder à l’illusion du « gouvernement du peuple par le peuple » ; résister à une augmentation de la pression fiscale devient d’autant moins probable. Pourquoi ? Parce que je peux espérer me retrouver du bon côté de l’impôt, en étant un bénéficiaire plutôt qu’un contribuable ! Je verrai donc l’impôt d’un œil bien plus favorable.

Dernier point. Bénéficiant d’un monopole héréditaire, un roi aura tendance à considérer le territoire et le peuple sous son règne comme sa propriété propre, et donc à s’en occuper et à l’exploiter comme tel. En démocratie, l’exploitation monopolistique ne disparaît pas. Au contraire, voici ce qui se passe : en lieu et place d’un roi et d’une noblesse qui font du pays leur propriété privée, un gérant temporaire et interchangeable administre le pays de manière monopolistique. Ce « gardien » ne possède pas le pays, mais tout au long de son mandat, il a le droit de l’utiliser à son avantage et à celui de ses protégés. Il en a l’usufruit mais pas la nue propriété, en somme. Cela n’élimine en rien l’exploitation qui était celle des monarques. Pire, l’exploitation du pays par le gérant démocratiquement élu est moins consciencieuse, moins rationnelle qu’en régime monarchique, car le chef de l’Etat n’a aucune incitation à entretenir le capital du pays. Il l’exploite à court terme, et donc à courte vue, consommant le capital du pays au lieu de le préserver et de le faire fructifier.

DB : Si la démocratie est un échec, quel régime lui substituer ? Quel est votre idéal de société ? L’anarcho-capitalisme ?

HHH : Je préfère parler de « société de droit privé » (private law society). Dans une telle société, chaque individu et chaque institution obéissent au même ensemble de lois. Il n’y a pas de droit public qui privilégie certaines personnes ou certains statuts au détriment des autres. Il n’y a que le droit privé et la propriété privée qui règnent, également applicables à tout le monde. Personne n’a le droit d’acquérir un bien autrement que par son appropriation initiale (s’il n’appartient réellement à personne), sa production effective, ou par le biais d’un échange volontaire. Personne n’a le droit de taxer ou d’exproprier qui que ce soit. De plus, chacun est libre d’utiliser ses possessions comme il l’entend, de produire ce qu’il souhaite et de concurrencer qui il veut.

DB : Qui assurerait la loi et l’ordre dans une société de ce type ? Comment fonctionnerait la justice, idéalement ?

HHH : Dans une société de droit privé, la production de la loi et de l’ordre – de la sécurité, donc – serait assurée par le même mécanisme que pour n’importe quel autre bien et service, à savoir un système de marché libre où des sociétés de sécurité entreraient en compétition pour gagner les faveurs d’une clientèle consentante. Pour comprendre comment un tel système fonctionnerait, il suffit de comparer avec l’actuel système étatique que nous connaissons bien. Si l’on devait résumer en un seul mot la différence fondamentale – et l’avantage majeur – d’un marché concurrentiel de la sécurité, ce serait celui-ci : contrat.

L’Etat agit dans un véritable vide juridique. Il n’y a aucun contrat réel entre l’Etat et ses citoyens. Ce qui doit être protégé n’est absolument pas défini contractuellement. Rien n’est formalisé à propos du service promis par l’Etat à ses citoyens, rien ne dit ce qui adviendra en cas d’échec dans la fourniture de ce service, rien ne précise le prix que les « consommateurs » d’un tel « service » devront payer. Bien au contraire, c’est l’Etat qui fixe arbitrairement les règles du jeu et qui s’arroge le droit de les modifier en cours de partie, en légiférant. Vous comprenez bien qu’un tel comportement serait inacceptable de la part d’un prestataire privé. Imaginez une seconde une entreprise de sécurité (de police, d’assurance ou d’arbitrage) qui vous propose le deal suivant : « Je ne vais rien vous garantir contractuellement. Je ne vous dirai pas ce que je m’engage à faire si, d’après vous, je ne remplis pas mes obligations. Dans tous les cas, je choisirai seul le prix que vous devrez payer pour obtenir ce service indéfini. » Un tel prestataire serait immédiatement éliminé de n’importe quel marché concurrentiel : il n’y aurait aucun client pour ce genre d’offres.

Chaque prestataire de sécurité privé devra, au contraire, offrir à ses clients potentiels un contrat. Afin de paraître acceptable à des acheteurs libres et consentants, ce contrat définira très clairement le bien ou service offert ainsi que les obligations mutuelles des parties. Pendant la durée du contrat ou jusqu’à exécution, les parties seront liées par ses termes ; tout changement de termes ou de conditions requerra bien sûr le consentement unanime de toutes les parties concernées.

En particulier, pour paraître acceptable aux acheteurs de sécurité, ces contrats doivent préciser très clairement les recours des parties en cas de litige ou de conflits entre le fournisseur de sécurité et son client, ou entre différents fournisseurs et leurs clients respectifs. Il n’existe à cet égard qu’une solution mutuellement admissible : accepter l’arbitrage d’un tiers de confiance, mais indépendant. Et bien entendu, ce tiers est lui aussi choisi librement parmi un marché concurrentiel d’agences d’arbitrage. Ses clients attendent de ce tiers qu’il rende un verdict tenu pour juste par l’ensemble des parties. Seuls les arbitres qui satisferont à ce critère auront du succès. Les arbitres incompétents ou impartiaux seront de fait écartés du marché concurrentiel.

DB : Donc, vous réfutez le fait que nous ayons besoin de l’Etat pour nous défendre ?

HHH : Absolument. L’Etat ne nous défend pas, c’est même tout le contraire ; l’Etat nous agresse et utilise ce qu’il nous a confisqué par l’impôt pour se défendre lui-même. On peut définir l’Etat standard comme une agence ayant deux propriétés particulières et liées entre elles. D’une part, l’Etat exerce un monopole localisé de décision en dernier ressort. Cela signifie que l’Etat a le dernier mot dans chaque conflit qui survient sur le territoire qu’il contrôle, y compris les conflits dans lesquels lui-même et ses agents sont impliqués. On ne peut pas faire appel lorsque l’Etat décide en dernier ressort. D’autre part, l’Etat détient le monopole de la taxation sur un territoire donné. L’Etat est une organisation qui fixe de manière unilatérale le prix que doivent payer ses sujets pour les services de décideur en dernier ressort qu’il leur fournit. On peut facilement prévoir les conséquences d’un tel montage institutionnel. Premièrement, au lieu de régler les conflits, l’Etat-monopole de la décision en dernier ressort va causer et provoquer des conflits à son propre avantage. L’Etat ne protège pas la loi mais la pervertit par l’inflation législative. Contradiction numéro un : l’Etat est un protecteur de la loi qui enfreint la loi. Deuxièmement, au lieu de défendre ou protéger qui que ce soit, l’organisation qui détient le monopole de la taxation va inévitablement chercher à maximiser ses dépenses de protection tout en minimisant la production effective de protection. L’Etat se porte d’autant mieux qu’il dépense plus d’argent avec moins d’efforts. Contradiction numéro deux : l’Etat confisque les biens d’autrui qu’il est censé protéger.

DB : Pensez-vous qu’il existe de bonnes lois, de bonnes règlementations ?

HHH : Oui. Il y a un petit nombre de lois simples que tout le monde ou presque reconnaît intuitivement comme telles, et dont on peut facilement démontrer qu’elles sont « vraies » et « bonnes ». J’en citerai trois. Premièrement, s’il n’y avait aucun conflit interpersonnel et que nous vivions tous dans l’harmonie la plus parfaite, les lois et les normes seraient inutiles. La raison d’être des lois et des normes est d’empêcher, tant que possible, que des conflits éclatent entre les hommes. Seules peuvent êtres déclarées bonnes les lois qui y parviennent. Toute loi qui génère des conflits au lieu d’aider à les prévenir est une loi mauvaise, ratée ou pervertie.

Deuxièmement, les conflits surviennent uniquement quand ils portent sur des biens rares. Les êtres humains se disputent lorsqu’ils veulent utiliser le même bien mais de manière incompatible. Soit je gagne, soit tu gagnes. Il ne peut y avoir deux vainqueurs. Pour les biens rares, donc, nous avons besoin de règles ou de lois qui nous aident à choisir entre des revendications rivales, conflictuelles. En revanche, les biens « gratuits » – par leur surabondance, leur caractère inépuisable ou leur reproductibilité infinie – ne peuvent par définition être source de conflit. Lorsque j’utilise un bien non-rare, cela ne réduit pas la quantité de ce bien disponible pour les autres.  Je peux en faire ce que je veux et les autres aussi, conjointement. Il n’y a pas de perdant, nous sommes tous gagnants. Il en découle que nous n’avons pas besoin de lois en ce qui concerne les biens non-rares.

Troisièmement, tous les conflits concernant des biens rares peuvent être évités si et seulement si chaque bien est la propriété privée de quelqu’un. Autrement dit, si et seulement si chaque bien est contrôlé par une personne en particulier plutôt qu’une autre, si bien qu’il est toujours possible de savoir qui possède quoi. Si l’on revient aux origines de l’humanité, il est théoriquement possible d’éviter tout conflit en appliquant la règle selon laquelle toute appropriation initiale de biens sans propriétaire, donnés par la nature, devient la propriété légitime du preneur.

En définitive, je dirais qu’il existe trois « bonnes lois » essentielles à l’interaction pacifique des hommes, qui sont les suivantes :

a)   Celui qui s’approprie quelque chose qui auparavant n’appartenait à personne en devient le propriétaire exclusif ;

b)   Celui qui produit quelque chose à l’aide de son corps et de biens qui lui appartiennent en est le propriétaire, à condition qu’il ne nuise pas pour cela à l’intégrité physique de la propriété d’autrui ;

c)   Celui qui acquiert quelque chose par le biais d’un échange volontaire avec son propriétaire précédent – c’est-à-dire un échange qui est jugé mutuellement bénéfique – en devient le nouveau propriétaire.

DB : Comment définissez-vous la liberté ? Comme l’absence de contrainte de la part de l’Etat ?

HHH : Une société est libre dès lors que l’on reconnaît chaque personne comme le propriétaire exclusif de son corps physique (qui est un bien rare), que chacun est libre de s’approprier des biens auparavant sans propriétaire, que chacun est libre d’utiliser son corps et ses possessions pour produire ce qu’il souhaite, et que chacun est libre d’échanger contractuellement ses biens avec autrui de n’importe quelle façon jugée bénéfique par les deux parties. Tout ce qui interfère avec ces quelques règles constitue une forme d’agression. Une société est d’autant moins libre que ces attaques envers la liberté sont nombreuses.

[…]

DB : Quelle est votre position concernant le modèle actuel des banques centrales ? Est-ce là la calamité majeure de l’époque ?

HHH : Le système de banque centrale est effectivement l’un des principaux fléaux de notre époque. Les banques centrales, au premier rang desquelles la FED, sont responsables d’avoir détruit l’étalon-or, qui fut de tout temps un rempart contre les politiques inflationnistes, pour le remplacer à partir de 1971 par un système de monnaie purement fiduciaire. Depuis lors, les banques centrales ont le pouvoir créer de la monnaie de papier à l’envi. Bien entendu, imprimer plus de papier-monnaie ne crée pas plus de richesses – seulement une plus grande quantité de papier-monnaie. Car comment expliquer qu’il y ait encore de la pauvreté dans le monde après 40 ans de politique monétaire inflationniste ? En revanche, davantage de papier-monnaie en circulation enrichit nécessairement son producteur monopolistique (la banque centrale) et ses premiers bénéficiaires (le gouvernement, les grandes banques liées à l’Etat et leurs principaux clients) au détriment de tous les utilisateurs ultérieurs, qui eux s’appauvrissent.

Grâce au pouvoir d’impression sans limite de papier-monnaie accordé aux banques centrales, les gouvernements peuvent supporter des déficits budgétaires toujours plus grands et accumuler des dettes gigantesques leur permettant de financer des activités inimaginables autrement, telles que les expéditions militaires les plus hasardeuses.  Grâce aux banques centrales, les « économistes » les plus en vue et autres « experts monétaires » peuvent devenir, moyennant finances, des porte-parole de l’Etat nous expliquant par quel miracle le papier peut se transformer en richesse. Grâce aux banques centrales, les taux d’intérêt peuvent être maintenus à un niveau artificiellement bas, proche de zéro, ce qui oriente le capital vers des investissements de moins en moins solides (au détriment de projets plus sains), créant des bulles spéculatives de plus en plus fortes, suivies de dépressions plus spectaculaires encore. Enfin, grâce aux banques centrales, nous sommes confrontés à un risque d’hyperinflation de plus en plus réel, qui surviendra lorsque le roi sera finalement nu.

DB : Dans notre journal, nous avons souvent rappelé que les Sept Collines de Rome étaient initialement des sociétés indépendantes, tout comme les cités italiennes de la Renaissance ou les treize colonies de la république américaine. Il semble que tous les grands Empires commencent modestement sous la forme de petites communautés, où chacun garde la possibilité, en cas d’oppression, de quitter l’une pour refaire sa vie dans celle d’à côté. Comment expliquer la pente centralisatrice des Empires ? Sur quoi repose-t-elle ?

HHH : Tout Etat commence petit. Il est effectivement assez simple de s’enfuir d’un Etat de taille réduite. Mais n’oublions pas la nature agressive des Etats, comme je l’ai déjà expliqué. Ils sous-traitent le coût de leur agression auprès des contribuables. Ils n’aiment donc pas voir des personnes productives quitter le territoire, aussi, étendre leurs frontières permet de limiter les fuites, en quelque sorte. Plus un Etat contrôle d’individus productifs, plus il a de ressources à extorquer et donc mieux il se porte. Dans ce jeu expansionniste, les Etats s’affrontent donc entre eux : sur un territoire donné, il ne peut y avoir qu’un détenteur monopolistique de la décision en dernier ressort. La compétition entre Etats est éliminatoire. Soit l’Etat A gagne et contrôle le territoire, soit c’est l’Etat B. Or, qui gagne en réalité ? Au moins à long terme, c’est l’Etat qui peut vivre au crochet de l’économie la plus productive qui l’emporte – et qui agrandit donc son territoire et ses revenus fiscaux. Ainsi, toutes choses égales par ailleurs, ce sont paradoxalement les Etats les plus libéraux (qui laissent donc davantage prospérer leurs citoyens) qui l’emportent sur les Etats moins libéraux, les plus tyranniques.

C’est ainsi qu’en se limitant à l’histoire moderne, on peut expliquer à mon sens l’ascension de la Grande-Bretagne libérale au rang de puissance impériale, et celle des Etats-Unis après elle. Et nous pouvons alors comprendre un curieux paradoxe : le fait que des puissances libérales comme les Etats-Unis soient plus agressives et guerrières dans leur politique étrangère que des puissances autoritaires et despotiques telles que l’URSS.

Mais tout Empire porte en lui les germes de sa propre destruction. Plus un Etat se rapproche de l’utopie d’un gouvernement mondial, plus il a de raisons d’abandonner son libéralisme intérieur et de suivre sa pente répressive, en exploitant sans limite les habitants productifs qui demeurent sous son autorité. La pénurie de nouveaux tributaires à exploiter et la baisse de la productivité intérieure rendent alors insolvables les politiques intérieures de l’Empire. La crise survient et la perspective d’un effondrement économique pousse à la décentralisation, incite les mouvements séparatistes et sécessionnistes, si bien que l’Empire finit par craquer. C’est ce qui est arrivé à la Grande-Bretagne, et c’est ce que nous observons aujourd’hui avec les Etats-Unis et leur Empire vacillant.

N’oublions pas non plus l’aspect monétaire du processus. Un Empire dominant émet généralement la première monnaie de réserve au plan international : la Grande-Bretagne avec la livre sterling et ensuite les Etats-Unis avec le dollar. L’usage du dollar comme monnaie de réserve par les banques centrales étrangères permet aux Américains de mener une politique indolore de déficits permanents. Pour payer leurs importations massives de biens étrangers, les Etats-Unis n’ont pas besoin d’exporter davantage et d’équilibrer leur balance commerciale, comme la logique le voudrait. C’est même tout le contraire. Au lieu d’utiliser le produit de leurs exportations pour acheter des biens américains, les gouvernements étrangers et leur banque centrale utilisent leurs réserves en dollars pour acheter des bons du trésor américain, permettant ainsi aux Américains de continuer de vivre au-dessus de leurs moyens.

Je ne connais pas assez la Chine pour comprendre pourquoi elle utilise ses gigantesques réserves de dollars pour acheter des bons du trésor américain. La Chine n’est pas censée être un vassal de l’Amérique. Ses dirigeants ont peut-être été abreuvés aux enseignements d’économistes américains, au point de croire eux aussi en l’alchimie monétaire. Pourtant, si du jour au lendemain la Chine décidait de céder ses obligations U.S. et d’accumuler des réserves en or à la place, ce serait la fin immédiate de l’Empire américain et du dollar tels que nous les connaissons.

DB : Est-il concevable qu’un petit nombre de familles richissimes, basées notamment dans la City de Londres, soient responsables de la situation actuelle ? Ces élites cherchent-elles à établir un gouvernement mondial, comme on le dit parfois ? Est-ce une conspiration ? Dit autrement, partagez-vous la vision du monde qui oppose une élite globalisatrice et les aspirations démocratiques du reste de la population ?

HHH : Je ne suis pas sûr que le terme de conspiration soit encore valable. Grâce aux travaux de Carrol Quigley et d’autres, ce dont nous parlons ici est finalement bien documenté. Quoiqu’on en dise, il est certain qu’à Londres, New York ou Tel-Aviv, plusieurs familles incroyablement fortunées ont bien compris l’intérêt personnel qu’elles pouvaient retirer de la construction d’Etats et d’Empires. Aux Etats-Unis, les dirigeants des principales banques ont joué un rôle prépondérant dans la création de la FED car ils savaient que la politique inflationniste et d’expansion du crédit de la banque centrale leur permettrait de croître à leur tour. Sans parler du rôle de « prêteur en dernier ressort » de la FED, qui a permis aux banques de privatiser leurs gains quand les affaires se portaient bien et de socialiser les pertes dans le cas contraire.

L’étalon-or classique est apparu aux élites bancaires comme une barrière naturelle à l’inflation et à l’expansion du crédit. Il n’est pas étonnant qu’ils aient d’abord mis en place un étalon-or bidon (le Gold Exchange Standard) avant d’instaurer, en 1971, un système de monnaie purement fiduciaire. Ensuite, ils se sont aperçus que le principe de monnaies nationales flottant librement faisait encore obstacle à leurs désirs inflationnistes, le dollar pouvant être concurrencé par un deutsche mark fort, par exemple. Afin d’affaiblir cette concurrence entre monnaies, il n’est pas étonnant qu’ils aient soutenu « l’intégration monétaire » incarnée par la création de l’euro et de la banque centrale européenne (BCE).

L’histoire n’est pas qu’une simple succession d’accidents et de conséquences inattendues. La plupart des événements historiques ont été préparés et voulus. Pas par le premier venu, bien sûr, mais par les élites qui contrôlent les appareils d’Etat. Si nous voulons éviter que l’histoire suive son cours actuel et aboutisse à un désastre économique sans précédent, il faut éveiller l’indignation du grand public quant aux desseins et aux machinations des élites qui détiennent les clefs du pouvoir. En ciblant non seulement ceux qui travaillent au sein de l’appareil d’Etat, mais aussi ceux qui en tirent les ficelles depuis l’extérieur.

DB : Nous avons souvent dit que, à l’image de l’imprimerie au XVe siècle, l’invention d’Internet était en train de révolutionner complètement les structures sociales de notre époque. Nous sommes tentés de croire qu’Internet annonce une nouvelle Renaissance, après les ténèbres du XXe siècle. Qu’en pensez-vous ?

HHH : Il est vrai que ces deux inventions ont révolutionné nos sociétés et ont grandement amélioré nos existences. Il nous paraît difficile aujourd’hui d’envisager ce qu’étaient nos vies avant Internet, a fortiori avant Gutenberg. Cela dit, je doute fortement que les avancées technologiques soient des sources intrinsèques de progrès et de liberté. A mon avis, la technologie est « neutre ». Internet peut aussi bien être utilisé pour découvrir et diffuser la vérité que le mensonge et la confusion. Nous avons gagné la possibilité inédite d’échapper à l’emprise des Etats et à affaiblir celle-ci, comme les Etats ont maintenant à leur disposition des moyens inédits pour espionner, contrôler et ruiner nos vies. Avec Internet aujourd’hui, nous sommes plus riches qu’en 1900 (et ce en dépit de l’Etat). Mais il me semble très clair que nous sommes moins libres qu’en 1900.

DB : Pour conclure cet entretien, pouvez-vous nous dire ce sur quoi vous travaillez en ce moment ? Avez-vous des ouvrages ou des sites web à recommander ?

HHH : Je ne dérogerai plus au principe que je me suis fixé, à savoir ne jamais parler de mon travail en cours avant qu’il soit terminé ! À propos de livres, je recommande avant tout de lire les œuvres majeures de mes deux maîtres, Ludwig von Mises et Murray Rothbard. Et pas seulement une seule fois, mais en y replongeant de temps en temps. Leurs travaux sont à mes yeux inégalés à ce jour et le resteront longtemps. En ce qui concerne les sites web, je consulte très régulièrement www.mises.org et www.lewrockwell.com. Ayant été successivement traité d’extrémiste de droite, de réactionnaire, de révisionniste, d’élitiste, de suprématiste, de raciste, d’homophobe, d’antisémite, de théocrate, d’athée cynique, de fasciste et – un must quand on est Allemand – de nazi, j’avoue avoir une certaine sympathie pour tout ce qui est « politiquement incorrect » sur le web. Bref, tout ce qu’un individu « moderne », « décent », « civilisé », « tolérant » et « humaniste » se doit d’éviter et d’ignorer m’intéresse.

Lire l’original sur le site du journal.

[1] H. Hoppe (2001). Democracy : The God That Failed, Transaction Publishers.