Pour Alain Alexanian, manger bio est un secret de longévité

Publié le 16 décembre 2011 par Bioaddict @bioaddict

 

D'origine arménienne, ce chef écolo s'est converti à la cuisine saine et aux produit d'origine bio.
Après 15 années de Tour de France, en cuisine, Alain Alexanian crée en 1986 à Lyon le restaurant " l'Alexandrin ". Il cède son restaurant étoilé en 2007 pour s'occuper de formations et suivre en parallèle son " A point Café " lyonnais élu Palme d'Or 2005 pour la création du meilleur concept de restauration en France par le Leader's Club.

Alain Alexanian a travaillé sur la mise en place d'une charte "charte de developpement durable pour la restauration francaise traditionnelle " en partenariat avec l'organisation non gouvernementale WWF (World Wide Fund, une ONG de protection de la nature et de l'environnement, impliquée dans le développement durable).

En 2010, il publie son ouvrage "L'art de bien manger bio", aux Editions Utovie.


Le chef étoilé Alain Alexanian converti à la santé dans l'assiette et au bio depuis près de 30 ans, nous livre conseils, coups de gueule et coups de coeur écolos. Une interview exclusive pour bioaddict.fr.

  1. Comment vous définissez-vous ? Chef responsable, chef bio, chef arménien ?

    Je m'intéresse avant tout à la santé dans l'assiette. Pour moi, une alimentation saine est forcément liée à la promotion du développement durable. Pour l'instant, le label le plus proche de mes idées est le bio mais je ne m'arrête pas qu'au bio. Cela ne veut pas dire que celui qui cuisine les fruits et légumes de son potager, avec ses limaces, ses doryphores, ne peut se servir d'aucun produit. Je suis pour une agriculture raisonnablement raisonnée. Je pense que le raisonné à 100 % est une hérésie... Je préfère le moins chimique possible que le bio à 100 %. D'ailleurs, dans un pays comme la France où on ne fait que 3 % d'agriculture bio, n'oublions pas que nous faisons appel à des produits bio cultivés à l'étranger, avec toutes les émissions de gaz à effet de serre que cela comporte...
  2. Comment est né votre intérêt pour l'écologie ?
    C'est ma grand-mère arménienne qui m'a sensibilisé à une nourriture saine. Les délicieux effluves qui se dégageaient de sa cuisine ont été une source d'inspiration certaine pour moi. Le jour où je suis entré en apprentissage, à 14 ans, j'apprends que l'on met du beurre à outrance, de la crème à outrance, des chariots de bouteilles sucrées... Aussi, quand j'ai fini mon apprentissage et mon CAP, je me suis demandé : qui a raison ? Ma grand-mère, les restaurateurs, les industriels ? Je me suis donc mis à lire les études épidémiologiques, des livres sur la nutrition, etc. C'était une démarche personnelle. Je voulais savoir quels étaient les aliments bons pour la santé et non pas me limiter à une " alimentation des 5 sens ", traditionnellement enseignée. La véritable révélation a été le choc des années 74-78, quand l'on s'est rendu compte de la quantité de matière grasses et de sucres ingérés quotidiennement. Je ne comprenais pas car ma grand-mère n'avait pas ces habitudes. Elle utilisait d'autres épices, d'autres ingrédients... Quand je suis revenu de l'armée, j'ai commencé un compagnonnage dans tous les Relais et châteaux de la France et c'est vraiment à ce moment-là que j'ai compris la nécessité du légume, du fruit, de moins masquer les goûts, etc. 
  3. La cuisine arménienne, une de vos spécialités, est-elle plus saine ?
    C'est une cuisine caucasienne et méditerranéenne, souvent confondue avec la cuisine libanaise. Du fait du milieu vallonnée et montagneux de l'Arménie, c'est une cuisine de petits producteurs, presque écolo par nature. Elle est très riche en herbes, en nutriments, en vitamines et en minéraux. Il n'y a pas besoin de manger à outrance car les viandes sont " bio ", riches en nutriments. Ce sont parfois des mets très simples, mais en osmose avec la nature, qui ont forgé une expérience culinaire simple mais sauvage et naturelle.
  4. Dans votre restaurant "A." quels sont les gestes en faveur de l'environnement ?
    Nous avons adopté une charte de développement durable qui est consultable sur mon site. Dans les menus, je propose au moins une entrée et un plat composés d'ingrédients 100 % locaux. Il y a également la version végétalienne et sans gluten. Les légumes frais servis sont tous de production française et je favorise les viandes à moindre impact carbone, c'est-à-dire que je privilégie la volaille élevée en France plutôt que le veau ou le boeuf élevés à l'étranger.
    Pour les fruits ne poussant pas en France, je choisis ceux issus du commerce équitable ou bio, voire les deux. Je m'interdis de servir des espèces de poisson en voie de disparition qui sont clairement désignés comme tel dans les conso-guide du WWF ou du MSC. Enfin, pour ce qui est des oeufs entiers, je ne propose que des oeufs issus d'élevage en plein air et/ou bio.
    Pendant longtemps mon combat était de mettre des légumes à côté des protéines. En 1998, j'étais le premier restaurant étoilé à proposer un menu végétarien, de l'entrée au dessert. Aujourd'hui ce n'est plus un combat, l'importance des légumes dans notre régime alimentaire est devenue une évidence. Ma démarche aujourd'hui c'est de privilégier les menus anti-allergènes.
  5. Et l'huile de palme dans tout ça ?
    Dans les restaurants qui travaillent avec du frais et qui ne recourent pas aux produits déjà préparés, il n'y a pas d'utilisation d'huile de palme ! Sauf, peut-être, en huile de friteuse. Mais s'il fallait utiliser de l'huile végétale de palme il faudrait qu'elle soit issue d'un producteur adhérent à la table ronde RSPO et recyclée, si possible. Tout cela figure dans notre charte
  6. Cette charte est-elle transposable à d'autres établissements ?
    Disons que notre démarche est très poussée... Ce serait souhaitable mais je ne connais par exemple aucun restaurant qui s'interdit l'usage de poêles en téflon, des feuilles d'aluminium, du micro-onde, etc. Dans les ventes à emporter, il faudrait remplacer les emballages jetables par des emballages recyclables, compostables, éco-labellisés, etc. C'est du bon sens, mais combien le font ? Il existe tout un tas de matériaux intéressants dont on pourrait se servir en cuisine et au service, mais on refuse de changer. D'autres pays, comme les pays nordiques, sont plus en avance sur nous. Ils ont des normes nationales qui interdissent l'usage de certains matériaux ou substances. L'eau de javel par exemple, qui tue tous les micro-organismes, est un produit extrêmement toxique que l'on peut inhaler, encore plus s'il est mélangé à d'autres produits, comme un gel WC. L'Hygiène nous encourage à l'utiliser pour désinfecter alors que ça devrait être interdit. 
  7. A quand un label pour les restaurants écolos/bio?
    C'est un projet en cours que je mène avec la région Rhône-Alpes. Je me suis porté volontaire pour former tous les cuisiniers en grande restauration à la santé dans l'assiette, en échange de quoi la région se charge de recenser tous les producteurs bio ou d'agriculture raisonnée, afin que je puisse les inscrire dans un guide.  Ce guide s'appellerait " Cuisine fraiche " et permettrait de juger un restaurateur selon les producteurs auxquels il recourt, et par conséquent, selon la fraicheur de sa cuisine. La notation irait d'un seul soleil à trois soleils. Un soleil signifierait que le restaurateur a un plat 100 % ingrédients de proximité et identifiés. Deux soleils, qu'il aurait un menu local et 50 % des produits cuisinés dans le restaurant seraient frais et si possible made in France. Et le troisième soleil : le restaurateur a rempli toute la charte.
  8. Qu'est-il urgent de changer dans nos habitudes quotidiennes ?
    Nous roulons de plus en plus en véhicules diésel alors que le diésel pollue beaucoup plus que l'essence et que c'est à la fois nocif pour l'environnement et l'humain. Tous les pays européens sont conscients de la nocivité du gasoil sauf en France, où l'Etat a décidé d'encourager le diésel. D'ailleurs c'est un des seuls pays où le diésel est moins cher que l'essence.
    Quoiqu'il en soit la meilleure alternative est de recourir aux transports au commun, ce que j'essaie de faire autant que possible.
  9. Que diriez-vous à un cuisinier écolo-sceptique ?
    Manger des produits issus de l'agriculture intensive équivaut à prendre chaque jour une cuillérée à café de cocktail de pesticides. Vous ingérez entre 1,8 et 2 kg de pesticides qui restent dans votre corps. Au bout de 10 ans ça fait 20 kg, qui ne partiront pas. Au bout de 20 ans, ça fait 40 kg. Et quand vous aurez l'âge de la retraite, vous risquez de ne pas pourvoir en profiter.
    Cuisiner ses propres ingrédients frais, ça prend du temps mais c'est un luxe nécessaire pour éviter de s'enpoisonner. Il faut apprendre à cuisiner selon les gouts et la disponibilité que l'on a, en ne perdant jamais de vue le plaisir.
  10. Un message pour nos lecteurs ?
    Je peux donner quelques conseils de santé. Il faut moins manger que par le passé, inclure des légumes à chaque repas, boire de l'eau et du thé entre chaque repas, cuisiner moins gras et moins sucré. Si vous avez intégré ça, vous avez le secret de la longévité, à condition bien-sûr d'avoir l'amour à vos côtés...

Propos recueillis par Alicia Muñoz