Eric faye : interview exclusive !!!

Par Geybuss

L'année dernière, Eric Faye "investissait" la blogosphère avec Nagasaki, le roman (tiré d'un fait divers japonnais) qui a décroché le Grand Prix du roman de l'Académie Française 2010.

Ce roman efficace sur l'intrusion des autres dans notre intimité et sur l'ultramoderne solitude... Nagasaki vient de sortir en format poche chez J'ai Lu, donc aucune raison de ne pas le lire.

Et ces temps ci, j'ai eu l'occasion de me replonger avec délectation dans la plume de l'auteur pour un sujet complètement différent... Le mystère autour d'un auteur... invisible ! L'homme sans empreintes, également chez J'ai lu depuis Octobre. Si vous aimez lire ou qu'un de vos proches vit cette passion, voici un beau coffret cadeau à offrir à Noël ou n'importe quelle occasion si vous loupez le coche !

Eric Faye gentiment accepter de répondre à mes questions... Si vous vous demandez qui est le fameux Osborn évoquées dans certaines d'entre elles, et bien lisez le livre. Non, je plaisante... à moitié ! Il s'agit du fameux auteur mystérieux autour de qui nous tournons dans" l'homme sans empreintes" !

Osborn, le héros de votre roman “L’homme sans empreintes” serait devenu écrivain à un moment précis, les quelques minutes où il se serait vu mourir.... Enfin, c’est une supposition. Et vous, y a-t-il eu un moment précis qui vous a vu prendre la plume et devenir romancier ?
E.F :Il n'y a pas de moment précis où l'on "devient" romancier. Devenir "romancier" (mais je suis aussi nouvelliste, essayiste, ce qui est à mes yeux aussi important que le sacro-saint "roman") ne se fait pas du jour au lendemain, j'ai plutôt l'impression que c'est un processus très lent, une installation dans un état d'esprit qui se fait au fil des années - voire commence des années avant la première publication. On peut décider de le devenir, effectivement; quant à l'"être", c'est autre chose...


 Vous avez reçu le Grand Prix de l’Académie Française pour votre roman “Nagasaki” l’année dernière. Après une telle récompense, dans quel état d’esprit se remet on à l’écriture ?
E.F : Encouragé. Rassasié d'avoir trouvé enfin beaucoup de lecteurs, d'avoir droit à un bon nombre de traductions, d'avoir, en un mot, suscité un grand intérêt. Je me remets heureux à l'écriture, mais plus exigeant sans doute : en voulant faire preuve d'un peu plus d'audace ; en voulant me surprendre, pour ne pas m'installer dans une routine.

Justement, récompense et succès vont souvent de pair. Hors, Osborn prétend que c’est dans le succès et non dans l’épreuve que l’on découvre ses véritables amis, que le succès se mesure au nombre d’amis perdus... Vous avez perdu beaucoup d’amis ? Car d’un autre côté, le succès apporte aussi souvent beaucoup d’amis, pas forcément les plus sincères mais... Qu’est-ce que le succès d’écrivain change dans votre vie ?
E.F : Les pensées que je prête à un personnage ne sont pas nécessairement les miennes pas plus que le reflet de ma vie. Dans cet exemple précis, ce n'est pas le cas, je n'ai perdu aucun ami en obtenant ce prix. Mais entendons-nous bien, la vie de l'écrivain n'a aucun intérêt pour son lecteur, non ?

 Le personnage d’Osborn est inspiré de l’un des écrivains les plus mystérieux du XXème siècle, B. Traven. Ce genre de personnage vous intrigue ou vous fascine ? Ce jeu et cette obsession de l’anonymat de l’écrivain vous tenteraient ils ? Si vous deviez disparaître, où iriez vous ? Quels sont les principaux points communs entre vous et Osborn et B.Traven qui a inspiré ce dernier ?
E.F :Je crois qu'il ressort de "L'Homme sans empreintes" qu'effectivement, le genre de personnage que représente B. Traven exerce sur moi une grande fascination, qui ne tarit pas. C'est en quelque sorte un cap à tenir, inatteignable certainement, mais néanmoins un cap que j'aperçois au loin. J'aime tout autant Romain Gary; outre qu'il est à mes yeux un écrivain capable du meilleur, sa vie et les questionnements qu'elle pose à tout écrivain m'intéressent au plus haut point... Pour ce qui est de ma vie, elle n'a aucun point commun avec celle d'Osborn ou de B. Traven, sinon que nous avons en commun la passion de l'écriture et de certaine forme de retrait, même si, dans mon cas, il n'a rien d'absolu ni de systématique.


Pensez vous qu’à l’heure de la sur médiatisation et de la multimédiatisation, un auteur (ou quel qu'autre artiste) puisse être invisible et apprécié à la fois, ce dont doute OSborn. En même temps, nombreux sont les artistes qui agissent sous pseudonymes et vivent tout à fait normalement. Il y a aussi des artistes que l’on ne voit que dans le cadre de leur œuvre, qui cloisonne leur vie privée et sont néanmoins très appréciés (les exemples qui me viennent.... euh.... Francis Cabrel...)
E.F  :Osborn a prouvé (comme Traven dans le réel) qu'un écrivain peut être à la fois discret, caché derrière son oeuvre, et jouir d'un grand succès. La tentation, à l'époque de la médiatisation à outrance, de se montrer, est plus grande, et il est donc d'autant plus crucial de veiller à ne pas succomber à cette tentation et à rester le plus possible dans l'ombre. Maintenant, un écrivain peut-il "percer", trouver ses lecteurs sans faire la moindre concession au monde médiatique actuel? J'aimerais le croire.


Osborn considère que l’artiste doit disparaître, s’effacer derrière son œuvre. Mais une œuvre est elle vraiment dissociable de son créateur ? Qui plus est, l’effacement de l’auteur crée un mystère qui engendre maintenant ce qu’on appelle un buzz... Et ce mystère en vient presque à prendre plus d’importance que l’œuvre non ? Car si on prend Salinger... Tout le monde sait qu’il vivait retiré.... Mais que connait on vraiment de son œuvre, à part l’attrappe coeur ?
E.F : Le créateur d'une oeuvre EST dans son oeuvre et nulle part ailleurs. Donc il n'est pas dissociable de son oeuvre, puisqu'il est à l'intérieur. Je crois que la question du buzz et des bruits autour du mystère ne doit pas se poser à l'écrivain qui souhaite rester dans l'ombre. Ce n'est pas son problème.
Aguila Mendès, le journaliste du roman, considère qu’Osborn n’a rien des traits qu’on prête à un écrivain ? Quels sont les traits que l’on devrait, ou que l’on prête à un écrivain ? L’oreille est elle plus primordiale que la plume ?
E.F : C'est une réflexion du personnage Aguila Mendès, mais je ne pense pas, personnellement, qu'il y ait des traits précis que l'on devrait prêter à un écrivain. La réalité montre qu'ils sont très différents, non?


Je reviens à Nagasaki.... Si vous aviez été Shimura, qui découvre que son appartement est squatté par quelqu’un d’autre, quelle aurait été votre réaction. Si la vraie vie était un roman, aurait il été concevable que le squatteur et le squatté finissent par cohabiter ensemble en toute intelligence... l’un fournissant un toit à l’autre et l’autre offrant un peu de présence dans une vie bien solitaire au premier ?
E.F : Peu importe ma réaction, non? Qui suis-je sinon celui qui tient les fils des marionnettes-personnages? On ne demande pas tant que ça à un marionnettiste quelles sont ses opinions sur la vie, sur la cohabitation avec une clandestine...


E.F : Quel lecteur êtes vous ? Quels sont vos 3 derniers coups de cœur littéraires ?
E.F : Je suis plutôt un grand lecteur, avide de découvertes. Je ne me lasse pas souvent de lire, même quand je suis en période d'écriture. C'est une respiration essentielle à ma vie. Je lis essentiellement de la fiction, mais parfois j'aime prendre des chemins de traverse, découvrir un livre d'histoire ou un essai, ou une biographie. Coups de coeur?
J'ai bien aimé, récemment, le recueil de nouvelles "La mauvaise habitude d'être soi", de Martin Page, ou encore, de Hélène Lenoir, le roman "Pièce rapportée". Et, plus classique, "Le marin rejeté par la mer", de Mishima... Sans oublier "Le Traducteur amoureux", de Jacques Gélat.