L'image en Arabie saoudite (1/2) : publicités

Publié le 02 mars 2008 par Gonzo

L'interprétation de l'islam qui règne aujourd'hui dans la pays de la famille (آل) Saoud est dite "wahhabite", du nom d'un religieux qui fit alliance avec le fondateur de la dynastie au milieu du XVIIIe siècle. Au nom de cette lecture particulière, très loin d'être majoritaire surtout au regard de l'ensemble de l'islam non-arabe, les représentations d'êtres vivants (صور ذوات الأرواح), considérées comme des formes d'idôlatrie, sont en principe proscrites.
Pour autant, et même si cela ne s'est pas fait sans débats, il y a en Arabie saoudite des journaux illustrés, une télévision depuis les années 1960 et toutes les images numériques du monde, en particulier depuis que le royaume s'est branché sur la Toile au tout début de l'année 1999.
Mais il n'y a toujours pas de salles de cinéma (on y reviendra la semaine prochaine), et les seuls écrans publics sont ceux des grands panneaux publicitaires, éventuellement électroniques et animés, que contemplent les passagers des véhicules arrêtés aux feux de circulation.
Compte tenu des habitudes locales, les agences de publicité doivent faire preuve d'inventivité. Habitudes en effet, car il n'y a pas - selon les professionnels concernés (voir cet article du Sharq al-awsat) - de loi ou de règlement qui exige expressément que les visages des personnages sur les panneaux publicitaires soient floutés (مطموسة dans le jargon des infographistes).
Dans certains cas on peut se contenter de "pixelliser" les yeux : s'il ne reste que la silhouette, ou même la forme du visage, sans rien laisser qui manifeste la vie - le regard en l'occurrence -, l'image devient licite !
En réalité, les graphistes de la publicité contemporaine réinventent à l'heure du numérique des procédés très anciens : sur cette miniature, l'homme en vert avec le visage qui semble avoir été effacé sous Photoshop (il s'agit d'un voile) n'est autre que le prophète de l'islam.
Signe d'une incontestable évolution, et de l'inventivité des "créatifs" locaux, un aménagement de la règle a été trouvé : désormais, on peut reproduire des visages sur les panneaux publicitaires dans les lieux publics. Enfin s'il s'agit d'hommes ou de garçonnets et pour autant que leurs yeux ne soient pas visibles, ou soigneusement dissimulés derrière des lunettes de soleil !

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Il y a des semaines où la perspective choisie pour ce blog paraît presque ridicule au regard des tragédies que connaît le monde arabe. Comment continuer ces chroniques sans évoquer Gaza ? Pour ne pas faire comme si de rien n'était, voici trois images, tirées de la presse arabe (Al-Safir notamment pour la première, les autres ont été reprises dans pas mal de publications).

Celle-ci, par sa lumière et sa composition, par le jeu des regards, fait irrésistiblement penser à un tableau ancien avec cet étrange contraste entre le cadavre de ce tout petit enfant et le regard des adultes qui l'entourent. Dans ce pays qu'il sait être sans électricité, l'oeil du spectateur est happé par la lumière crue au centre et au premier plan : le linceul de la victime, prolongé par les autres nuances de blanc des vêtements traditionnels de celui qui tient l'enfant dans ses bras et le T-shirt siglé Nike du jeune homme qui ferme l'angle gauche de la photo.
Ces images qu'a vues le monde arabe sur les premières pages de ses quotidiens ont-elles été publiées dans la presse que vous lisez ?
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