Tout le monde s’accorde à reconnaître la beauté et la singularité de la calligraphie arabe. Mais, comme bien d’autres formes artistiques propres à cette culture, ce qu’on apprécie en général – j’entends en dehors du monde arabe, en France par exemple – c’est une pratique bien spécifique de la calligraphie, "culturellement légitime" parce que produite par des artistes (on devrait en reparler la semaine prochaine) parfois contemporains, mais le plus souvent appartenant au passé.
Pourtant la calligraphie est d’abord un "art populaire", et un art bien vivant. Bien loin d’être réservé aux contemplations esthétiques des salles de musée, ou même aux moments de prière et de recueillement, c’est un art de tous les jours, intimement lié aux images et aux activités les plus quotidiennes : faire ses courses, prendre sa voiture, marcher dans la rue…
Rien d’étonnant donc si les camions et les voitures sont autant utilisées par les calligraphes amateurs : à la différence des murs et des vitrines, les signes et les messages que portent les véhicules décorés ont l’avantage de sillonner les rues et les routes !
(Illustration : Pascal Zoghbi, http://29letters.wordpress.com)
Bien avant les sociologues, les spécialistes arabes du signe – typographes, designers en particulier – ont su apprécier l’importance de ce langage artistique. Leurs sites, qui mettent au service du graphisme arabe les ressources les plus sophistiquées du numérique, prennent aussi le temps de décoder les fonctionnements, les usages, les richesses, et les usages politiques même, de ces signes qui peuplent les rues arabes.
Les camions (libanais) avec leurs calligraphies aux fonctions à la fois esthétiques, identitaires et « pratiques » (se protéger des coups du sort) ont également suscité des commentaires sur le blog, tout aussi passionnant, que tiennent trois jeunes graphistes libanais Maya Zankoul, Wael Morcos and Khajag |kj| Apelian (all MISTD), tout aussi « fondus » de typographie arabe.
La typographie arabe contemporaine est un réseau bien tissé puisque le webdesigner du site de Huda AbiFarès n’est autre que Tarek Atrissi, originaire de Beyrouth lui aussi mais installé aux Pays-Bas. La visite de son blog peut être utilement prolongée par celle de son site où il présente ses réalisations.
Et enfin, c’est encore une Libanaise, Nadine Chahine, qui tient le blog intitulé arabictype. Elle travaille pour Linotype, la vénérable société qui fut au coeur de la révolution de la presse imprimée à la fin du XIXe s. (La première machine de ce type pour l'arabe fut introduite en Egypte pour le quotidien Al-Mu'ayyad, au début du XXe siècle.)
Toujours dans la Péninisule, Sakkal propose la création de logos, notamment à partir du style "kûfi", très géométrique.
Enfin, on peut encore aller visiter le blog de Hassan Abu Hafash, calligraphe contemporain à Gaza, ou celui de Mohamed Hacen, un jeune graphiste mauritanien, sans oublier, pour sortir un peu des polices traditionnelles, le site de la société Arabetics aux Etats-Unis.
Il faut absolument découvrir les adresses de cette longue liste - qui doit d'ailleurs pouvoir être complétée (des suggestions sont les bienvenues dans les commentaires). Elles nous font découvrir un autre visage de la calligraphie arabe et nous montrent aussi combien l’éternel débat qui oppose modernité et authenticité (حداثة|أصالة) est inutile et stérile.
Avec le meilleur de la création contemporaine, ces passionnés des "lettres modernes" arabes prouvent en effet que l’authentique modernité n'est une tradition vivante et vraiment "héritée" que lorsqu’elle exploite sans complexe les techniques les plus actuelles.
La petite vidéo (graphique) de la semaine, sur le site de Tarek Atrissi (cliquer sur l'onglet "Typography" puis sur le "6").
16/01 : un bon article (en arabe) ce jour dans Al-Akhbar à propos de la KhattFoundation et du travail de Houda AbiFarèsCulture & Politique arabes