Islam et vidéoclips (1/2) : le repentir du "progressiste"

Publié le 07 octobre 2007 par Gonzo
La pop-star Tamer Husni et le prédicateur 'Amr Khaled
La mode est aux vidéoclips moraux dans le monde arabe. La sortie durant l'été de la première production de ce genre, intégralement tournée en Arabie saoudite avec un budget d'environ 100 000 dollars offerts par diverses sociétés locales, a marqué les esprits. "Le seul vrai truc, c'est Dieu" (traduction bien libre de ما لك غير الله) a été réalisé par un jeune talent local, Qaswara al-Khatib (قصورة الخطيب), P.-D.G. de la société Full Stop (en arabe dans le texte !).
A défaut d'être original, le pitch du clip en question a le mérite d'être net et précis. Un jeune professional saoudien - on le voit derrière son ordinateur dans ce qui ressemble à une agence de publicité - est dans un jour "sans" : il trébuche en faisant son jogging, se fait rembarrer au boulot... Pire, les séquences qui suivent nous le montrent avec ses copains en train de fumer ce qui ressemble à un joint et de draguer des jeunes femmes sur un banc. Mal lui en prend : sa fiancée qui passe par là le surprend et jette la bague qu'il lui a offerte !
Pour les détails de l'histoire, le clip est disponible ici (et il y a même des sous-titres en anglais). Ce qui compte, c'est que le héros, à la suite d'un accident de moto, finit par retrouver la "Voie juste" et comprend que "lorsque tout va mal, le seul vrai truc, c'est Dieu"...
Comme l'avait bien remarqué à l'époque Amal A., qui tient en anglais Arab Woman Progressive Voice, un blog qui a un peu les mêmes préoccupations que ces billets, il n'y a rien d'innocent à ce que la caméra s'attarde à plusieurs reprises sur le T-shirt que porte le jeune motard lorsqu'il est encore dans l'erreur. Quand il reste à bosser et à fumer derrière son écran alors que les collègues de bureau font la prière, le T-shirt aussi immaculé que sa dashdasha de sortie proclame en anglais et en grandes lettres rouge sang - couleur prémonitoire de l'accident - le message fatal : PROGRESSIVE. (Oui, progressive comme dans le titre du blog d'Amal A. !!!)
"Progressiste", ou encore "libéral" comme on l'a vu au cours de notre série sur les feuilletons de ramadan, sont autant de gros mots aux yeux de ceux qui espèrent remettre la jeunesse sur la bonne voie en finançant des messages de ce genre (en plus du coût du tournage, une campagne de placards publicitaires a accompagné la sortie du clip en Arabie saoudite).
Temps de piété et de dévotion, ramadan est certainement plus encore une période de consommation. Et l'idéal, pour le commerce, est certainement d'associer les deux aspects de ce mois de fête.
On comprend dès lors que nombre de chanteurs et de chanteuses, pourtant loin d'être toujours exemplaires le reste du temps, s'accordent pour sortir précisément durant cette période de l'année un CD, avec les clips qui vont avec, composé exclusivement de chansons religieuses. Le quotidien Al-Hayat a ainsi dressé une liste impressionnante de grands noms de la scène arabe qui ont sacrifié à ce nouveau rite, à commencer par les deux enfants terribles de l'écurie de Nasr Mahrous, le Star Maker de la scène égyptienne, Chirine Abdel-Wahhab et Tamer Husni (تامر حسني).

Tamer Husni dans Omar et Salma
Ce dernier mérite qu'on s'arrête un peu à son histoire. Tamer Husni est en effet LA grande vedette de la jeunesse égyptienne et arabe. Plus encore que 'Amr Diab (dont on a parlé ici et qui appartient à une génération un peu plus âgée), il cultive un look aussi peu sage que pouvait l'être sa vie privée à en croire les magazines spécialisés. Salma et Omar, le dernier film dans lequel a tourné le jeune chanteur, a ainsi été descendu en flèche par la critique qui lui a reproché de ne rien faire d'autre que d'exposer sa virilité tapageuse.
Mais il faut parler à l'imparfait car Tamer Husni, à l'image du jeune saoudien accidenté, a retrouvé la "bonne voie". Non pas à la suite d'un accident de la route pour la pop star qui a commencé à gratter sa guitare à la grille de l'Université du Caire - quoi de plus libéral et progressiste ! - mais après ses malheurs avec la justice locale qui lui a reproché d'avoir falsifié des documents pour échapper au service militaire et qui l'a condamné, pour ce délit, à 9 mois de prison, en mai 2006.
Pendant son incarcération selon certains récits, juste à sa sortie de prison selon d'autres, Tamer Husni a fait une rencontre déterminante, celle de "l'homme le plus influent du monde arabe" à en croire le magazine Time, le prédicateur new look, 'Amr Khaled (voir ce billet)... Idole de la jeunesse et des médias, mais dans un autre registre bien entendu, celui des shows religieux télévisés, 'Amr Khaled en accordant son amité à la jeune étoile déchue lui a permis de se repentir et d'abandonner une existence sans morale. Mieux, Tamer Husni est même devenu un chanteur "engagé" (ملتزم), engagé non pas au sens occidental du terme mais "engagé pour le bon combat", celui de la morale et de la foi.
A l'occasion de ramadan, la vedette de la chanson a donc sorti un CD religieux qui porte justement le titre de l'émission vedette de la star de la prédication islamique, "Le paradis est à notre porte" (mot-à-mot : le paradis est dans nos maisons الجنة في بيوتنا). Mieux, chaque titre de l'album CD est en fait celui d'un des épisodes de la série que 'Amr Khaled diffuse pendant le mois sacré et qui passe en prime time sur les grandes chaînes satellitaires comme Kowait TV ou Al-Risâla ('Amr Khaled, malgré sa célébrité - ou plutôt à cause d'elle - est tenu à l'écart des ondes égyptiennes officielles de peur qu'il fasse de l'ombre aux autres professionnels du prêche...)
Il faut être naturellement affreusement mécréant pour voir dans cette collaboration entre ces deux icônes, ces deux "références" du jeune public arabe, autre chose qu'une manifestation de ferveur religieuse ; une superbe opération de marketing médiatique par exemple. Le site Islam-Online, proche des Frères musulmans, s'y risque pourtant dans un article (en arabe) qui prédit que la relation entre les deux vedettes des médias n'a pas fini d'être turbulente. On peut interpréter cela comme une réaction d'agacement devant le succès que remporte la concurrence sur le créneau religieux mais il n'est pas interdit d'y voir aussi un rejet authentique de cette manière d'exploiter médiatiquement - et financièrement - le filon religieux.

Quelques liens :
- Pour les arabophones, un épidode du "Paradis à notre porte" dans lequel Khaled, avec sa voix par moments étrangement haut perchée, explique le principe de la série d'émissions.
- Un article dans Al-Quds al-'arabi qui évoque le peu d'empressement des chaînes officielles égyptiennes à diffuser 'Amr Khaled, en dépit de son succès.
- Deux articles (1 et 2 dans Al-sharq al-awsat à propos du clip saoudien et de son réalisateur.
Culture & Politique arabes