Les Cités Obscures, T10 et T11 : La Théorie du Grain de Sable - Benoît Peeters

Par Belzaran


Titre : Les Cités Obscures, T10 & T11 : La Théorie du Grain de Sable
Scénariste : Benoît Peeters
Dessinateur : François Schuiten
Parution : Août 2007 & Septembre 2008


La série des « Cités Obscures », scénarisée par Benoît Peeters et dessinée par François Schuiten, présente un monde parallèle où l’urbanisme joue un rôle essentiel, de même que le pouvoir politique. Dans la théorie du grain de sable, on se retrouve ainsi à Brüsel. Dans cette mégalopole, une série d’évènements incongrus viennent troubler la quiétude des habitants. Un homme voit des pierres apparaître chez lui, une femme voit son appartement peu à peu envahi par le sable, un restaurateur perd peu à peu du poids sans perdre de son volume… D’abord anodins et finalement peu inquiétants, la proportion que vont prendre ces faits vont amener à une véritable panique.

« La théorie du grain de sable » présente deux tomes d’une bonne centaine de pages chacun. J’ai pour ma part eu en main un ouvrage présenté à l’italienne. Comme, évident, de nombreux coffrets et éditions plus traditionnelles sont apparues, j’ai tenu à vérifier si cette bande-dessinée avait bien été faite pour être lue ainsi, et il semble que ce soit le cas. Je ne peux que donc vous conseiller d’éviter si possible les éditions au format classique qui, en soit, dénature le travail des deux auteurs.

Tout démarre donc de façon anodine. Une femme trouve du sable chez elle. Elle le met dans une poubelle et a peur que les éboueurs ne lui vident pas sa poubelle. L’enchaînement des faits et leur accentuation va faire prendre une tournure pleinement fantastique à l’ouvrage. En cela, l’histoire m’a rappelé « La fièvre d’Urbicande ». Un fait étrange arrive, d’abord confiné. Et quand il finit par sortir du cadre privé (l’appartement), il devient source de crainte pour toute la population, avec les vents de panique qui vont avec.

Le pouvoir politique exerce un rôle ici très secondaire et pourtant essentiel. Quand un évènement est confiné, il s’en désintéresse complètement, malgré son incongruité. Résultat, les politiques réagissent toujours avec retard et surtout trop tard. Très terre à terre, ils tergiversent et hésitent. Mais curieusement, ils savent toujours tourner les évènements à leur faveur. Bien que ce ne soit pas l’élément central de cet ouvrage, Schuiten et Peeters aiment montrer combien le monde politique sait utiliser les évènements, quels qu’ils soient, pour mieux renforcer leur pouvoir.

Graphiquement, on retrouve le trait le Schuiten. Son traitement réaliste des personnages est déjà fort, mais c’est pour son dessin des villes qu’il se distingue particulièrement. Il donne véritablement vie à Brüsel, n’hésitant pas à développer de nombreuses perspectives appuyées. Il utilise ici un noir et blanc stylisé. Aussi bien capable de laisser des pages très blanches comme très noires, il maîtrise parfaitement les ambiances. Du très beau travail ! Surtout que le travail sur un format à l’italienne est forcément différent. Ce format est parfaitement utilisé, sans qu’une impression de déjà vu s’installe. La diversité des enchaînements de cases est à signaler. Sur les 230 que comptent les deux ouvrages, c’est presque une prouesse !

Cependant, graphiquement, un autre point ajoute du sel à ces livres. En début de lecture, on est persuadé d’avoir affaire à du noir et blanc pur. Faux ! Rapidement, on prend conscience que le papier est teinté et donc faussement blanc. L’apparition d’élément d’un blanc pur, d’abord rare puis plus imposant, amène une subtilité à l’ensemble. Evidemment, le blanc représente systématiquement un élément incongru (les pierres et le sable qui apparaissent, le cuisinier qui s’allège…). Au fil des pages, ces éléments prenant de plus en plus d’importance, le blanc devient également plus présent dans l’ouvrage. Alors que l’on pensait avoir un ouvrage en noir et blanc, on se retrouve finalement avec une trichromie noir-gris-blanc, le gris étant la couleur du papier.

Bien qu’il comporte quelques longueurs, cette « Théorie du Grain de Sable » comporte les éléments qui font que l’on aime « Les Cités Obscures ». Scènes de paniques, éléments inexpliqués, personnages emblématiques, ville écrasante… On est rapidement en quête d’une solution, voire qu’une explication à ces phénomènes déroutants. Le choc des cultures avec une contrée lointaine est également de la partie. Car en refermant le livre, on ne peut que se poser la question : « comment est-ce que je réagirais s’il m’arrivait la même chose ? »

par Belzaran

Note : 17/20