Sarkozy: où est parti l'argent de la prévention sanitaire ?

Publié le 21 décembre 2011 par Juan
Lundi, la réforme du contrôle du médicament a été définitivement adoptée à l'Assemblée nationale, après le rejet de quelques amendements votés au Sénat. Le ministre de la Santé Xavier Bertrand pouvait se féliciter, la nouvelle Agence du médicament était née. Il était temps. Cette réforme est devenue nécessaire et urgente depuis le scandale du Médiator des laboratoires Servier.
Xavier Bertrand s'est démené pour faire oublier que Jacques Servier était un ancien proche de Nicolas Sarkozy.
Le même jour, le Monarque visitait un hôpital avant de se rendre en Ardèche le lendemain pour discuter de la médecine de proximité.
Le contrôle du médicament...
Lundi, la nouvelle Agence du Médicament a été créée. Elle remplace l'AFSSAP. La réforme renforce le pouvoir de contrôle des intérêts pharmaceutiques et sanitaire. Il s'en est fallut de peu pour que le scandale du Mediator n'éclabousse la Sarkofrance. Jacques Servier, patron-fondateur des laboratoires éponymes, était un ancien client de Nicolas Sarkozy quand ce dernier était avocat d'affaires dans les années 80 et 90. Devenu président, Sarkozy avait personnellement décoré d'une Légion d'honneur son ami proche.
En novembre 2010, quand le scandale devient d'Etat, Xavier Bertrand venait de revenir au gouvernement. Il s'est depuis dépêché pour faire voter une loi réformant le contrôle des médicaments. C'est heureux.
Mais comme souvent, les crédits font défaut.
Dans le texte adopté lundi soir, le gouvernement a cependant fait rejeter les amendements de la gauche qui prévoyaient la possibilité d'actions de groupe. A droite, on n'aime pas ces initiatives collectives si dangereuses pour le Big Business. Le Sénat passé à gauche voulait aussi interdir tout lien d'intérêts aux dirigeants d'autorités sanitaires. Amendement refusé. Justement, le Figaro.fr a révélé mardi qu'un ancien membre éminent de cette dernière institution avait été rémunéré quelque 1,2 million d'euros par... les laboratoires Servier entre 2001 et 2009.
Au final, le programme « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins » affiche un budget en hausse. Aurait-il échappé à la cure de rigueur ? Scandale du Médiator ou du Bisphénol A; crise de la grippe A, envolée du cancer, les motifs d'inquiétude sanitaire étaient suffisamment importants pour que le gouvernement soit prudent en cette veille d'élection.
Et pourtant...
... sans crédits ?
Le rapport de la députée écologiste Anny Poursinoff, en novembre dernier, fut à peine commenté. On ne pensait qu'à notre Triple A, à cause d'un obsédant vacarme alimenté par l'Elysée. La quasi-totalité des missions voient leur budget écorné.
Au total, les crédits votés se chiffrent à 738 millions d'euros, en progression de 27% par rapport à 2011. En fait, cette hausse tient à deux postes uniquement, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et l’Établissement de prévention et de réponse à l'urgence sanitaire (EPRUS). Et il ne s'agit que d'un artifice comptable: les anciennes taxes et redevances de l’industrie qui étaient affectées à l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) ont été remplacé par une contribution directe de l'Etat de 134 millions d'euros pour financer la nouvelle Agence du Médicament.
Si la députée se félicitait de cette dernière création, une « grande grande avancée de nature à réduire certains liens directs avec les laboratoires », elle s'est inquiétée de la baisse quasi-généralisée des autres crédits en matière de surveillance sanitaire et de prévention: « Votre rapporteure pour avis déplore que la prévention et la sécurité sanitaire subissent des restrictions budgétaires dans le cadre de la révision générale des politiques publiques et une réduction des effectifs. Il ne s’agit d’ « économies » qu’à très court terme. La rhétorique de « maîtrise des dépenses » et de « redéploiement des ressources » nuit à la prévention sanitaire, qui doit s’inscrire sur la durée. » écrivait-elle en introduction de son rapport.
1. Le pilotage de la politique de santé publique (action n°11) perd 3% de ses crédits, à 84 millions d'euros l'an prochain.
Cette mission recoupe notamment la subvention à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, qui a été réduite par rapport en 2011 alors que l'incroyable scandale du Mediator annonçait au contraire des besoins supplémentaires. En effet, la députée relève que « ce recul est d’autant plus étonnant que la loi de finances rectificative du 29 juillet 2011 a élargi sa mission à l’indemnisation des personnes victimes du Mediator. » L'office doit indemniser les victimes qui en font la demande, avant d'intenter « contre le responsable une action récursoire lui permettant de récupérer les sommes versées et, éventuellement, le montant d’une pénalité pouvant atteindre 30 % de l’indemnité. »
Tout aussi surprenant (ou hypocrite), l'Institut de veille sanitaire se voit également moins doté l'an prochain, à 54 millions d'euros (-3%) et 19 postes supprimés (sur 443). Pourtant, le ministre Xavier Bertrand a ajouté une mission supplémentaire à l'IVS, la préparation du Plan National Santé Environnement 2, une enquête portant sur 5.000 personnes de 6 à 74 ans pour évaluer l'exposition des Français à une centaine de substances (dont le bisphénol qui fait toujours polémique).
2. L'accès à la santé et l'éducation à la santé (action n°12) est stable, à 31 millions d'euros. Ce poste concerne l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé. Mais cela fait deux ans que l'INPE pâtit d'une surévaluation manifeste de l'une de ces recettes, le produit d'une taxe sur certains produits alimentaires qui est systématiquement prévue à 3 millions d'euros, alors qu'environ 300 000 euros seulement sont collectés annuellement.
3. La prévention des risques infectieux (action n°13) recevra 10 millions d'euros, en progression de 4% (+400 000 euros, une misère). La lutte contre les MST absorbe l'essentiel, soit 7 millions d'euros (c'est tout ?). La lutte anti-vectorielle (contre les insectes vecteurs de maladies) a pris une autre ampleur depuis les ravages du chikungunya dans les Caraïbes et à la Réunion.
4. La prévention des maladies chroniques perd 2 millions d'euros en un an (-4%), et totalisera 67 millions d'euros. En particulier,
  • L'Etat a terminé son engagement en faveur du plan pour l'amélioration de la qualité de vie des malades chroniques (information des malades, financement des soignants, expérimentation éducative des patients). Quelque 151 millions d'euros restent financés par l'Assurance Maladie.
  • L'Institut national du Cancer perd 5% de subventions publiques (3 millions).
  • Le fameux plan Alzheimer 2008-2012 si cher au président Sarkozy est en fait financé... par l'Assurance maladie et la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) pour son volet médico-social et sanitaire. L'Etat conserve le financement de la recherche. Mais rappelez-vous, en juillet dernier, Nicolas Sarkozy se félicitait de la création de Maisons pour l'autonomie et l'intégration des malades Alzheimer. Il ne s'agissait que d'une expérimentation, dotée d'une aide publique qui a depuis fondu comme neige au soleil: 1,8 millions d'euros en 2009, 200 000 euros en 2010 et 150 000 euros cette année.
5. La prévention des risques liés à l'environnement, au travail et à l'alimentation a bénéficié d'un redéploiement similaire, +2 millions d'euros, pour atteindre 22 millions d'euros l'an prochain. Les « Réponses aux alertes et gestion des urgences»  (crises sanitaires notamment) récoltent également 7 millions supplémentaires, pour atteindre 27 millions d'euros.
6. Les « projets régionaux de santé » perdent 7 millions d'euros (action n°18). Ils sont évalués à 182 millions d'euros en 2012, en baisse de 3,8% versus 2011 . Ces crédits sont complétés par une participation de l'Assurance Maladie pour 40 millions d'euros. Ces PRS ont été créés par la réforme hospitalière de 2009.
Sarkozy, en campagne
Dimanche, Xavier Bertrand était sur le terrain. La visite fut ratée. Sarkozy inaugurait une extension de la résidence Hyppolyte-Noiret à Fouilloy, dans la Somme. Mais la directrice de l'établissement picard lui a dit qu'elle manquait d'effectifs pour assurer correctement ses soins. Devant les journalistes présent, la critique faisait mauvais effet...
Lundi, Nicolas Sarkozy avait préférer une visite surprise au centre hospitalier d’Argenteuil (Val-d’Oise). « Loin des caméras » paraît-il... Il voulait surtout que cela se sache. Il tenait enfin une promesse... un fait si rare qu'il en était remarquable: il a rendu visite à l'infirmière Martine invitée du plateau de TF1 en janvier 2010 lors de son émission Face aux Français...
Cette dernière a pu lui montrer la salle d'attente de 26 mètres carrés, encombrée de malades en attente de chambres. « Le président comme Xavier Bertrand semblaient à l’écoute mais je ne sais pas si les choses vont changer pour autant. Je ne suis pas naïve. Mais si sa venue peut changer même un tout petit peu nos conditions de travail ou l’accueil des patients, alors ce sera déjà énorme ». Mais l'infirmière Martine ne se fait aucune illusion.
Mardi, il avait mobilisé 150 CRS pour un déplacement expresse en Ardèche, aux Vans, « au chevet de la médecine rurale », nous promettait le Dauphiné Libéré... Coût estimé du voyage: 80.000 euros, pour deux petites heures sur place et un aller-retour en jet présidentiel via l'aérodrome de Lanas. Carla était partie avec Giulia à Marrakech. Nicolas s'est arrêté dans une station médicale, pour s'afficher aux côtés de médecins et infirmiers/ères, puis enchaîner avec un court déjeuner avec des médecins libéraux un peu plus loin à Joyeuse, 1600 habitants...   « Vous avez besoin que le monde politique comprenne vos problèmes. Ce n'est pas toujours le cas » a-t-il lâché aux premiers, attablé devant quelques viennoiseries et du jus d'orange.
Jeudi, il ira dans un Resto du Coeur.
Il « reste sur le pont », c'est-à-dire en campagne.
Sans l'avouer.