Philippe Denis (anthologie permanente)

Par Florence Trocmé

Astreint à l’errance, à cette manière d’aller sans rendez-vous, dans le dehors taillé à même l’idée qu’on se fait de l’air, on chausse une langue. 
 
Qu’importe la claudication, l’indolence, le discrédit : les langues n’ont pas vocation à anticiper nos vertiges, partager nos balancements.  
 
Elles ne sont pas des patries. 
Elles ne nous protègent pas de la mort. 
 
Ici – elles sont la crudité de la rave. Là – le goût d’un abat.  
 
Plus banalement – quant à moi – ne regimbant pas à allier de l’inaudible à la perspicacité d’un silence, j’ai chaussé celle-ci : la française, à seule fin d’atténuer le bruit étouffé de mes pas.  
 
 
 
« C’EST UN VRAI LIVRE ! ». Dans la bouche d’un carrier, c’est une discrimination. 
 
Elle suggère son désarroi d’avoir fait venir à lui une pierre qui se délite, et de laquelle dépendait le meilleur de son ouvrage : la clef de voûte. 
 
A l’occasion, j’en ai embrassé la manière, goûté l’amertume ; lorsque – cocassement – au lieu d’exciper des pages, je halais des fantômes dont l’agrégat concourait, en tout et pour tout, à initier de l’effroi.  
 
Philippe Denis, revue Rehauts, n° 28, pp. 4 et 5 
 
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Aussi qui éprouve avec énergie 
se maintient. L’oiseau même 
se déploie dans son chant, rectifie 
son orbe. Bien qu’il soit captif, 
son chant puissant 
atteste que satisfaction est chose 
ordinaire, joie chose pure –  
               le mortel 
               l’éternel 
 
 
  Marianne Moore 
 
 
5. 
 
- un point 
- une légère atrophie du temps 
- une grosse de pensées bouillantes 
 
c’est  ce qui reste à ranger 
à mettre dans les cartons 
avec cette phrase mal calibrée 
qui a résisté au froid 
 
… 
 
sous l’étal 
de quoi donner à qui 
un rire, 
une parole 
 
 
Philippe Denis, Alimentation générale, La Dogana, 2011, pp. 63 et 73 
 
Philippe Denis dans Poezibao :  
bio-bibliographie, ext. 1, ext 2