Tchernobyl, l’échec du communisme bureaucratique

Publié le 04 mars 2008 par Argoul

Le 26 avril 1986, à 1 h 23 mn 4 s du matin, le réacteur n°4 s’emballe subitement. Une quarantaine de secondes plus tard, deux formidables explosions secouent le site. Selon Grigori Medvedev, l’ingénieur en chef qui construisit la centrale de Tchernobyl, « une boule d’énergie électrique, légèrement aplatie et mesurant près de 7 m de diamètre et 3 m de hauteur, s’est formée dans le tiers supérieur de la zone active du réacteur. Près de 50 tonnes de combustible nucléaire se sont alors évaporés sous l’impact de cette boule et ont été projetées dans l’atmosphère, à une hauteur variant entre 1 et 11 km. » p.42

Galia Ackerman, journaliste à Radio France Internationale, historienne de formation, chercheur associé à l’Université de Cean et parlant couramment le russe, a enquêté pour une exposition à Barcelone, sur le sujet. Cet « accident » survenu au pays du « socialisme réalisé » montre combien l’idéologie, le scientisme et la bureaucratie peuvent mener un peuple à la catastrophe.

L’idéologie a privilégié l’activisme, le pharaonique, et le secret. Activisme autoritaire : « Fort d’une idéologie nouvelle qui prônait le dévouement total du citoyen à sa patrie socialiste, l’Etat sacrifiait ses sujets, par milliers ou par millions, selon les circonstances, pour assurer sa marche glorieuse vers un avenir radieux et briser toute velléité de résistance chez ceux qui ne voulaient pas marcher au pas. C’est aussi ce qui s’est produit à Tchernobyl. » p.15 Le pharaonique ne coûtait « rien » puisque les hommes-fourmis étaient innombrables et corvéables à merci. Le pharaonique servait l’ego surdimensionné des bureaucrates qui s’étaient hissés à la tête du Parti avant-garde. « De l’utilisation de détenus du Goulag, sous Staline, à l’exploitation de jeunes komsomols dans les ‘chantiers du communisme’ sous Khrouchtchev et Brejnev, tous les moyens étaient bons pour fournir une main-d’œuvre très peu coûteuse à des projets colossaux comme, par exemple, ceux des centrales hydroélectriques du Dniepr ou de Bratsk. » p.18

Le secret était le ressort du pouvoir de l’élite dirigeante : « Les données précises ont été occultées par les autorités soviétiques désireuses de sauver la face devant le monde extérieur et devant leur propre peuple. » p.11

Avant 1986, nombre d’accidents s’étaient déjà produits mais, « à l’exception d’une vague allusion dans la ‘Pravda’ (qui signifie la Vérité !) en 1982, aucun de ces 11 accidents, sans compter les centaines d’incendies, ne fut rendu public. » p.27

Le scientisme, issu de la pensée de Marx, est une perversion de la Raison les Lumières. « Les bolcheviks rêvaient de devenir non seulement les maîtres des hommes, mais aussi de la nature, les maîtres de l’univers. ‘Le communisme, c’est le pouvoir soviétique plus l’électrification de tout le pays’, proclama Lénine en 1920. » p.17 L’URSS, dotée de gaz, de pétrole et de nombreuses rivières, n’avait nul besoin de centrales nucléaires. Mais l’idéologie de conquête de la nature et le fantasme de toute-puissance mondiale ont forcé dès 1954 la construction de tels symboles technologiques, dérivés du militaire. Surtout, « le personnel des centrales avait été élevé dans l’idée qu’un réacteur nucléaire ne pouvait pas exploser. » p.47 Il s’agit de croyance par défaut d’information, parce que l’idée même d’une incertitude technologique était impensable à l’idéologie, sensée détenir la « seule » méthode « scientifique » pour parvenir à la Vérité.

Photo du satellite Spotimage le 6 mai 1986 :

La bureaucratie du Pari s’est bien sûr emparée de cet instrument de pouvoir aussi symbolique que dompter l’énergie de l’atome. « Bien que supervisées par l’Institut de l’énergie nucléaire Kourtchatov de Moscou, leur construction et leur exploitation (des centrales) se trouvaient en fait entre les mains des apparatchiks du Parti. Or, pour ces apparatchiks, seule la réalisation des plans quinquennaux importait. (…) On construisait à la va-vite, sans investir suffisamment dans la formation de cadres compétents. » p.26

 

Aucune bureaucratie n’a d’âme et tout humanisme se perd dans les règlements « neutres » des bureaux cloisonnés : « La Commission gouvernementale eut automatiquement recours à la logique stalinienne où seule la victoire compte, alors que les pertes militaires ou civiles n’ont aucune importance. » p.78 Aucune décision d’ensemble, rejet de responsabilité, je-m’en-foutisme, tels sont les maux des bureaucraties. « L’académicien soviétique Legassov : « impréparation, gabegie, effroi… C’était exactement comme en 1941, mais en pire. » p.81

Conséquences : criminelles.
« Naturellement, il fallait étouffer au plus vite cette affaire. Le Politburo prit alors une décision ingénieuse. Dans ses protocoles du 8 mai, on lit : ‘Le Ministère de la Santé de l’URSS a décrété les nouvelles normes de niveaux admissibles en matière d’irradiation de la population par des rayonnements ionisants, supérieures de 10 fois par rapport aux normes précédemment en vigueur. Dans certains cas, il est possible d’augmenter ces normes jusqu’à 50 fois. » p.84 La viande provenant des régions contaminées sera utilisée « pour la confection de charcuterie, de conserves et de produits cuisinés, en la mélangeant avec de la viande normale, en proportion de 1 pour 10 », a décidée la bureaucratie, « texte signé par le président du Comité d’Etat à l’agro-industrie, Vsevolod Mourakhovki » p.110 Bilan : près d’1 million de liquidateurs du site contaminés, 116 000 personnes déplacées, souvent trop tard, près de 20 000 morts, 200 000 invalides selon Gueorgui Lépine (rapport au colloque de Berne, 12 novembre 2005). 9 millions de personnes vivent toujours sur des terres plus ou moins contaminées.

Les pays « libéraux » peuvent avoir des accidents similaires ou commettre des bévues bureaucratiques du même genre telles sang contaminé ou vache folle - mais l’opinion ne tarde pas à le savoir et les têtes tombent, les procès jugent et indemnisent, les procédures sont changées. Pas dans une société où l’Etat est tout-puissant !

Tchernobyl, retour sur un désastre, Galia Ackerman, 2006, Folio Documents, 163 pages

Pour en savoir plus :

  • Sur l’économie russe 2008, Le Blog Boursier
  • UNICEF
  • “J’ai travaillé à Tchernobyl”
  • Dissident media
  • Cité des Sciences
  • Le Temps Stratégique, Genève
  • ONU et communiqués de presse
  • CRIIRAD France
  • Le Monde.fr et les photos de Galia Ackerman
  • Les Enfants de Tchernobyl, centre médical français de Kiev Institut de veille sanitaire
  • France, bilan sur les cancers thyroïdiens 2006
  • Radio Tchernobyl
  • Archives Comité Bandajevsky
  • Agence pour l’Energie Nucléaire rapport 2002 sur Tchernobyl
  • Réseau Sortir du Nucléaire
  • Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire
  • Greenpeace France sur les victimes
  • L’Express 2006 Les héros oubliés de Tchernobyl