Les noirs de l'Élysée

Publié le 28 décembre 2011 par Unmondelibre

Une revue de Noël Kodia – Le 28 décembre 2011. Définie par François Xavier Vershave comme le plus long scandale de la France, la Françafrique est au centre de la réflexion de Calixte Baniafouna dans une étude en deux volumes publiés aux éditions L’Harmattan, 2009 : « Les Noirs de l’Elysée : Un palais pas comme les autres ». Le mérite de cette étude se fonde sur le résultat d’un travail de bénédictin qui retrace le mariage de circonstance entre l’Elysée et ses ex-colonies quand celles-ci obtiennent leurs indépendances. La lecture du volume 1 nous ouvre les portes de l’Elysée, « un palais pas comme les autres » où De gaulle va créer la Cellule africaine qui va s’occuper spécialement de la politique et de l’économie des pays nouvellement indépendants et qui se transformera plus tard en « Françafrique ». Et cette réflexion de Calixte Baniafouna pourrait se résumer en trois « révélations » pertinentes.

De Gaulle et Foccart : les précurseurs de la Françafrique

De Gaulle arrive au pouvoir quand se pose le problème de la gestion des colonies ; il leur accorde l’autonomie administrative avec des régimes politiques structurés autour d’une ethnie ou d’un clan minoritaire. En 1960, est créée à la Présidence française la Cellule africaine de l’Elysée qui va travailler pour ou contre chaque pays africain selon les intérêts en jeu. Car dans la signature de partenariat avec ses ex-colonies pendant les indépendances, la France mise sur le partage inégal et, pour tout dire, le pillage de leurs richesses. Les prix des matières premières sont fixés en France. Certains dirigeants africains, même impopulaires, sont maintenus au pouvoir grâce à la Cellule africaine de l’Elysée qui les charge de veiller à la sauvegarde des intérêts français dans leur pays. Et le livre de nous révéler que Jacques Foccart à la tête de la Françafrique a eu à démolir certains régimes qu’il jugeait dangereux pour la politique impérialiste de la France sur le continent. Et jusqu’aujourd’hui, après la disparition de De Gaulle et de ses successeurs, l’Elysée abrite toujours la fameuse Cellule africaine dont les missions n’ont pas changé. Aussi, au XXIe siècle, le destin des pays africains est toujours confisqué par l’Elysée depuis l’ère De gaulle. L’Afrique francophone doit garantir le vote français aux Nations unies. A travers la Francophonie, la France s’efforce à contrecarrer l’hégémonie grandissante de la culture anglo-saxonne.

L’Elysée : un palais bien structuré

La majorité des dirigeants noirs cooptés par l’Elysée ont été formés par l’école coloniale. Des présidents qui en général vouent une haine contre les intellectuels « révolutionnaires » mais aussi ceux qui œuvrent pour les Droits de l’homme. L’Elysée préfère les dirigeants douteux, des dictateurs qui n’hésitent pas à piller les ressources de leur propre pays en amassant l’argent avec la complicité de leur famille. Des dictatures dont l’auteur nous révèle l’esprit de domination, le refus de débats contradictoires car ayant toujours le monopole de la raison. On remarque, à travers leur pouvoir, une démocratie de façade depuis la chute du mur de Berlin, la France ayant bien négocié son exploitation des matières premières avec les dictateurs, au détriment des « larges masses populaires africaines ». De Charles de Gaulle à Nicolas Sarkozy, la politique de la Françafrique a été la même : sauvegarder les intérêts français de quelques uns. Celle-ci se présente comme un univers d’influence réciproque : l’Elysée « donne » le pouvoir aux dictateurs africains qui, à leur tour, permettent à quelques multinationales françaises de se servir sans relâche dans leurs premières matières.

Les Noirs de l’Elysée : le malheur des peuples africains

Les dictateurs africains, tant qu’ils sont protégés par la France, ne craignent rien. Et la coopération « à la coloniale » est pérennisée à travers les sommets de la francophonie fondés sur l’influence politique, économique et culturelle. Ainsi, l’Elysée assure la tranquillité de certains dictateurs par la coopération militaire. Les opposants aux régimes installés sont matés car souvent hostiles aux intérêts de la Françafrique. A l’ère du multipartisme, des démocraties à la françafricaine sont installées au pouvoir en arrangeant les élections par le bourrage des urnes et en révisant les Constitutions pour effectuer une validation du pouvoir à vie. Mais dans tout cela, deux groupes de dirigeants se distinguent devant l’Elysée : les bons dirigeants qui obéissent aux règles du jeu de la Françafrique et qui sont protégés et les mauvais élèves qui sont « punis » car osant imposer des débats contradictoires avec l’Elysée.

Ce livre se révèle riche en informations sur l’histoire du continent de ces cinquante dernières années avec des portraits de la majorité des présidents qui ont marqué les relations franco-africaines, des indépendances à nos jours. Il apparait comme l’une des réflexions les plus fouillées réalisée par un Africain. Un livre enrichi par une bibliographie épaisse sur l’histoire de la France, des pays africains d’après les indépendances ainsi que des relations franco-africaines, bibliographie suivie des annexes pertinentes sur le sujet fort bien maîtrisé par l’auteur.

Aussi, la suite de cette réflexion qui se poursuit dans le volume 2 intitulé « Les Noirs de l’Elysée : Des présidents pas comme les autres », invite à une autre revue du livre pour continuer à découvrir les rapports entre l’Elysée et les dirigeants africains à travers la Françafrique.

Noël Kodia est essayiste et critique littéraire d’origine congolaise. Une version de cette revue avait paru en 2010 sur www.UnMondeLibre.org