Raison et sentiments

Par Borokoff

A propos de A dangerous method de David Cronenberg 4 out of 5 stars

Michael Fassbender

En 1904, Carl Jung (1875-1961), un jeune psychiatre de la clinique du Burghölzli (Suisse), reçoit la visite d’une patiente peu commune, Sabina Spielrein (1885-1942) : une juive russe à la beauté et au charme envoûtants mais qui, traumatisée par un père très violent, se trouve atteinte d’hystérie. Le médecin suisse parvient à guérir la jeune femme qui devient sa maitresse. Marié,  pris de remords, Jung se confie à Freud dans une lettre datée du 23 octobre 1906, sans toutefois confier la teneur sexuelle de sa relation avec Spielrein, qui a entamé entre temps des études de médecine pour devenir… psychiatre.

Au début du XXème siècle, Carl Jung (Michael Fassbender) est d’abord un disciple de Freud (Viggo Mortensen) qu’il considère comme un « père ». Encore très influencé par le psychanalyste autrichien de 20 ans son ainé, Jung est fidèle aux méthodes de Freud et cherche dans le traumatisme de Spielrein (Keira Knightley) une origine purement sexuelle. Origine qu’il trouvera et qui permettra à la jeune femme de guérir de sa démence.

Keira Knighley

Mais Jung éprouve déjà des réserves voire une distance avec Freud dont il trouve le « pragmatisme rigide ». Jung aimerait élargir le concept d’« inconscient individuel » à un « inconscient plus « collectif ». Jung aimerait ouvrir la psychanalyse à d’autres champs de la connaissance comme la mythologie, l’anthropologie, l’alchimie ou la religion, domaines que Freud se refuse à intégrer à la psychanalyse, jugeant ces préoccupations comme des distractions.

Tiré d’une pièce de théâtre de Christopher Hampton, The Talking Cure, A dangerous method retrace l’histoire de cette relation intellectuelle, amicale et épistolaire bouillante entre deux des plus grands psychanalystes du XXème siècle. En 1914, Freud et Jung se disputeront et mettront fin à leurs rapports.

A dangerous method vaut d’abord pour son trio d’acteurs superbement interprétés par Mortensen, Knightley et Fassbender. La mise en scène de Cronenberg brille par son élégance et une rigueur classique qui frise parfois la froideur.

Viggo Mortensen, Michael Fassbender

Le réalisateur de Crash et History of violence dépeint en profondeur le portrait psychologique d’un éminent scientifique tiraillé entre son désir sexuel pour Spielrein (théoricienne de la « pulsion de mort » en psychanalyse et assassinée par les Allemands en 1942) et la culpabilité qu’il en éprouve. Dans ce climat d’ébullition scientifique et intellectuelle qui caractérise le début du XXème siècle, Jung va de découverte en découverte, à la fois influencé par Freud et de plus en plus sceptique quant aux limites de ses recherches et de ses théories. La rencontre avec Otto Gross (Vincent Cassel) va constituer comme un catalyseur pour Jung.

Gross (1877-1920), médecin autrichien, traumatisé par son père, toxicomane et névrosé, sera soigné un temps dans la clinique de Jung avant de fuir. C’est pendant cette courte période qu’il évoque en pointillé la future doctrine de « libération sexuelle » qu’il mettra au point quelques années plus tard. Un temps disciple de Freud, Gross a finalement pris le contre-pied de son maitre et sans doute convaincu Jung que Freud était trop obnubilé par l’origine uniquement sexuelle du traumatisme. Surtout Gross enlèvera à Jung une partie du poids de sa culpabilité de tromper « lâchement » et « honteusement » son épouse.

Alors dans cette reconstitution historique, précise et étayée, des années 1900,  le portrait psychologique de Jung n’en est que plus émouvant, atteignant son paroxysme dans une scène finale de retrouvailles tendue et majestueuse. Fassbender trouve là sans doute son meilleur rôle, en tout cas à la hauteur de son talent. En psychanalyste à la fois très intuitif et rongé par le doute, il campe un Jung tout en érudition et en remises en questions, aussi amoureux que bouleversant…

www.youtube.com/watch?v=1VQGe32hh_s

Film britannique et canadien de David Cronenberg, avec Michael Fassbender, Viggo Mortensen, Keira Knightley, Vincent Cassel (01h 39).

Scénario : 4 out of 5 stars

Mise en scène : 4 out of 5 stars

Acteurs : 5 out of 5 stars

Dialogues : 4 out of 5 stars