J’ai remarqué un phénomène intéressant dernièrement en regardant les réponses à l’un des messages récents de Jeremy Bloom sur RGB. Une grande partie du trafic provenait de deux sites de sensibilité chrétienne. Tous deux avaient préalablement affiché des liens vers un article séditieux de Pravda marqué par une mauvaise interprétation d’un billet ayant déjà fait sensation dans un poste du journal Nation. L’article en question, influencé par son penchant « pravdaesque », déclarait, ce qui est faux, que Monsanto avait acquis Blackwater. Jeremy y soulignait que ce n’était tout simplement pas vrai. Pour l’accréditer, les deux sites chrétiens ont posté les liens de cette correction sur RGB. Bien sûr, le site du Pravda est bourré d’articles de désinformation sur Monsanto et contient également une description fallacieuse d’une action charitable de la Fondation Gates en Afrique.
En tant que chrétien, je trouve troublant qu’un site se revendiquant de sensibilité chrétienne puisse croire avec autant d’indulgence un article provenant de Pravda. Le pasteur qui a envoyé le lien voyait dans cette information initiale une preuve de la « guerre contre les fermiers écologistes » (sans autre explications).
L’autre site chrétien est un forum ordinaire sur lequel des profanes peuvent poster des liens divers. Ces liens mènent à une grande variété de sujet. Ainsi, à côté de certains liens conduisant à des diatribes contre Monsanto, on trouve des sites qui prétendent qu’Obama est un « musulman radical masquant sa véritable identité« , un « anti-chrétien » ou encore Satan incarné. Satan lui même peut-il se cacher derrière Monsanto ou Obama ? Il semble qu’il y ait un véritable processus de « création d’ennemis sataniques » aussi bien parmi les écologistes de gauche que chez les religieux de droite.
La construction des mythes collectifs
Je proposerais d’appeler ce phénomène « Construction Collective de Mythes ». En voici les étapes :
– Des personnes trouvent un certain nombre d’informations sur une entité qu’ils ne portent pas forcément, au préalable, dans leur cœur (cela peut aller d’une entreprise à un représentant politique en passant par une nouvelle technologie, etc).
– Ces personnes font des interprétations douteuses sur l’entité choisie alors qu’elles manquent clairement de recul sur le sujet qu’elles montent au pilori (par exemple, prétendre que les fermiers en Inde « se sont donné la mort à cause des plants de cotons génétiquement modifiés qu’ils cultivaient » alors que c’est d’avantage leur système criminel de crédit agricole et les paiements du gouvernement en cas de décès qui ont encouragé ce sombre phénomènes à se produire bien avant l’arrivé des OGM).
– Ces collections de « faits » passent entre les mains de communautés en ligne, véritables organes de diffusion d’information, qui partagent les mêmes présupposés que leurs contributeurs et qui cherchent rarement à jouer le jeu de la contradiction (et ne proposent donc aucune alternative).
– L’information émise par ces sites est également exprimée dans un langage affecté (que l’on connait si bien) qui altère considérablement les composants du mythe par rapport au peu d’informations vraies impliquées dans le texte (par exemple avec des « tests de mise à mort« , ou encore Monsanto qui voudrait « s’approprier l’approvisionnement alimentaire du monde« )
- Avec le temps, beaucoup de ces « faits » combinés bâtissent de grands mythes qui deviennent incontestables au sein d’une communauté en perpétuelle construction. De plus, vouloir contrebalancer ou réfuter ces idées aujourd’hui requiert de vastes explications (malvenues), parfois même au prix de quelques années d’études.
– Comme pour n’importe quel bon mythe, toutes les nuances doivent être éliminées, et l’entité visée par ces divagations devient la représentation du mal incarné. Le but est atteint avec une puissance et une influence effrayante. Avec le temps, le mythe se gonfle et toute mise en perspective semble perdue. À cet effet, considérez par exemple le large pouvoir que certains attribuents au « monde juif » parmi les mythes antisémites fleurissant depuis la seconde moitié du 20ème siècle.
Pourquoi cela arrive-t-il ?
Ce processus de mystification n’est pas récent, mais il trouve un appui décisif dans l’épanouissement de l’internet et le déclin du journalisme traditionnel. Il y a des individus qui fabriquent consciemment des mythes pour des raisons politiques ou économiques, mais dans la plupart des cas les mythes se nourrissent de la crédulité de leur auditoire.