Pages nocturnes (11) - Ellroy

Publié le 18 février 2008 par Zegatt

Crâne lisse, fine moustache blanche, lunettes noires arrondies. C’est James Ellroy. Un corps svelte aux membres durs et contractés, une agitation incessante quand il parle, un mouvement récurrent d’avant en arrière. Il sent l’ex-marginal à plein nez, le type tourmenté, le passé sombre. Mais Ellroy, aussi bien dans son style que dans ses récits n’est pas du genre à faire dans la demi-mesure, et il en va de même pour sa vie, qu’il relate dans Ma part d’ombre.

  

La genèse d’Ellroy est marquée par le duel entre ses deux parents divorcés, son père âgé et menteur, et le meurtre de sa mère. Sa mère, cette salope alcoolique, comme la dépeint régulièrement le père. Tuée un soir de baise, à moitié éméchée, rayée de la carte par une de ses conquêtes masculines.

Et puis il y a le côté provocateur du jeune Ellroy, ses fausses tendances néo-nazis. Aussi la mort du père, quelques années plus tard. La chute dans l’alcoolisme et la drogue. Les années sombres, celles qui ont donnée naissance au style incisif d’Ellroy, à ses récits survoltés, à son goût des femmes, à son amour du glauque et du crime. A son existence d’écrivain.

C’est tout cela qu’Ellroy raconte, toutes ces errances jusqu’à la quête de la mère disparue, la recherche de l’assassin et surtout, par l’intermédiaire du meurtre, la recherche de la vérité sur celle qu’était Jean Ellroy, la vraie. L’ensemble ne fait pas dans le compromis : Jean Hilliker Ellroy y est dépeinte dans son intégralité, l’alcoolique qu’elle était, la mère tantôt aimante, tantôt désepérée, amatrice de sexe… James Ellroy ne s’épargne pas non plus, évoquant ses fantasmes adolescents, son admiration malsaine pour le Dalhia Noir, son voyeurisme et ses prises de drogue mêlée aux illusions sexuelles.

Le tableau est sombre et vivant, agité, peuplé de “pédés”, de “nègres”, de violeurs, de “dos-mouillés” (les latinos clandestins), de flics ripoux, de tueurs possesifs, de “zones de largage” (pour se débarasser des cadavres), de haine et de fascination, de corps démembrés, de duo père-fils d’assassins/violeurs ou encore de policiers racistes portés sur la castagne. Tout cet univers, décrit en termes crus et violents gravite autour de Los Angeles, dans un élan paradoxal d’amour et de répugnance savamment orchestré, les retrouvailles entre un fils et sa mère. La rencontre entre le roman noir et la littérature “noble”. Du grand art.

“Je savais que j’aurais dû pleurer. La mort de ma mère était un cadeau, et je savais que j’aurais dû payer pour le recevoir. (…) Si je ne pleurais pas, cela signifiait que je n’étais pas normal. C’est autour de cela que mes réflexions tournaient et retournaient.”

“L’homme de quarante-sept ans devait interroger le garçon de dix ans [Ellroy dans les deux cas]. Elle vivait dans mon champ de connaissances. Il fallait que je revive avec elle. Il me fallait exercer une pression mentale extrême pour aller vers notre passé partagé. Il fallait que je place ma mère dans des lieux imaginaires et que j’essaie d’extraire des souvenirs vrais au travers d’une expression symbolique.”