Rendez-vous, je suis cerné

Publié le 11 janvier 2012 par Powwow
Aujourd'hui, j'avais rendez-vous chez le cardiologue.  
Autant le dire tout de suite, les nouvelles sont bonnes. 
Pour lui. Avec le nombre de malades qu'il y a en attente de consultation, sa Mercedes va être payée rapidement, c'est sûr.
Je sais pas pourquoi, je me demande toujours si les médecins ont des diplômes. C'est mon côté angoissé, sûrement. Il me trouve cerné, normal, je suis fatigué, ça m'étonne pas trop. Je regarde les murs pendant qu'il me pose des questions, y a pas de diplôme d'accroché. Ah merde. Y a un grand panneau avec plein de dessins de coeur en coupe qui détaille les maladies coronariennes, pour me rappeler que je suis pas tiré d'affaire sans doute. Y a un autre grand panneau qui détaille le problème du cholestérol, et sur le panneau, le cholestérol c'est une grosse boule jaune de dix cm de large qui se balade dans des grosses artères de vingt centimètres de diamètre, comme si un gros mammouth bouffait un gros M&M's jaune, c'est tellement gros que je me demande si je suis pas chez l'ophtalmo en fin de compte. Mais non. En plus ils me prennent pour un con, j'ai jamais mangé des grosses boules de cholestérol comme ça, je sais pas d'où ça peut venir, les plus grosses boules jaunes que je mange c'est des pamplemousses.
Je lui fais alors remarquer intelligemment qu'on ne mange pas le pamplemousse avec la peau même avec des grosses artères et que ça m'étonne pas que les gens aient les artères bouchées s'ils mangent des pamplemousses en entier, il fait mine de m'écouter mais il est dans son truc à lire de la paperasse, les bilans sanguins et le compte-rendu de mon opération et à dicter des trucs sur son dictaphone avec plein de euh...euh...euh...
À chaque euuuuh un peu long, je me dis merde, il vient de découvrir un gros problème et il n'ose pas me le dire. Stratégie d'évitement. Bon pis il fait tellement de euhhh que je finis par me dire que je suis atteint d'un cancer généralisé.
  "-C'est grave mon cancer généralisé docteur? Dites-moi la vérité.
-De quoi vous parlez monsieur pow wow?
-Ben je vois bien, vous faites des euuuuh pour me cacher des choses, on m'a toujours caché des choses, déjà tout petit je...
-Euuuuuh, mais non rassurez-vous, je réfléchis, détendez-vous monsieur pow wow, TOUT VA BIEN. Vous êtes toujours tendu comme ça hein?
-Ah bon, je vais guérir de mon cancer généralisé alors? C'est une bonne nouvelle je trouve, je mangerais bien un pamplemousse moi."
C'est bizarre les docteurs. 
Ils n'ont pas la même vision des choses que nous. Il veut voir mes cicatrices. Je me déshabille, ça tombe bien, j'ai une culotte propre du mois de décembre et des chaussettes propres du mois de novembre. Y a quatre cicatrices. Une toute petite à l'aine de un ou deux cm, une de cinq cm à un poignet, une de huit cm à l'autre aine, et enfin la pièce maîtresse, une de vingt-cinq cm au sternum. Eh ben il trouve ça beau le mec. 
"-Ah dites-donc, elles sont belles vos cicatrices monsieur pow wow, c'est du beau travail, c'est bien cicatrisé, c'est joli comme tout, c'est bien.
-Mouiii euhhhh...je voudrais pas dire, joli je dirais pas ça comme ça, tout dépend de ce qu'on appelle joli, je vous signale que je vais devoir porter une cravate à la plage maintenant."
Je peux pas m'empêcher de penser que maintenant je suis prédécoupé pour les prochains médecins si ça m'arrivait encore.
"-On coupe où docteur?
-Tenez, coupez là, c'est bien là, c'est rembourré, y a de la place, tiens oui coupez là.
-Non docteur regardez, il est prédécoupé, faut juste suivre le tracé, c'est tout indiqué!
-Ah oui, chouette alors!"
S'il s'absentait quelques instants, je pourrais en profiter pour fouiller dans ses tiroirs voir s'il y a un diplôme quelque part. D'un autre côté, s'il s'absentait, que je fouillais et que je ne trouvais que des grilles de sudoku ou une boîte de Scrabble, j'angoisserais encore plus. Peut-être vaut-il mieux ne pas savoir. Si ça se trouve, dans ses tiroirs il y a une image de boeuf avec tous les morceaux prédécoupés en pointillés comme chez le boucher. Je me regarde furtivement et je me demande où sont situés le rumsteak et la bavette, chez moi. Je le regarde, et avec sa blouse blanche, je me demande si je suis pas chez le boucher. Tout ça n'est pas clair du tout, je sens le traquenard. Je regarde autour de moi en commençant à suer à grosses gouttes, il n'y a pourtant pas de couteaux fixés sur une barre magnétique, pas de trancheuse à jambon à l'horizon, il n'a pas un crayon de papier sur l'oreille le bougre, pas une tête de veau avec du persil dans les trous de nez qui traîne - ce serait un signe flagrant -, rien qui puisse trahir ses funestes passions morbides. 
Il m'a laissé partir, tout en me rassurant.
Si ça se trouve, je suis pas assez gras pour lui, d'où la vie sauve qu'il m'a laissée.
Faut que je maigrisse encore, je veux pas finir sur un étal, bardé de lard et de pruneaux.
Peut-être que je suis toujours un peu tendu, effectivement.