Swallow me whole (Powell)

Par Mo

Powell © Casterman - 2010

« Ruth et Perry, frère et sœur adolescent, entretiennent des secrets que le commun des mortels ne peut concevoir. Ruth, accumule compulsivement des bocaux remplis d’insectes morts avec lesquels elle communique. Perry est le seul à voir et à entendre un sorcier, qui lui ordonne de dessiner ses prophéties. Sauront-ils s’épanouir malgré tout ou vont-ils perdre pied dans les ténèbres ? » (synopsis éditeur).

« Ma vie a toujours ressemblé à ça. Je ne connais pas le monde autrement. C’est comme ça que je le comprends. Parfois, ça me sert à m’isoler de tout le reste. Et d’autres fois, ça arrive comme ça. C’est-à-dire que les créatures viennent à moi ».

Au début, Ruth et Perry ont une douzaine d’années. Leur grand-mère « Mamou » sort d’une longue hospitalisation mais elle ne peut plus vivre seule. Elle vient donc s’installer chez eux. Les enfants participent largement à la prise en charge de la vieille dame. Les années passent, les enfants deviennent des adolescents mais leurs hallucinations respectives persistent… un point commun qu’ils partagent d’ailleurs avec leur grand-mère.

-

« Swallow me whole » ou « Dévorez-moi tout entier » est un roman graphique sur l’adolescence. Si, pour certains, cette transition vers l’âge adulte s’est passée sans encombres pour d’autres, les bouleversements qu’elle génère ont été douloureux : conflit avec les parents, sentiment d’extrême solitude, idées suicidaires, peur de l’avenir… C’est cette adolescence houleuse que  Nate Powell a développé mais il ne traite pas cette question de manière frontale. Ainsi, il part d’un univers réaliste et emmène son histoire dans des excursions oniriques qui nous permettent de pénétrer dans l’esprit de ces enfants. Leur monde imaginaire prend ici une place si envahissante qu’il dessert parfois le propos de l’auteur.

L’auteur montre que deux individus d’une même famille – et jumeaux de surcroît – n’ont pas le même bagage émotionnel pour faire face aux angoisses de l’adolescence. Son scénario s’intéresse au fait que l’adolescent se sent en décalage par rapport aux autres et qu’il s’isole pour prendre du recul sur sa différence. L’auteur offre cependant une alternative à ce repli puisqu’en utilisant la gémellité de ses personnages, il permet un espace de dialogue où les phobies de l’un font écho aux phobies de l’autre. Ces confidences donnent de la consistance au scénario.

Mais Nate Powell prive son récit de nombreuses transitions pourtant nécessaires. En effleurant certaines questions propres à l’adolescence, en en occultant d’autres, il ne permet pas à son lecteur de s’investir dans son histoire. La lecture est saccadée, on reste spectateur. Pourtant, ce choix d’écriture fait bien ressortir le sentiment de mal-être de ses personnages. Il montre également l’impuissance des parents face à l’attitude de leurs enfants, ils sont déroutés. D’ailleurs, Nate Powell consacre un bref passage à développer ce point mais il l’étoffe si peu que j’en suis venue à me poser la question de son utilité. Quoiqu’il en soit, chaque élément du récit contribue à brosser le tableau d’une adolescence difficile, d’une quête d’identité douloureuse. Il met ses adolescents dans une impasse et le fait qu’il les affuble d’hallucinations visuelles et auditives crée un malaise. Ses personnages n’ont que peu d’alternatives face au choix réducteur devant lesquels on les a placés : folie ou raison ? la manière dont Nate Powell aborde la notion de la psychose n’est pas concluante selon moi : elle aurait mérité d’être un peu plus étoffé, elle donne un côté dramatique qui vire au mélo. Et puis, je trouve que cette folie est si atypique, si personnelle, que là aussi, cela m’a empêché de mettre mes propres mots, mes propres souvenirs de maux adolescents sur cette fiction… ce qui n’avait pas été le cas avec le Black Hole de Charles Burns qui utilise le même registre sémantique, recourt aux fantasmes et aux angoisses mais était parvenu à décaler le regard sur ces problématiques identitaires. De plus, je trouve la réflexion de Burns plus riche, plus percutante. Mais ce n’est pas l’avis de tout le monde, de nombreux lecteurs encensent cet album récompensé de l’Eisner Award “Meilleur Nouvel Album” en 2010.

Au niveau graphique, le dessin est sombre et impersonnel. Il passe en permanence du monde réel au monde imaginaire de ses personnages. Contrairement au scénario, les transitions sont fluides d’autant que Nate Powell soulage ses illustrations en s’aidant des voix-off des deux adolescents et les fait flotter dans ses visuels, à l’instar des dialogues qui sont enfermés dans les bulles. Pourtant, je trouve le rendu assez froid et impersonnel, le graphisme ne rend pas compte des émotions. De même, je trouve que le regard est mal guidé dans les planches, on perd les notions d’espace-temps et de profondeur à de trop nombreuses reprises.

Cette lecture me laisse assez perplexe. Tout d’abord, je regrette que l’auteur influence son lecteur dès le début de l’album. La façon dont il présente Ruth et Perry, les éléments qu’il donne sur l’un et l’autre font que cette histoire est cousue de fil blanc. La manière dont les jumeaux gèrent leurs hallucinations répand beaucoup trop d’indices tout au long de la lecture et les choix que les adolescents vont prendre ne m’ont absolument pas surprise.

Extrait :

« Qui eût cru qu’être parents, c’était se confronter à plus d’aliénation et d’incompréhension qu’à l’adolescence ? Et on en a encore pour dix ans à subir leur indifférence » (Swallow me whole).

L’avis de Choco, de Joëlle, de Lunch, de Lorraine et de Mango.

Swallow Me Whole

One Shot

Éditeur : Casterman

Collection : Écritures

Dessinateur / Scénariste : Nate POWELL

Dépôt légal : janvier 2010

ISBN : 2203029641

Bulles bulles bulles…

éé

Ce diaporama nécessite JavaScript.

––

Swallow me Whole – Powell © Casterman – 2010