L'art expliqué aux enfants: l'artiste et le coyote (by Stefania)

Publié le 13 janvier 2012 par Lifeproof @CcilLifeproof

Joseph Beuys, I like America and America likes me, performance, 1974

Chers lecteurs, cette fois je vais vous parler d’une oeuvre que j’adore et que je considère comme l’une des pièces les plus importantes dans l’histoire de l’art des cinquante dernières années!
Mais ce ne sera pas facile: il ne s’agit pas vraiment d’un objet (statue, tableau…), mais d’une performance. Pour vos parents, je vous renvoie à un ancien post de Christelle qui raconte l’histoire de ce médium, pour vous, mes chers petits lecteurs, j’essaierai de vous donner une explication pendant notre lecture.


Les images que vous voyez ci-dessus ont été prises en 1974 (voilà pourquoi elles sont en noir et blanc) dans une galerie de New York, pendant une action qui avait mis en scène l’artiste allemand Joseph Beuys. L’artiste était arrivé aux Etats-Unis par avion, enroulé dans une couche épaisse de feutre (le même tissu chaud avec lequel on fabrique les chapeaux des papis…) et avait été transporté directement à la galerie, où l’attendait un coyote (une espèce de loup sauvage originaire des Amériques).
Puis, il avait passé trois jours enfermé dans cette galerie en compagnie du coyote, la plupart du temps enroulé dans le feutre, mais parfois sans, comme vous pouvez le voir dans les photos.

Est-ce cette “action” une œuvre d’art? Peut-on la revoir aujourd’hui dans un musée?
Cette action, et toutes les actions que les artistes mettent en scène comme une pièce de théâtre, auxquelles est parfois convié le public (le public de cette œuvre restait en dehors de la galerie et pouvait voir l’intérieur à travers des vitres) s’appellent “performances”.
La plupart des fois, pendant une performance, on prend des photos de l’événement ou on tourne un film qui sert à documenter ce qui s’est passé, pour tous ceux qui ne peuvent pas être présents et qui pourront revoir l’œuvre même des années plus tard. Joseph Beuys n’a pas souhaité tourner un film “officiel” de sa performance, mais les photos de l’événement ne manquent pas.


Pourquoi Joseph Beuys a produit cette performance? Que voulait-il nous communiquer?
D’abord qu’une œuvre d’art n’est pas un objet à fixer à un mur ou à admirer pendant des siècles dans des églises ou des palais. Elle peut être aussi un geste fait par quelqu’un, une action qui ne survit pas à l’histoire autrement qu’à travers des clichés.
Heureusement pour les directeurs de musées ou les galeristes, l’avis de Joseph Beuys n’est pas celui de la plupart des artistes! Sa position était très radicale, c’était une vraie critique du marché de l’art, des galeristes et des collectionneurs qui voulaient posséder un objet d’art.


Venons maintenant à notre oeuvre. Pourquoi un coyote? Cet animal est le véritable symbole de l’Amérique  et nous fait penser aux immenses étendues désertiques du centre des Etats-Unis (vous vous souvenez des paysages des dessins animés de Bip bip le Coyote?). Il ne peut pas être apprivoisé, comme le loup. L’enfermer dans une galerie à Manhattan au beau milieu des grands bâtiments et du béton peut être aperçu comme un geste cruel, vous ne trouvez pas?


Mais l’artiste s’enferme lui aussi dans la même galerie, en partageant le même sort du coyote. Au début, l’animal ne l’aime pas, lui déchire le feutre, il gronde et ne l’approche pas. A la fin, après s’être reciproquement habitués, les deux s’approchent de la vitre et commencent à regarder ensemble le monde à l’extérieur. 
L’artiste (un européen) a réussi à apprivoiser le coté le plus sauvage de l’Amérique (le coyote), en ne le domptant pas avec cruauté ou superiorité, mais en partageant le même espace et le même air.
Joseph Beuys aimait la nature et pour lui les Etats-Unis étaient le symbole de l’opposition entre homme et nature et de la supériorité présumée de l’homme sur cette dernière. La cohabitation avec la nature dans une forme dangereuse (le coyote n’est pas forcement le plus gentil des animaux!) démontre qu’un rapport basé sur le respect et sur la communication est celui qui ouvre la voie à une nouvelle façon de voir la place de l’homme dans le monde. Et cette façon est résolument moderne, bien que Beuys nous la proposât il y a 40 ans!

Le titre de cette performance, “J’aime l’Amerique et l’Amerique m’aime” condense cette dernière signification en éclairant un petit peu cette oeuvre dense de contenus pas toujours faciles à approcher.

Et pour l’explication sur l’emploi du feutre et sur l’amour de Beuys pour les animaux rendez-vous au prochain post!