élisons sur le champ un patron d’agence de notation !

Publié le 13 janvier 2012 par Mister Gdec

Au moment même où l’on annonce la dégradation de la note française par Standard&Poors, j’ai jugé opportun de vous faire partager ce billet. Gagnons du temps, annulons les élections présidentielles, ce qui nous fera économiser de l’argent, et élisons d’emblée un patron d’agence de notation !

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Tribune de Leila Chaibi et Simon Cottin-Marx (l’Appel et la Pioche) avec Guillaume Etievant (économiste, Fondation Copernic) parue dans Rue 89 aujourd’hui.

Nous soutenons la candidature de Marc Ladreit de Lacharrière, propriétaire de l’agence de notation Fitch Ratings, à l’élection présidentielle de 2012.

  • Lucas Papademos, ancien vice-président de la Banque centrale européenne, est aujourd’hui à la tête de la Grèce ;
  • en Italie, Mario Monti, un ex-consultant de Goldman Sachs, la banque qui a aidé la Grèce à maquiller ses comptes, tient les rênes du pouvoir ;
  • en Espagne, l’ancien président exécutif de Lehman Brothers, Luis de Guindos, a été nommé au ministère de l’Economie.

En France aussi, « rassurer les marchés » est la priorité de la plupart des partis politiques en lice pour 2012, de l’UMP au PS, comme au MoDem. Alors, qui de mieux placé que le patron de Fitch Ratings pour « rassurer les marchés » et garantir à la France la conservation de son triple A ?

Thermomètres


Marc Ladreit de Lacharrière à l’université d’été du Medef le 4 septembre 2008 (Charles Platiau/Reuters)

Si Ladreit de Lacharrière ne s’est pour l’instant pas déclaré candidat pour 2012, c’est sans doute parce que cela ne lui apporterait rien : il gouverne déjà. Les agences de notation sont au cœur de la crise que nous traversons. Le moindre risque de dégradation de la note d’un Etat entraîne des hausses de taux d’intérêts et donc une progression considérable de la dette publique.

Les gouvernements se servent ensuite de cette situation dans toute l’Europe pour justifier leurs plans de rigueur. Avec, à la clé, une réduction drastique des dépenses publiques : diminution du nombre de professeurs, baisse des crédits alloués à la santé, à la protection sociale, aux services publics.

Marc Ladreit de Lacharrière, plein d’humilité, explique comme tant d’autres que les agences de notation ne sont que des « thermomètres ». Pourtant, les trois principales agences de notation (Standard & Poor’s, Fitch et Moody’s) ont eu une responsabilité directe et désormais bien connue dans la crise des subprimes initiée en 2008 : les produits dérivés spéculatifs les plus risqués avaient reçu d’excellentes notes de leurs parts.

Ces trois « thermomètres » étaient-ils alors gelés ? Bien au contraire : ces agences ne demandent pas à être payées par les Etats pour leurs « services » mais par les banques dont elles notent les produits financiers. De quoi faire réfléchir à deux fois avant de dégrader leurs notes…

Double casquette

Mais le rôle dévastateur des agences de notation ne s’arrête pas là. Elles notent également les grandes entreprises pour juger de leur capacité à rembourser leurs emprunts. Gel des salaires, délocalisations, plans sociaux… Toutes les économies sont bonnes à prendre pour renforcer les taux de marge opérationnelle afin d’éviter la dégradation de leurs notes et la progression des charges de remboursements d’emprunts qu’elle induit.

Par exemple, Fitch Ratings incite fortement le groupe Renault à délocaliser ses productions. Dans son rapport publié en juin, l’agence se satisfaisait de la mise en place de « mesures de réduction des coûts et de délocalisation de la production à l’extérieur de l’Europe de l’Ouest ».

Fitch est rémunérée par Renault pour noter sa stratégie et sa santé financière. Nul doute sur sa parfaite connaissance du dossier… puisque le propriétaire de cette agence, Marc Ladreit de Lacharrière, est également actionnaire et membre du conseil d’administration de Renault !

Grâce à cette double casquette, Marc Ladreit de Lacharrière est à la fois celui qui « conseille » aux entreprises de délocaliser, et celui qui empoche une partie des bénéfices de ces délocalisations.

Et si cela ne suffisait pas, Philippe Lagayette, ancien responsable de l’administration du Trésor public français, est à la fois membre du conseil d’administration du géant français de l’automobile et de Fitch Ratings. Le business est lucratif : Fitch Ratings a atteint 525,6 millions d’euros de chiffre d’affaires lors de l’exercice sur 2010-2011 et dégagé un bénéfice opérationnel courant de 162,8 millions, en hausse de 13,4%.

La 71e fortune de France

Marc Ladreit de Lacharrière est grassement rémunéré pour son sens des affaires. Son salaire s’établit chaque année à 1,8 million d’euros auxquels s’ajoutent les dividendes perçus, notamment par le biais de sa holding Fimalac. Sa fortune s’élève à plus de 700 millions d’euros, ce qui en fait la 71e de France.

Début 2011, François Fillon a récompensé M. Ladreit de Lacharrière de la Grande Croix de la Légion d’honneur. Pour la nation reconnaissante, les mérites du richissime patron sont en effet nombreux : profit à court terme et fermetures d’usine, délocalisations, plans sociaux…

Les 203 salariés ayant été licenciés de l’entreprise Facom dont il était propriétaire peuvent en témoigner : la délocalisation de la production à Taïwan a permis à Fimalac, la holding de « MLL », d’empocher 20 millions d’euros. Délocalisation apparemment inévitable puisque « conseillée » par les agences de notation, Fitch Ratings en tête !

L’itinéraire de Ladreit de Lacharrière est le modèle même des conflits d’intérêts récurrents dans le capitalisme financiarisé. Outre Renault, le ci-devant de Lacharrière accumule les jetons de présence chez Casino et L’Oréal. Il est également à la tête du club Le Siècle et est membre du conseil consultatif de la Banque de France. Il prêche donc ses méthodes un peu partout, largement relayées par une presse acquise à ses idées. Il fut propriétaire de Valeurs actuelles et détient toujours La Revue des deux mondes.

Sa candidature clarifierait le débat

Ladreit de Lacharrière prouve par l’exemple que l’indépendance des agences de notation n’existe pas. Et que leurs critères de notations sont entièrement guidés par une vision néo-libérale du monde, qui ne profite qu’aux grandes fortunes.

Sous prétexte de « prendre la température » avec impartialité, on nous impose un projet idéologique qui veut faire croire qu’en matière économique il n’y aurait pas d’alternative politique.

Nous sommes convaincus que la direction que donnent les agences de notation aux affaires publiques est politique, c’est pourquoi nous encourageons Marc Ladreit de Lacharrière à se porter candidat à la présidence de la République. Sa candidature clarifierait le débat politique : elle pourrait remplacer celles de tous les candidats qui ne jurent que par les agences de notations, la rigueur budgétaire et l’intérêt des banques.

Pour ces derniers, la démocratie s’arrête aux portes des agences de notation et s’efface devant trois lettres lorsqu’il s’agit des finances publiques.