Gabriel Boric, la révolution étudiante chilienne 2.0

Publié le 17 janvier 2012 par Anthony Quindroit @chilietcarnets

Gabriel Boric, président de la fédération des étudiants chiliens pour un an, annonce une nouvelle forme de mobilisation dès la rentrée de mars. En 2011, les étudiants sont restés mobilisés plus de sept mois (photo Anthony Quindroit)

Au Chili, Gabriel Boric est le président de la FECh (Federación de estudiantes universidad de Chile), une très puissante association étudiante. En décembre dernier, il a battu la très populaire et très médiatique Camila Vallejo (Chili et carnets en parlait ici). Une victoire pas écrasante, certes, mais une victoire tout de même. Suffisante pour surprendre les médias, mais pas l’intéressé qui, dans les grandes villes comme dans les petites communes, n’a jamais perdu le contact avec le terrain via son mouvement Creando Izquierda (Gauche en création).
Après les grandes marches de 2011 pour un appel à une réforme totale du système éducatif chilien (encore une fois, Chili et carnets a abordé le sujet à plusieurs reprises ici ou), c’est l´heure des vacances estivales pour la jeunesse chilienne. et le moment de préparer la mobilisation pour la rentrée de mars dans les fédérations étudiantes. Ce qui s’annonce, sous quelle forme et avec quelle envergure ? Sa place dans l’échiquier, l’avenir… Pour Chili et carnets, Gabriel Boric fait le point.

Comment s’est passée l’année 2011 ?
Gabriel Boric : “Nous avons connu plus de sept mois de mobilisation. Des grandes marches ont rassemblé jusqu’à 250000 personnes juste à Santiago !”
Vous n’avez rien obtenu pourtant. Ou presque rien.
“On n’a rien gagné. Mais les gens croient désormais plus en l’action collective. Le gouvernement a mis tout de même un peu plus d’argent dans l’éducation et les pertes financières (frais d’inscription, par exemple) pour les étudiants grévistes ont été effacées. Le ministre de l’Education a tout de même changé trois fois, ce qui prouve bien que le gouvernement improvise.”
La mobilisation n’était-elle pas moins forte les dernières semaines, avant les vacances estivales ?
“Un peu. Surtout, après six mois de lutte, les gens ont commencé à se demander pourquoi on faisait cela. car le gouvernement n’a rien lâché. Ce qui est rassurant c’est que tout le monde a pris conscience que le problème ne venait pas du mouvement mais du gouvernement qui a fait la sourde oreille. Et tout le monde sait que nous devons reprendre le combat à la rentrée.”
Sous quelle forme ?
“Nous élaborons notre stratégie. Ce qui a été fait l’année dernière est très important. Mais nous savons que nous ne pourrons pas reproduire cela. Le 15 mars, nous devons organiser de grandes discussions publiques pour parler du mouvement et impliquer les gens. Nous devons aussi voir ce qui n’a pas marché.”
Et quel est votre constat ?
“On se bat pour l’éducation. Mais il faut se battre contre le système, car peu importe quelle importance prend le mouvement, le système fait que l’on ne nous donnera rien. C’est ce système qui doit changer.”
Vous n’avez pas le sentiment que vous vous dispersez dans le combat ?
“C’est aussi le rôle des étudiants. Mais nous ne sommes pas assez nombreux pour changer tout un système. Nousvoulons donc nous rapprocher d’autres fédérations, des travailleurs, des associations environnementales, des associations ethniques comme les Mapuches… Ceux qui pensent que le système doit changer. Pas juste l’éducation.”
C’est une lutte de longue haleine…
“On sait que l’on ne pourra pas tout obtenir. Mais cela se joue sur le long terme. Et nous sommes là pour rester.”
Changer, mais pour quoi ?
“Nous ne voulons pas de changement pour le changement. Nous, les associations réunies, voulons être partie prenante des décisions qui seront prises. Nous travaillons sur des propositions concrètes. Il ne s’agit pas seulement de mettre les problèmes sur la table mais de proposer des solutions.”

“Les médias chiliens ne comprennent pas le mouvement social au Chili”

Vouloir unir tout le monde, d’accord. Mais au sein même de la FECh il y a différentes sensibiltés.
“Oui, moi-même je fais partie d’un parti de gauche autonome. Les étudiants sont majoritairement de gauche. Et nous sommes tous différents. Mais nous avons décidé de nous unir. C’est la consigne. Si nous ne faisons pas qu’un, c’est au gouvernement que cela profite. J’ai beaucoup de différence avec Camila [Vallejo, NDLR]. Mais nous ne pouvons pas nous permettre de la jouer perso.”
Justement, vous succéder à Camila Vallejo. Votre victoire, de seulement 189 voix, semble inattendue face à la très populaire jeune femme.
“L’erreur des communistes est de ne pas avoir été assez présents dans les petits secteurs et de privilégier les grandes villes comme Santiago. Oui, cette victoire, c’était un peu une surprise. Mais surtout pour les médias. Nous, on savait que ce serait très dur. Mais c’était faisable.”
Comment avez-vous fait pencher la balance ?
“Nous avons marqué notre différence face aux jeunes communistes et nous sommes montrés critiques quant à l’attitude du PC qui travaille avec la Concertatión [qui réunit, au Chili, des partis de gauche, centre-gauche et centre. Il a été à la tête du pays après la dictature, jusqu'en 2010, NDLR]. Ces gens n’ont rien fait quand ils étaient aux affaires. Aujourd´hui, les politiques et les institutions chiliens sont mal évalués par les gens. Ils ont envie que cela change, veulent participer mais n’ont plus confiance. C’est le moment pour une nouvelle génération d’hommes et de femmes politiques.”
Vous allez vous lancer ?
“Non, je ne suis pas sûr que de devenir député ou sénateur serait mieux, justement parce que le système me bloquerait. Mais le combat est politique. Il ne faut pas être naïf. Il faut y être aussi.”
On vous dépeint comme plus dur que Camila Vallejo. Plus extrême. Qu’en est-il ? Comment vous définissez-vous ?
“Les médias chiliens ne comprennent pas le mouvement social au Chili. Il faut que cela rentre dans une case. Je n’ai pas la même façon de penser que les autres, donc, forcément, je suis plus radical. Je suis en tout cas plus méfiant de la Concertatión. Je me sens plus comme faisant partie d’une révolution. Je n’ai pas la nostalgie de Cuba qui a échoué. Mais nous avons le droit à une autre société. Nous sommes en train d’explorer, d’étudier. L’Amérique latine change. Mais chaque pays a ses spéficités. A nous Chiliens de trouver nôtre voie.”

“Il y a eu des violences des deux côtés”

Les manifestations de 2011 ont été marquées par de nombreux heurts avec la police qui faisait systématiquement usage de la force. Quel regard portez-vous sur ces faits et comment les endiguer ?
“Oui, la police a été brutale. Mais parce qu’elle a des ordres et elle les suit. Malheureusement, de notre côté aussi nous avons eu des étudiants violents. Les “encapuchados” [des jeunes cagoulés qui ont provoqué des affrontements avec la police et commis de nombreuses dégradations, NDLR]. Nous ne pouvons pas accepter cela. Il y a eu de la violence des deux côtés. Mais on ne résoud rien en brûlant des voitures.”
D’où vous vient votre engagement ?
“Je viens de Punta Arenas [au sud du Chili, NDLR]. A la maison, les parents parlaient beaucoup de politique. Ils m’ont poussé à lire beaucoup. Ils n’étaient pas très riches mais ils m’ont mis dans une école privée. Je me suis bien rendu compte que ce n’était pas la même chose à l’extérieur, c’était une bulle. Mais ça a développé mon intérêt pour la politique.”
Qui est votre candidat pour la présidentielle de 2013 ?
“Nous avons des critiques envers Michelle Bachelet [ex-présidente du Chili, issue de la Concertatión, NDLR]. Je pense qu’il va falloir qu’émerge un nouveau visage. Mais nous savons déjà que notre organisation ne pourra pas avoir son propre candidat d’ici là !”

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