A Nuestra Senora de la Montana

Publié le 19 janvier 2012 par Lana

Je reviens aux urgences après avoir été chercher mes affaires à l’appartement. Je dis que je dois me faire hospitaliser. On me regarde bizarrement. Je répète, mais on ne me comprend pas. Je regarde mon amie, hospitaliser, c’est bien ingresar, non? Elle ne sait pas. Je raconte mon premier passage aux urgences, on finit par comprendre ce que je fais là. Une infirmière vient me faire une injection. J’ai un peu honte devant mon amie, qui détourne le regard. Honte surtout d’avoir l’air folle. On nous conduit au service de psychiatrie. On ouvre une lourde porte fermée à clé. Là, je suis sous le choc. Les patients ont l’air hagard, ils sont en uniforme, pyjamas ou robe de nuit bleus. J’éclate en sanglots. Moi qui ne touche plus personne, je me jette au cou de mon amie. Je ne veux pas rester ici. Les infirmières ont l’air étonné, qu’est-ce que j’ai? Je ne peux rien dire. Je vais au bureau des infirmières. Une infirmière, qui s’appelle Adela, me demande ce qui ne va pas. Je suis gênée de le raconter devant mon amie, je suis fatiguée aussi de parler. Je dis que je l’ai déjà dit au médecin. Je ne veux pas parler de mes yeux derrière la tête et de mon angoisse devant mon amie. Elle me dit si tu veux qu’on t’aide, il faut nous aider, mais je ne peux rien dire. Un briquet pend, accroché au mur. Je dis à Nathalie, en français, ils ont peur qu’on foute le feu. Adela ma dit tu regardes le briquet? On le met là, sinon tout le monde le prend et il se perd. Je lève les yeux au ciel. Je dis que je ne veux pas mettre d’uniforme. Adela me dit que c’est bien, comme ça on est tous pareils. Comme si j’avais envie d’être pareille à des fous dans des uniformes informes. Je suis une infirmière qui ouvre la porte d’une petite pièce, elle me demande tu veux un pyjama ou une robe de nuit? Mes vêtements! Un pyjama ou un robe de nuit? Je veux mes vêtements! Je te donne une robe de nuit. Je suis anéantie, je ne veux pas être dépossédée de mes vêtements et de moi-même, je ne veux pas être une folle en uniforme. On va dans la chambre. Il y a une patiente, mon amie, deux infirmières, elles me demandent de me déshabiller. Je le fais, en mourant un peu, nue devant ces gens, transparente, je fonds. Je dois leur donner mes lacets. Je les jette dans le sac où elles mettent mes affaires en disant en français je ne vais pas me pendre!  Je ne pleure plus, je suis en colère, je suis traitée comme une criminelle. J’ai pris un petit paquet de chips avec moi, parce que malgré tout ça, j’avais un peu faim. On n’a pas le droit d’avoir de la nouriture. Je mets le paquet dans le sac, et puis non, j’ai faim, je le reprends. J’ai deux livres. J’ai le droit d’en garder un mais je dois leur donner l’autre. Là, je panique. J’ai presque fini le premier, je ne peux pas leur donner le second. Quel mal pourrais-je faire avec un livre? Non, je le garde. Mes livres c’est ma dernière raison de vivre, je ne pars jamais sans un livre, il m’en faut toujours d’avance, il est inconcevable que je n’ai plus rien à lire, non, je veux garder mon livre. Elles finissent par me le laisser. Elles me prennent quasiment tout, j’ai mes livres, mon petit lion en peluche et pas grand-chose d’autre. Adela me prend la main , je me crispe mais ça me bouleverse aussi. Elle est gentille avec moi.

Je fume une cigarette dans la chambre avec Nathalie. On me dit que le dîner va être servi, si je veux je peux manger dans ma chambre pour aujourd’hui. D’accord. J’ai trop peur des autres, de tous ces gens inconnus dans leurs uniformes, je ne peux pas affronter leurs regards, pas après m’être déjà déshabillée devant quatre personnes. On m’apporte un plateau, je dis je parie que les couverts sont en plastique, et c’est le cas. J’ai l’impression d’être dans un quartier de haute sécurité, alors que je suis là de mon plein gré, et je trouve ça injuste, trop dur.  De la mauvaise charcuterie, de la soupe avec des fils, je ne peux pas avaler ça, je mange juste un bout de pain. Tu ne manges pas? Non, je n’ai pas faim. Et c’est vrai de toute façon, ils m’ont coupé l’appétit. Adela vient avec mon médicament. Je regarde le comprimé de risperdal, je dis est-ce que je peux en avoir moins, j’ai déjà pris cette dose, je ne la supporte pas, je ne tiens plus debout, j’ai la vue trouble, et puis j’ai déjà eu une injection. Non, le médecin a precsrit ça, je dois le prendre. je continue à argumenter, en vain. Je cède et j’avale le comprimé. Adela me dit d’ouvrir la bouche et de soulever la langue. Je croyais que ça n’existait que dans les films. Je me dis je suis dans la quatrième dimension. Je dis, c’est bon, je l’ai avalé. Elle me répète la même chose, et je m’exécute, humiliée. Mon amie s’en va. Adela vient me dire bonsoir et à demain en souriant.

Une fois couchée, je prends mon lion. D’habitude, il est sur ma table de nuit ou sur le bord de mon lit. Là, je le sers contre moi, dernière petite chose familière et rassurante à laquelle se racrocher. Je ne dors pas. Je me sens mal, j’ai peur, je n’ai plus de refuge, d’intimité, rien. Je me suis fait dire assez séchement que je ne devais pas fermer à clé la porte des toilettes. Après quelques temps, une infirmière arrive, avec le lait dit-elle. Qu’est-ce que c’est que cette histoire? J’ai peur d’eux, de ce qu’ils peuvent me faire avaler, du fait que ma parole ne vaut rien. Je déteste le lait, je ne pourrai pas avaler ça, et puis je suis sûre qu’ils ont mis un médicament dedans, alors je fais semblant de dormir. Depuis des mois, chaque nuit, je fais des cauchemars, tous plus violents et éprouvants les uns que les autres. Des charniers, la guerre, des viols. Cette nuit-là, je rêve. Je suis chez moi, à l’abri. Je me réveille, me croyant dans ma chambre, avant de me rendre compte que cette fois le cauchemar est réel. Je suis dans cet hôpital, seule, sans défense, sans vêtements, enfermée, à leur merci.

Une infirmière me réveille en me disant gentiment “Tu es nouvelle?”. Je dis oui. Mais pas pour longtemps, je veux partir, c’est tout ce que je veux. Alors je me lève, je fais semblant de me laver parce que j’ai peur des douches, enfin des bondes, et là elle est au milieu de la douche, impossible pour moi d’entrer là-dedans. Je fais couler l’eau pour faire croire que je me lave. Je me coiffe bien, je me fais une queue de cheval, je regrette de ne pas avoir du maquillage pour faire la jeune fille en grande forme. Je souris devant le miroir, c’est le visage que je dois leur montrer. Je me dirige vers la salle-à-manger. Une infirmière me dit que je dois mettre mon peignoir. Apparemment, je suis indécente dans mon immense robe de nuit informe, et ce qu’ils appellent peignoir est à peu près la même pièce de vêtement, avec des couleurs un peu différentes. Rien ne change dans mon aspect sinon que j’ai deux loques l’une sur l’autre au lieu d’une seule. Je ne comprends décidemment pas les codes de cet endroit. Je retourne vers la salle-à-manger. Le petit déjeuner est bon. Je n’ai plus si peur, parce que j’ai décidé de partir. Distribution de médicaments. Une infirmière me demande mon nom, elle ne comprend pas, me fait répèter, elle ne comprend roujours pas. Tant mieux, je me fais un plaisir de le prononcer à la française, avec ses sons inconnus des Espagnols. Pas de médicaments pour moi, ouf, je suis déjà assez shootée comme ça. Mais quand je sors, une infirmière m’appelle pour me faire une injection. Non!! Vite, vite, que faire? Argumenter? Ca ne sert à rien, je l’ai vu hier. Alors je lui souris en disant que je me sens bien. Tu as mangé? Oui, oui. Et ça marche! Elle s’en va! Plus de precription du médecin qui tienne! Il a suffi de manger et de sourire.

Je veux sortir. Il faut attendre la visite du psychiatre. Je me dis que je verrai peut-être Lucia. Pas pour moi, mais venue voir d’autres patients. Ca suffirait à illuminer ma journée. Mais je ne la verrai pas. En attendant, je me mets sur mon lit, je lis un peu. Une infirmière est assise sur le lit d’à côté et parle avec une patiente. J’espère qu’on me parle aussi, mais non. Je vais fumer dans la salle-à-manger, un patient, qui s’appelle Felipe, me parle. Je ne comprends rien mais je lui souris. Mes amies arrivent. Je suis soulagée, elles sont venues me sortir de là! Je minimise mon état face au psychiatre, c’est la première fois que je le vois.  Mes amies ajoutent que je me sentirai mieux chez nous, je dis même que je dois rentrer en Belgique très bientôt, donc il faut que je sorte. Je signe. Je sors. Avec l’impression de sortir de prison. D’échapper à un système déstructeur. Je suis tellement pressée de partir que j’oublie la moitié de mes affaires et que je dois retourner à l’étage, sonner à cette horrible porte comme si je voulais revenir! Non, non, je veux juste mes affaires et m’en aller une fois pour toutes.

Je comate pendant deux jours, à cause de la dose de neuroleptiques qu’ils m’ont donnée. Je ne savais pas que les services de psychiatrie n’étaient pas comme les autres. Je me suis sentie en prison, humiliée, infantilisée, dépossédée de moi-même. Après, j’apprendrai tant de choses sur la psychiatrie que je me rendrai compte que ce service est loin d’être le pire. Mais le choc initial est resté, et les cauchemars qui vont avec.


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