“Millénium : les hommes qui n’aimaient pas les femmes” de David Fincher

Publié le 20 janvier 2012 par Boustoune

On ne présente plus “Millénium”, la série de romans noirs signés par le regretté Stieg Larsson. Un énorme succès en librairie dans tous les pays où elle a été diffusée. Devant l’ampleur du phénomène, il était évident que des scénaristes et des producteurs allaient chercher à porter les romans à l’écran…
Les premiers à tenter l’expérience – périlleuse – étaient issus du pays d’origine de la saga : la Suède. Cela a donné un feuilleton télévisé en six épisodes (pour la version longue) et une trilogie cinématographique (pour la version courte), la même délestée de quelques scènes. On a eu l’occasion d’en parler sur ce site (voir la critique de la Trilogie Millénium) et pour résumer, on avait trouvé l’ensemble un peu trop mou, trop plat…

Aussi, on attendait avec un mélange d’appréhension et d’espoir  l’adaptation américaine du premier roman, “Les hommes qui n’aimaient pas les femmes”.
Appréhension car le système hollywoodien réussit rarement les remakes de films européens et formate maladroitement les adaptations de grands romans. Et que le système de censure outre-Atlantique, encore assez puritain, oblige les producteur à mettre la pédale douce sur le sexe et la violence – deux des ingrédients de base de “Millénium” – et mène à des oeuvres aseptisées et calibrées pour le plus grand nombre.
Espoir parce que le cinéaste choisi pour réaliser cette version américaine n’est pas n’importe qui puisqu’il s’agit de David Fincher. Le bonhomme est un metteur en scène expérimenté, respecté par les studios. Il a fait ses preuves, entre autres, en portant brillamment à l’écran le roman réputé inadaptable de Chuck Palaniuk, Fight Club et en montrant qu’il maîtrisait parfaitement les codes du polar avec Seven  et Zodiac.
C’est aussi un cinéaste qui fait peu de compromis. Ses films ne sont pas pensés pour plaire au plus grand nombre. Ils ont des durées peu conventionnelles au regard d’oeuvres hollywoodiennes classiques. S’ils doivent durer trois heures parce que la narration l’impose, ainsi soit-il…

Pour Millénium : les hommes qui n’aimaient pas les femmes, il estimait qu’il lui fallait environ trois heures pour restituer au mieux la teneur du roman de Stieg Larsson. Il n’a eu “que” 158 mn. C’est-à-dire juste six de plus que la version ciné suédo-danoise de Niels Arden Oplev.
La différence, pourtant, est manifeste…
Là où le cinéaste nordique avait dû trancher allègrement dans le matériau d’origine pour livrer une intrigue à peu près cohérente, Fincher, lui, a décidé de coller au plus près du roman, en supprimant le moins de passages possibles.  A l’arrivée, le pari est réussi : l’adaptation américaine réussit la gageure d’être plus fidèle au bouquin que la version issue de sa patrie d’origine.

Bien sûr, le réalisateur a dû couper certaines choses.
Par exemple il ne s’attarde pas trop sur les détails de l’imbroglio journalistico-financier de l’Affaire Wennerström, qui plombaient un peu le début du roman et ne sont pas très cinégéniques et se concentre de délivrer l’info essentielle : le héros, Mikael Blomkvist est condamné pour diffamation pour avoir mis en cause un industriel corrompu sans vérifier ses sources et, du fait de ce scandale, voit l’existence de sa revue – Millénium – menacée. On comprend qu’il a besoin d’argent et qu’il ne serait pas contre des informations fiables pour faire tomber Wennerström et restaurer son honneur, et c’est là l’essentiel, la raison qui va le pousser à accepter  la proposition du riche Henrik Vanger d’enquêter sur la disparition non-élucidée de sa nièce, des années auparavant.
A la place, il prend soin de présenter Lisbeth Salander, hacker de génie employée dans une agence de détective privée, justement enrôlée par Vanger pour vérifier la fiabilité de Blomkvist. Un détail, mais qui explique juste ce que Lisbeth vient faire dans l’histoire…   Et qui avait été purement et simplement sacrifié dans le film de Niels Arden Oplev !

Comme son confrère danois, Fincher a dû aussi limiter le nombre de conquêtes féminines du personnage principal.
Il faut dire aussi, quel chaud lapin, ce Blomkvist. Dans le roman, il les séduisait toutes, ou presque. Et comme le temps est compté, il a bien fallu zapper quelques coucheries et se concentrer sur l’essentiel : la relation libre que le journaliste entretient avec Erika Berger – ça peut être utile pour l’adaptation éventuelle des deux autres romans… – et celle qui se noue peu à peu entre Blomkvist et Lisbeth Salander, bien mieux développée que dans le film nordique…

De même, faute de temps, David Fincher a dû trouver quelques astuces pour donner une résolution un peu plus rapide de Blomkvist et Salander sans dénaturer les rebondissements de l’intrigue de départ. Et le résultat est tout à fait satisfaisant, les scènes-clés du roman se retrouvant bien à l’écran…

Pour le reste, c’est extrêmement fidèle au texte de Larsson.
Fincher se paie même le luxe de respecter les petits détails du roman, comme la publication, au coeur du texte, de l’arbre généalogique de la famille Vanger. Cet outil permettait au lecteur de se raccrocher aux branches – c’est le cas de le dire – et de ne pas trop se perdre parmi les nombreux personnages côtoyés par Blomkvist. Evidemment, ici, il n’est pas possible de revenir en arrière pour le consulter, alors Fincher expédie la chose avec humour : Lors d’un dialogue avec le patriarche Vanger, le journaliste se plaint de pas s’y retrouver dans tous ces noms, et le vieillard lui rétorque qu’il les connaîtra tous bien assez tôt, pour son plus grand malheur…

On retrouve bien sûr les scènes-choc du bouquin, déjà présentes dans l’adaptation précédente : l’odieux chantage de Niels Bjurman à Lisbeth Salander, la scène de viol particulièrement âpre, la vengeance de la demoiselle, tout aussi brutale, la course-poursuite dans les bois, la confrontation dans le repaire du tueur…
C’est un film dense, à l’image du roman et on ne voit pas, mais alors pas du tout passer les 2h38 de métrage, même en connaissant déjà tous les ressorts de l’intrigue.

Autre atout, le casting : Bien que toujours aussi peu expressif, Daniel Craig campe un Blomkvist plus convaincant que le fade Michael Nyqvist. Il est un peu plus physique, plus charismatique, plus crédible en séducteur impénitent  et surtout, ajoute une légère pointe d’humour bienvenue au personnage, utile pour dégeler un peu l’ambiance froide et humide de ce thriller nordique. Et contrairement aux films de Niels Arden Oplev et Daniel Alfredsson, Mikael Blomkvist ne se retrouve pas éclipsé par le personnage de Lisbeth Salander…

Ceci ne veut pas dire que Rooney Mara n’est pas à la hauteur, loin de là ! On craignait que la jeune actrice ne fasse pâle figure au regard de la performance remarquée de Noomi Rapace dans la trilogie nordique. Il n’en est rien : Elle se glisse avec une facilité déconcertante dans la peau de la punkette surdouée en piratage informatique et en recherches d’informations. Mieux, elle propose une version sensiblement différente du personnage, un peu moins dure – même s’il ne faut toujours pas trop la chercher… – et plus sensible. Sa Lisbeth est une jeune femme traumatisée par une enfance des plus complexes, souvent trahie par les hommes et méfiante à leur égard, comme elle est méfiante à l’égard de n’importe quelle personne ne faisant pas partie de son cercle d’intimes. C’est une fille solitaire qui est un peu repliée sur elle-même et qui va sortir de sa coquille au contact de Blomkvist.
Cette nuance du personnage permet à Fincher de mieux appréhender le lien amoureux qui se noue peu à peu entre les deux protagonistes principaux, une chose qui avait été totalement éludée dans la version suédo-danoise…

Le reste du casting est lui aussi impeccable.
Robin Wright est parfaite en Erika Berger, tout comme Goran Visnjic en Armanskij et Elodie Yung dans le rôle de Miriam Wu… Et les membres de la famille Vanger sont aussi interprété par une troupe d’acteurs épatants : Christopher Plummer en patriarche obtus, Stellan Skarsgård, Joely Richardson, Geraldine James, Julian Sands…
Et à la différence du film de Niels Arden Oplev, qui présentait de nombreux personnages sans les exploiter par la suite, tous ceux qui apparaissent dans le film de Fincher ont leur utilité dans le récit – le détective Morell, Dirch Frode…
Evidemment, là aussi, faute de temps, Fincher a du sacrifier quelques personnages : la mère de Lisbeth, les journalistes de Millénium,… Et le personnage de Cécilia Vanger est réduit au rang d’utilité, sa liaison avec Blomkvist étant totalement gommée du récit..

Globalement, c’est de la belle ouvrage. On reconnaît les personnages, les lieux sont tels qu’on les imaginait à la lecture du roman… Et surtout, le film est mené sans temps mort jusqu’au dénouement, grâce au montage millimétré de Kirk Baxter et Angus Wall.
Cependant, cette qualité majeure du film est aussi l’un de ses principaux défauts. Tout va très vite, c’est bien… Mais tout va aussi trop vite, c’est moins bien, car pour qui n’a pas lu les bouquins,  il faudra probablement s’accrocher pour saisir les subtilités de l’enquête. La narration très dense nous met en apnée pendant quasiment tout le film, sans ménager, faute de temps, de vraies respirations.

La conséquence préjudiciable du dispositif est que les scènes-clés ne se détachent pas suffisamment de l’ensemble. La scène de viol, par exemple, ne choque pas comme elle le devrait, alors que tout, dans la mise en scène, le jeu de l’actrice, est là pour susciter l’horreur et le dégoût. Peut-être nous habituons-nous un peu à cette scène, imaginée à la lecture du roman et vue une première fois dans le films de Niels Arden Oplev…  Mais on ne le pense pas, on éprouve quand même une pointe de dégoût à sa vision… Il est probable que le montage très serré du film, qui enchaîne les péripéties, est un peu trop intense pour mettre en perspective les passages les plus forts du roman.  Dommage…

A la décharge de Fincher, adapter un roman comme le premier volume de la saga “Millénium” n’était pas une chose aisée.
il y a beaucoup de choses à mettre en place dans l’optique des épisodes suivants (sérieusement envisagés par Sony Pictures, mais pas forcément avec David Fincher à la mise en scène), beaucoup de personnages, une intrigue qui mêle vie du journal, enquête financière et enquête policière, et qui s’étale sur une durée assez longue…
Disons qu’il s’en sort ici avec les honneurs, puisqu’on retrouve malgré tout le ton particulier des romans et qu’il réussit à coller assez fidèlement à l’oeuvre originelle.
Et sa mise en scène est tout à fait correcte également puisque l’ensemble est rondement mené, sans faute de goût. Simplement, on peine à retrouver pleinement la griffe de Fincher, celle qui avait fait de Seven  ou de Fight Club  des films-cultes, et c’est bien dommage.

Cela dit, si vous n’avez pas lu les romans de Stieg Larsson et pas vu la première adaptation de ceux-ci, vous pouvez aller découvrir sans trop d’appréhension cette transposition cinématographique réussie.
Et si vous avez déjà lu les romans et vu le film de Niels Arden Oplev, disons que vous ne serez pas du tout surpris par l’intrigue, très fidèle au texte de Larsson.  Mais vous aurez probablement envie de voir cette nouvelle adaptation, histoire de la comparer à la précédente…
Pour nous, le verdict est déjà fait : malgré de menus défauts inhérents à la densité du matériau original, cette adaptation surclasse presque en tous points la version nordique et c’est une surprise plus qu’agréable.

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Millénium : les hommes qui n’aimaient pas les femmes
Millenium : the girl with the dragon tatoo

Réalisateur : David Fincher
Avec : Rooney Mara, Daniel Craig, Robin Wright, Stellan Skarsgård, Joely Richardson, Elodie Yung
Origine : Etats-Unis
Genre : adaptation réussie  de roman-culte
Durée : 2h38
Date de sortie France : 18/01/2012
Note pour ce film : ●●○○
contrepoint critique chez : Critikat

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