Médiation technique, un outil du développement durable ?

Publié le 23 janvier 2012 par Gaga96 @gaga96fr
Cet article cède la plume à Sandrine Hosti, fondatrice de la société Kassio spécialisée dans le développement durable, à qui je dois l'une des conversations les plus intéressantes de ce début d'année.

En quoi la médiation technique peut-elle apporter des solutions au concept de développement durable ? Quels sont les liens potentiels entre ces deux disciplines ? En découvrant ce blog, je n’ai pu m’empêcher d’identifier des similitudes, tant dans les objectifs que dans la démarche de recherche de solutions innovantes.
Quelques définitions
Avant toute chose, rappelons quelques définitions essentielles à la compréhension de cet article.
La médiation technique
Sans reprendre le contenu très complet de ce blog, la définition la plus complète et compréhensible de la médiation technique est la suivante :
La médiation technique consiste à jouer un rôle d'intermédiaire entre deux entreprises pour permettre à l'une des entreprises de profiter des ressources techniques de l'autre. Il s'agit d'un outil d'innovation ouverte. L'entreprise doit être comprise dans cet article au sens le plus large (sociétés, professionnels indépendants, associations, universités...). Les ressources techniques peuvent être des ressources intellectuelles (connaissances d'un expert), industrielles (outils, machines, véhicules ou équipements techniques).
(source Wikipédia)


Le développement durable
Il existe une définition « universelle » et qui aujourd’hui commence à être connue du grand public, qui consiste à dire que « le développement durable est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ». (Traduction de la définition du Rapport Brundtland, 1987)
C’est un processus conduisant à l'amélioration du bien-être des humains. L'activité économique et le bien-être matériel demeurent essentiels mais la santé, l'éducation, la préservation de l'environnement, l'intégrité culturelle par exemple le sont tout autant. C’est une amélioration sur le long terme du bien-être de tous.
L’interprétation de cette définition prête aujourd’hui encore à débat. On parle d’un développement durable au sens de pérennité dans le temps, alors que la définition anglo-saxonne évoque un développement soutenable, s’interrogeant sur les limites de notre modèle de développement.
Enfin, le développement durable, n’a pas pour objectif de répondre aux seuls enjeux environnementaux (écologiques) comme on le pense parfois. Pour être durable, le développement doit concilier trois éléments majeurs : l'équité sociale, la préservation de l'environnement et le développement économique comme l’illustre le schéma ci-dessous.

La RSE 
La RSE est la traduction opérationnelle du développement durable dans le management de l’entreprise. Autrement dit, le développement durable est à la planète ce que la RSE est à l’entreprise.
Responsabilité Sociétale d’Entreprise, Responsabilité Sociale d’Entreprise ou Responsabilité Sociale et Environnementale d’Entreprise sont les traductions existantes du sigle RSE. Mais au final, l’objectif reste le même, c’est-à-dire prendre en compte les effets des activités de l’entreprise de manière responsable.
Quelques exemples :
  • L’entreprise utilise des matières premières naturelles parfois épuisables à plus ou moins proche échéance. Elle prend à la fois un risque pour sa survie mais également pour celle de l’environnement.
  • L’entreprise emploie des ressources humaines. Elle doit les respecter et les rémunérer de manière décente, de façon juste et équitable ; Son rôle est également de maintenir et d’augmenter les compétences de chacun pour une employabilité maximum. Elle doit assurer la sécurité de tous au sein de son établissement…
  • L’entreprise fait appel à un certain nombre de fournisseurs et sous-traitants et doit nécessairement les connaître pour réduire son risque d’image.
  • L’entreprise a des droits et des devoirs, une réglementation, des règles de bonne gouvernance, une éthique des affaires à prendre en considération…
Cette démarche RSE est une démarche volontaire. Seules les entreprises cotées en bourse ont l’obligation aujourd’hui de reporter annuellement sur la manière dont elles prennent en compte les conséquences sociales et environnementales de leurs activités (loi NRE : loi de Nouvelle Régulation Economique publiée au Journal Officiel le 15 mai 2001). Le décret d’application de l’article 225 du Grenelle II (prévu pour janvier 2012), élargira cette obligation jusqu’aux entreprises de plus de 500 salariés et dont le total du bilan et le CA dépassent chacun les 100 millions d’euros.
On constate également qu’il y a plusieurs façons d’aborder la RSE suivant la prise de conscience et la maturité de l’entreprise. Cette démarche s’inscrit sur le long terme, et, de fait, se met frontalement en contradiction avec le business model de l’entreprise classique qui raisonne de nos jours à court terme, voir à très court terme. C’est pourquoi l’approche doit être adaptée à l’entreprise pour que la réconciliation entre les deux tendances se fasse et apporte indéniablement un accroissement de sa performance.L’Intégration de la RSE dans le management de l’entreprise prend tout son sens et est source de performance quand elle fait appel à une démarche construite.
La démarche RSE
La démarche RSE est organisée. Les différentes étapes attendues pour permettre à l’entreprise d’intégrer des actions responsables, preuves d’une amélioration continue de son processus sont, en règle générale :
  • Le diagnostic RSE : état des lieux de l’entreprise sur la réponse aux enjeux développement durable de son secteur d’activité. Cette étape s’appuie sur des référentiels ou sources de recommandation (type ISO). L’entreprise se donne alors des engagements et une liste d’actions à mener pour les concrétiser.
  • La gestion des projets RSE
  • La mesure des impacts des projets sur le diagnostic
  • La redéfinition de nouveaux objectifs
On suit ici les principes exposés par la Roue de Deming, PDCA (Plan-Do-Check-Act), qui n’est plus une méthode réservée à la seule gestion de la Qualité.

La recherche de solutions, 1ère étape de la gestion de projet
Suite à l’étape de planification, les entreprises ont en leur possession une feuille de route leur indiquant les actions qu’elles peuvent effectuer à court, moyen et plus long terme (actions immédiates, actions prioritaires, actions stratégiques) pour inscrire leur organisation dans une démarche RSE.
En tant que consultante en développement durable et RSE, je suis amenée à accompagner les entreprises dans la mise en place de ces projets. Le constat que j’ai pu faire jusqu’à aujourd’hui est que ces feuilles de route, aussi pertinentes soient-elles, laissent l’entreprise démunie face à la recherche de solutions.
  • « Préconiser la réduction des consommations énergétiques »
  • « Réduire l’utilisation de matières premières épuisables dans ses produits »
  • « Inciter à réduire ses emballages »
  • « Mieux connaître ses fournisseurs »
  • « Limiter les déplacements des salariés ou passer aux transports doux »
  • « Mesurer les progrès par des indicateurs »
  • « Etendre son offre à des produits green »…
sont des exemples de « projets » que j’ai pu découvrir sur certaines feuilles de route au cours de mes missions ! Véritable challenge pour une entreprise qui ne possède pas d’expertise en interne !
Certains projets sont cependant plus précis :
  • Recherche de prestataire, partenaires, sous-traitant pour la mise en place de bacs récupérateurs de carburant sur les parkings d’entrepôts et leur recyclage
  • Besoin d’une solution de recyclage et de valorisation des rouges à lèvres des collections précédentes dans le secteur de la cosmétique
  • Benchmark d’un logiciel de gestion des référentiels fournisseurs à destination des filiales étrangères
  • Recherche d’une méthodologie de réduction du stress en openspace
  • Recherche d’un outil interactif des consommations de chauffage et d’eau à destination des occupants de logements sociaux….
Sans un accompagnement structuré, on constate que l’entreprise prend souvent la première solution dont elle a entendu parler, à la mode, en pointe, recommandée lors d’une conférence, mise en place chez son voisin, son homologue… sans prendre le temps d’étoffer sa recherche. Le risque est de se retrouver avec une solution qui ne réponde que partiellement aux besoins, qui ne soit pas acceptée par les collaborateurs et surtout qui ne soit pas cohérente avec la démarche RSE de l’entreprise. La solution à apporter dépend en grande partie du contexte. C’est une recherche sur-mesure.
Les outils
Pour répondre à ce besoin, il y a globalement deux choix possibles :
  • Lancer son processus de recherche lors de la prise de connaissance de la mission (et risquer de proposer des solutions bateaux et mille fois exploitées)
  • Anticiper en mettant en place une veille active sur les solutions répondants aux engagements responsables que se sont donnés les entreprises. En fonction du périmètre sur lequel exerce le consultant, cette veille peut porter sur les projets environnementaux, sociaux, sociétaux et de gouvernance du développement durable. L’objectif est également de ne pas se limiter à un seul secteur d’activité. Seuls les enjeux développement durable peuvent différer d’un secteur à un autre, mais leurs réponses sont globalement transposables même si ce n’est pas une loi complètement généralisable. Il est également recommandé d’avoir une attitude ouverte et de pouvoir imaginer l’application d’une solution à un problème pour lequel elle n’était pas initialement destinée !
Idéalement, on utilisera les deux méthodes : base de données de veille et recherches complémentaires pour actualiser ses connaissances.
Quelles sont les sources possibles ?
Un des avantages indéniables de la RSE est qu’elle entraîne de la part des entreprises :
  • une valorisation de leurs démarches vers l’extérieur par des biais divers et variés : communication au travers de rapports développement durable, conférences de presse, participation à des clubs d’échanges de bonnes pratiques, mise en commun de données non concurrentielles et confidentielles, témoignages dans les salons, séminaires, conférences, données ouvertes sur les sites internet Corporate, articles dans la presse, participation à des trophées, utilisation de labels, certifications, partenariats avec des organismes publics de référence (CCI, agences régionales de l’innovation, agences pour l’environnement).
  • la nécessité de trouver des idées novatrices pour constamment s’améliorer, entraînant des séances de créativité, des investissements en R&D… le tout entouré, dans le cas de données non concurrentielles, d’une communication vers l’extérieur. Nous sommes souvent dans l’innovation partagée. Certains aiment à dire que l’intégration du développement durable en entreprise rend intelligent.
Ces actions se font toujours dans un objectif de partage, de transparence et de valorisation.
Il est donc aisé de trouver solutions innovantes et best practice. L’observation des actions à l’étranger est également une excellente source, certains pays étant plus avancés que d’autre en matière de démarche RSE. Il reste à organiser les données pour apporter les réponses les plus adaptées à la concrétisation des projets.
Cette nécessaire veille est un véritable outil d’accompagnement des démarches développement durable. C’est une base de connaissance sur laquelle s’appuyer pour accompagner les entreprises sur cette étape de gestion des projets.
Alors, peut-on dire qu’il s’agit là de médiation technique ?
Pour résumer les convergences existantes :
  • On joue bien, dans la description du processus, un « rôle d’intermédiaire entre deux entreprises pour permettre à l’une des entreprises de profiter des ressources techniques de l’autre ».
  • Il y a recherche de ressources intellectuelles (connaissances d’un expert), d’équipement technique, d’outils, de véhicules, parfois de machines…
  • La démarche utilisée s’apparente à celle de la médiation technique (définition du besoin, rédaction du cahier des charges, recherche créative de solutions, prospection, négociation et contractualisation).
Cependant, dans le cas de projets développement durable, la solution doit nécessairement prendre en compte les impacts environnementaux, sociaux, sociétaux tels que demandés par les principes de la RSE. Par exemple, le produit recherché est non polluant, la machine peu consommatrice, l’outil recyclable et fabriqué dans des conditions de travail respectant les principes de base de l’Organisation Internationale du Travail…).
Idéalement, l’organisation qui apporte la solution doit être performante au sens de la RSE, engagée ou au moins prévoir de s’engager sur ce sujet à la demande du donneur d’ordre. Ce dernier point permet de supprimer l’effet discriminatoire qui écarterait une solution satisfaisant à tous les critères recherchés.
Enfin, négociation et contractualisation font appel aux principes de loyauté des pratiques.
Attention, je ne dis pas ici que la médiation technique n’inclut pas ces pratiques. Elles ne semblent cependant pas explicites quand notre principe de responsabilité sociétale d’entreprise nous invite à en rendre compte. Rien n’empêche le médiateur technique et le donneur d’ordre sensibilisés par ces démarches RSE d’en inclure les principes dans les cahiers des charges.
Et pour affirmer notre « différence » avec la médiation technique, je serais bien tentée de rebaptiser notre offre d’« accompagnement sur la qualification des solutions » en « médiation technique responsable ».
Sandrine HOSTIGérante de KASSIO (cabinet de conseil en développement durable et RSE).