Interview de Jérôme Traisnel, PDG de SlimPay

Publié le 24 janvier 2012 par Sia Conseil


SlimPay est l’un des premiers établissements de paiement français à avoir obtenu l’agrément de l’ACP (Autorité de Contrôle Prudentiel auprès de la Banque de France) il y a un an. A deux ans de la « end-date » prévue pour la migration au prélèvement SEPA (Single Euro Payments Area), l’entreprise, qui en a fait son cœur de métier, tire ses premiers bilans et se projette aussi dans l’avenir. Nous avons rencontré son PDG et co-fondateur, Jérôme 

Traisnel, qui nous présente l’originalité de son offre ainsi que son analyse sur le SEPA et le marché du paiement.

En quelques mots, pouvez-vous nous présenter SlimPay et les démarches que vous avez effectuées pour l’obtention de votre agrément ?

Nous avons créé SlimPay il y a deux ans, début 2010, avec deux autres associés. Cette première année a été consacrée à l’obtention de l’agrément. Le niveau de complexité et d’exigence du dossier était en effet élevé : d’une part nous étions les premiers à demander l’agrément d’établissement de paiement auprès de l’ACP et d’autre part notre offre de prélèvement SEPA est très innovante !

Après de nombreux échanges entre SlimPay et l’ACP, l’agrément définitif de la Banque de France a finalement été obtenu fin 2010 et les premières opérations de paiement ont pu être réalisées au cours de 2011. Actuellement, dix personnes sont au sein de SlimPay.

Pourriez-vous nous présentez l’offre proposée par SlimPay et le marché sur lequel vous vous situez ?

Le marché sur lequel se positionne SlimPay est très récent. Nous sommes un établissement de paiement spécialisé dans les produits SEPA, notamment le prélèvement SDD (Sepa Direct Debit). Le concept est de proposer aux entreprises une nouvelle solution de paiement à destination de leurs clients souscrivant des produits vendus par abonnement (presse, assurance, énergie ou autres services facturés périodiquement).
Nous partons d’un constat simple : de plus en plus de secteurs évoluent vers des modèles d’abonnement, avec facturation mensuelle par exemple, et les périodes de crise que nous traversons encouragent cela. Les voitures, la musique, les jeux ou encore les serveurs informatiques, peuvent désormais se louer.

Il est donc nécessaire de fournir à ces secteurs des solutions d’encaissement des abonnements. Pour la vente d’abonnements à distance (Internet, téléphone…), l’encaissement par carte bancaire est très majoritairement utilisé. Or, la carte bancaire n’est pas adaptée à cela ! D’une part, juridiquement, le prélèvement carte bancaire n’existe pas. Le client donne bien une autorisation pour la première transaction mais pas pour les opérations suivantes. Ces opérations sont juridiquement non autorisées mais tolérées… D’autre part, en termes de marketing les résultats ne sont pas intéressants. Le renouvellement régulier des cartes (souvent tous les deux ou trois ans), nécessite de recommencer le processus d’acquisition client. En effet, on estime à 65% la part des clients en « obsolescence carte » qui ne se réabonnent pas. C’est une des causes principales de sortie des services.  Enfin, en ce qui concerne la fraude, les risques sont très élevés : les entreprises doivent stocker toutes les coordonnées des cartes bancaires de leurs clients et sont de ce fait une cible privilégiée pour des pirates, comme ce fut le cas récemment avec Sony.

Pourriez-vous nous donner quelques exemples de vos clients ?

Notre clientèle se compose de deux cibles principales : les e-commerçants ou commerçants d’une part et les grands facturiers qui font déjà du prélèvement d’autre part.

Parmi nos clients e-commerçants, on compte Club Med Gym ou encore Price Minister. Nous sommes également dans une phase de test d’un nouveau concept développé par Nespresso dont le principe novateur est de permettre un abonnement aux capsules de café par Internet. Enfin, plus largement, tous les commerçants, petits ou grands, qui proposent des paiements par abonnement sont visés.

SlimPay s’adresse aussi aux « grands facturiers », qui sont traditionnellement de gros émetteurs de prélèvements automatiques et qui doivent passer au SEPA. La plupart d’entre eux n’ont pas encore complètement migré au SEPA. Le passage est un enjeu fort et se fait généralement petit à petit sur les chaînes monétiques en commençant par des niches de facturation. Sur ce volet, nous travaillons notamment avec EDF. Avec le rapprochement des « end-dates » qui sont désormais prévues pour 2014, il va y avoir beaucoup de demande de ce côté

Quelle est la particularité de votre offre et quels sont vos atouts sur ce marché ?

L’intérêt de notre offre est de proposer une solution complète pour le traitement des prélèvements, de la signature des mandats jusqu’à l’exécution des paiements. Notre service est pleinement opérationnel et peut être déployé très rapidement chez nos clients, généralement dans un délai de 5 à 10 jours. Il s’agit en fait d’un outsourcing de compétence : SlimPay propose une offre qui s’étend de la prestation technique jusqu’à l’exécution. Certains clients peuvent en fonction de leurs besoins recourir à tout ou partie de nos prestations.

Par ailleurs, nous proposons une véritable expertise sur toute la chaîne du prélèvement SEPA. Par exemple, il faut savoir que les prélèvements présentent toujours un risque de rejet. Pour diminuer ce risque, SlimPay effectue le scoring lors de l’entrée en relation. A la signature du mandat, le rôle de SlimPay est donc d’apporter au commerçant un outil d’aide à la décision permettant de décider si le client est fiable ou non.

En ce qui concerne la migration SEPA des facturiers, nous intervenons sur un processus lourd et compliqué pour lequel SlimPay a développé une compétence particulière. Effectuer cette migration, seul, la première fois est une tâche difficile. Faire appel à SlimPay est donc une garantie d’efficacité et de simplification. Je peux vous donner l’exemple d’un e-commerçant qui, grâce à nos services, a effectué cette migration en 15 jours. Certains de nos clients n’effectuent même pas de modification sur leur ERP avec notre offre plug and play.

Enfin, nos solutions diminuent sensiblement les coûts et les délais de traitement. Nous opérons la plupart du temps en mode SAAS (Software As A Service). Le modèle d’intervention en SAAS s’impose le plus souvent pour plusieurs raisons. La première parce que la signature électronique de mandat nécessite un tiers de confiance, agrément spécifique que détient SlimPay. Ensuite parce que nos clients ne possèdent pas ce savoir-faire qu’a développé SlimPay sur l’intégralité de la chaîne SEPA (processing et traitements). Et enfin, parce qu’il permet une grande adaptabilité, notamment aux évolutions des normes récentes.

Certaines entreprises ont déjà affirmé ne pas souhaiter externaliser la gestion de leurs mandats, notamment en raison des impératifs de confidentialité de leur base client. Qu’en pensez-vous ?

Certains clients apparentent effectivement le SAAS à de l’externalisation alors qu’eux-mêmes voudraient maîtriser tout le process. C’est oublier que la signature électronique du mandat nécessite dans tous les cas un tiers de confiance, donc une externalisation. Par ailleurs, le fonctionnement SEPA implique que dans chaque ordre de prélèvement soient réinjectées les données du mandat, d’où la nécessité de ne pas dissocier la base de mandat de l’émission et la réception des ordres. Enfin, les contraintes de sécurité exigées pour obtenir l’agrément d’établissement de paiement de la part de l’ACP sont draconiennes ; nous les avons passées. Cette crainte est donc non fondée et nous travaillons déjà avec certains grands facturiers.

Toujours au sujet de la gestion mandats, qui a constitué pendant longtemps un point dur dans la mise en place du prélèvement SDD, pouvez-vous nous dire quel modèle a été mis en place par SlimPay ?

Notre modèle pour la gestion électronique des mandats est le seul qui soit viable actuellement sur le marché. Aujourd’hui il existe deux modèles concurrents : d’une part, il y a le « e-mandate » prévu par l’EPC (European Payments Council), dont la mise en place suscite beaucoup de questions, car il suppose de valider chaque mandat directement sur le site de home-banking du client. A l’heure actuelle, ce modèle n’est pas réaliste, car toutes les banques ne seront pas équipées d’un tel dispositif pour 2014, ce qui rendra l’adhésion au prélèvement impossible pour certains clients. D’autre part, il y a « SEPA Mail » proposé par une banque française, qui comporte encore certaines limites, notamment car aucun document signé n’est fourni au consommateur. Ce deuxième type de modèle n’est d’ailleurs pas incompatible avec l’offre SlimPay. Nous sommes par exemple en capacité d’assurer la partie signature électronique pour le compte d’autres acteurs bancaires, dont ce n’est pas le cœur de métier.

Cela suppose de ne pas être en froid avec les établissements bancaires… Quelles sont vos relations avec eux ? Pourrait-on envisager des partenariats ?

Cette relation est à l’image des relations entre MNO (Mobile Network Operator) et MVNO (Mobile Virtual Network Operator) dans le secteur des télécoms. Les MVNO ont ciblé de nouveaux clients qui n’étaient pas en fait adressés par les MNO traditionnels ; les établissements de paiement font la même chose, ils innovent et adressent des cibles elles aussi non touchées par les acteurs traditionnels du paiement. Nous ne sommes pas là pour concurrencer les banques, nous agissons toujours sur le terrain de l’innovation (la signature électronique ou des variantes du prélèvement par exemple). Ainsi, si un commerçant veut mettre en place un TPE virtuel pour l’encaissement en ligne, il aura le choix entre une dizaine de prestataires pour la carte bancaire mais pour une solution de prélèvement sur compte bancaire, seul SlimPay est capable de répondre à son attente.

Les banques seraient en capacité de développer leur propre système, mais elles ont actuellement d’autres préoccupations et il faut bien se souvenir que dans tous les cas, la signature électronique nécessite l’intervention d’un tiers de confiance dans le processus. Certains réseaux bancaires ont d’ailleurs approché SlimPay pour étudier des possibilités de partenariat. SlimPay, en tant qu’établissement de paiement, présente le même niveau de garantie qu’une banque. Il ne serait donc pas irréel de concevoir qu’un acteur du secteur (spécialiste du crédit à la consommation par exemple) fasse appel à nous pour la gestion de ses mandats.

Qui sont vos concurrents en France et en Europe ? Parmi ceux-ci, y a-t-il d’autres établissements de paiement ?

Nous n’en avons pas à l’heure actuelle ! SlimPay est le seul établissement de paiement qui propose une offre de prélèvement SEPA pour le moment. Il existe plusieurs raisons à cette absence de concurrence : le cycle d’agrément est long, il impose des contraintes financières et enfin le SEPA n’a pas encore totalement émergé. Il y a deux ans, ce choix relevait vraiment du pari. Aujourd’hui, notre nombre grandissant de clients est une confirmation du bien-fondé de ce modèle.

Au-delà de ça, la notion d’établissement de paiement induit souvent l’innovation et aujourd’hui notre offre est unique sur le marché. Mise à part ceux qui attaquent le marché plus mûr du transfert de fonds, chacun des établissements de paiement actuellement existant est fondé sur une innovation. Il existe donc beaucoup de business différents au sein de l’AFEPAME (Association Française des Etablissements de Paiement et de Monnaie Electronique). Ainsi Rentabiliweb, CardsOff, Buyster ou SlimPay ont des positionnements très différents. En Europe, il existe tout de même d’autres entreprises spécialisées dans le SEPA mais plutôt focalisées sur le virement.

A terme, souhaitez-vous entrer en concurrence avec d’autres moyens de paiement comme la carte bancaire ou le chèque ?

SlimPay ne s’attaque pas aux cartes bancaires mais reste sur son marché qui est celui du paiement par abonnement. Par contre, il s’agit d’un moyen de paiement complémentaire. Notre offre permet par exemple d’effectuer un premier paiement immédiat par carte, puis ensuite un prélèvement bancaire pour les échéances suivantes. Cette possibilité est notamment très intéressante pour les assureurs (l’assurance étant effective dès la signature du contrat), ou les opérateurs de téléphonie (le premier paiement étant plus élevé et lié à la remise du terminal). Notre TPE virtuel, permet l’encaissement en ligne par prélèvement bancaire ou une combinaison de paiement CB et prélèvement bancaire.

En revanche, SlimPay se pose en alternative au chèque : un grand nombre de clients veulent « tuer » le chèque lors du paiement de prestations récurrentes, les experts comptables notamment.

Votre offre est entièrement basée sur les services associés au SEPA. Quel est votre ressenti par rapport à ce projet ? Quel avenir lui donnez-vous ?

Certains voient le SEPA comme étant uniquement un outil de paiement transfrontalier. Mais c’est avant tout un renouvellement de systèmes pour la plupart vieux de plus de trente ans qui ne correspondaient plus aux attentes du marché. C’est un socle commun sur lequel les entreprises peuvent développer leurs propres outils : le TIP ou le télé-règlement par exemple. Demain, des paiements mobiles ou par NFC fonctionneront certainement sur la base du paiement SEPA.

Envisagez-vous un échec du SDD ? Que ferait SlimPay dans ce cas-là ?

Pour le moment, le plan de charge de 2013 de SlimPay est très fourni et se remplit encore.
La « end-date » de la migration au système SEPA est février 2014. On peut avoir un avis négatif sur le SDD mais tout comme lors du basculement du Franc à l’Euro, il est inévitable : quoiqu’il se passe, tous les acteurs passeront au SDD.
Evidemment, ceci pourra se faire à contrecœur et/ou au dernier moment, il faudra alors effectuer la bascule au « chausse-pied » ! Ce sont ces personnes qui sont potentiellement clientes de SlimPay puisqu’elles auront intérêt à externaliser le processus.

La zone d’application du SEPA comprend trente-deux pays membres au sein de l’Europe. Comptez-vous profiter de l’ampleur de ce marché et diversifier votre clientèle à l’international prochainement ?

Pour le moment, tous nos clients créanciers sont en France, leurs clients, eux, peuvent être partout en Europe. A l’avenir, tout commerçant de la zone SEPA est une cible potentielle.
Pour le moment, l’enjeu de SlimPay n’est pas de trouver de nouveaux clients mais de savoir comment répondre à la demande immédiate !

Propos recueillis par Sia Conseil

PARCOURS

Jérôme Traisnel est un entrepreneur français spécialisé dans les nouvelles technologies, les mobiles et  la sécurité. Après une carrière internationale chez Texas Instruments puis Gemalto, en tant que directeur marketing carte à puce banque et télécom puis directeur général Europe du Sud, il rentre en France en 1999 pour fonder Freever en compagnie de Philippe Tissot et Fabien Thiriet.
Freever est le spécialiste des services à valeur ajoutée autour du SMS, opéré en mode SaaS (Software as a Service) pour le compte des opérateurs mobiles. En 2001, Freever lance la première application de vote par SMS pour LoftStory, puis en 2002 les premiers « chat » par SMS entre les jeunes et les hommes politiques comme Jean-Pierre Raffarin, Tony Blair, et des stars comme Beyonce et Graig David. En 2005, la société compte 120 collaborateurs et travaille pour les plus grands opérateurs comme Vodafone, Orange et T-Mobile. En 2006 Freever intègre le groupe Buongiorno, spécialiste Européen des services et contenus pour mobiles.
En 2009 il fonde ZiPay, renommée depuis SlimPay en compagnie de Jean-Louis Hoenen.  SlimPay est un prestataire de service de paiement spécialisé dans les paiements sécurisés sur Internet.
Jérôme Traisnel s’investit également dans l’aide à la création d’entreprise, et intervient auprès de plusieurs jeunes entreprises innovantes incubées auprès de Telecom & Management SudParis.


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