Le Lac Keitele, 1905.
Huile sur toile, 53 x 66 cm, Londres, National Gallery.
(cliché © The National Gallery)
Jean Sibelius (1865-1957), « le plus mauvais compositeur du monde » selon le mot de René Leibowitz, est un homme de ruptures et de solitudes dont la production, si l’on excepte son Concerto pour violon (opus 47, composé en 1903, révisé en 1905), malheureusement trop souvent défiguré par des solistes soucieux d’y déployer une esbroufe dont il n’a que faire, peine depuis toujours à s’imposer en France et, plus globalement, dans les pays latins. Le corpus des symphonies, composé entre 1899 (1ère) et 1924 (7e, une 8e symphonie fut détruite par le compositeur dans le courant des années 1930), évolue d’une esthétique encore clairement romantique à un style de plus en plus condensé et austère.
Au centre de cette production trône la 4e Symphonie en la mineur, sans doute la plus mal-aimée, la plus « difficile », la plus exigeante, en tout cas, pour l’auditeur. Composée entre la fin de 1909 et 1911, l’œuvre a été mal accueillie dès sa création, le 3 avril 1911 à Helsinki. « Musique cubiste », « musique du XXIe siècle », elle laissa le public perplexe et désorienté, sentiments qui perdurèrent malgré les efforts de quelques chefs courageux, dont Arturo Toscanini, pour l’installer au répertoire.
Le troisième mouvement, Il tempo largo en ut dièse mineur, que j’ai choisi de vous présenter est sans doute le plus « abordable » des quatre qui constituent la symphonie. Il procède par agrégation progressive des éléments thématiques et accumulation d’une tension émotionnelle qui ne va se libérer que dans la seconde partie du morceau (ici de 6’ à 8’03”), en deux explosions qui font songer aux mouvements lents d’Anton Bruckner (1824-1896), que Sibelius admirait et dont l’Adagio de la 7e Symphonie en mi majeur (1881-83), affectivement très chargé, est écrit lui aussi dans la tonalité d’ut dièse mineur. Coïncidence ? Cet Il tempo largo constitue, en tout cas, une magnifique méditation qui émerge lentement du silence, parvient, à force de volonté, à déployer ses ailes et, brisée par cet effort, se réfugie, mue par un mouvement de reflux, en des régions proches de l’extinction. Significativement, et ceci constitue un autre parallèle troublant avec ce que dit l’Adagio de la 7e Symphonie de Bruckner, Sibelius demanda expressément que ce mouvement soit interprété lors de ses funérailles.
Jean Sibelius (1865-1957), Symphonie n°4 en la mineur, opus 63 :
3e mouvement : Il tempo largo
Chamber Orchestra of Europe
Paavo Berglund, direction