Plan-reliefs : géopolitique en trois dimensions

Publié le 05 février 2012 par Egea

La géographie, ça sert, d'abord, à faire la guerre. C'est au fond un des programmes de la géopolitique. Et c'est pourquoi l'exposition en cours des plans-reliefs au Grand palais est si passionnante : car on y voit une géopolitique en trois dimensions, qui suscite bien des réflexions. Non seulement un spectacle, mais aussi l'occasion de questions.

source

1/ En effet, on pouvait voir ces plans-reliefs au musée des Invalides : avouons le, qui y allait ? Les exposer sous la verrière du Grand Palais est une excellente idée : on a la place de tourner au tour, avec de plus des miroirs inclinés qui permettent de voir ces maquettes "de haut" : un sentiment d'espace et de perspective qui était d'ailleurs un des premiers desseins de ces plans-reliefs. L'autre dessein consistait à disposer d'outils de guerre : ne nous y trompons pas, l'effort poursuivi au long de trois siècles (de Louis XIV à Napoléon III) est d'abord un effort de "connaissance-anticipation", comme on dit aujourd'hui. C'était un outil de renseignement, de préparation de la guerre, d’entraînement.

source (Saint-Omer)

2/ Outil d'abord géographique : la petite pièce, au début de l'exposition, sur les relevés et épures, sur l'ingénierie de construction de ces maquettes, sur les instruments est à la fois passionnante et trop brève. Qu’on comprenne seulement qu'il fallait énormément de relevés : planimétriques, mais aussi d'élévation. Autrement dit, la 2D mais aussi la 3D, notamment pour les hauteurs des maisons : le plan de Grenoble nécessita qu'un releveur passe quatre mois dans la ville pour prendre toutes les hauteurs des immeubles ! Dès lors, la maquette est d'abord construite autour d'une planimétrie, sur laquelle on dispose les hauteurs : immeubles, fortifications, arbres, vignes, maisons, ponts...

source (Brest)

3/ Le pré carré : l'expression est régulièrement utilisée, sans que souvent l'on sache précisément de quoi il s'agit. Or, elle désigne le réseau de fortifications dressé au Grand Siècle pour défendre la frontière nord du royaume contre les Pays-Bas espagnols, jugée trop proche de Paris (200 Km). Il s'agit d’ailleurs d'une double trame, avec forteresses principales et secondaires, organisées de sorte qu'on ralentisse l'ennemi : un réseau défensif.

source (sur cette très bonne page sur Vauban)

4/ Une géographie militaire, donc ? Oui, mais pas seulement. Certainement une géographie. Car ce développement des plans reliefs s'inscrit dans les deux grands projets de description cartographique du pays : la carte de Cassini (au 86.400°) levée à partir de 1756 et la "carte d'état-major", au 40.000°, développée aux débuts de la III° République (projet lancé dès 1818, avec une première "édition" en 1875). Certes, les premiers plans-reliefs datent de la fin du XVII°. Remarquons toutefois, ainsi que nous le propose le parcours de l'exposition, qu'il s'agit au début surtout de dresser les maquettes des forteresses, afin de comprendre comment préparer les sièges : c'est tout l'art de la poliorcétique dont le prince est, assurément, Vauban. Une affaire militaire, qui rapidement devient aussi géopolitique : en dressant le plan des villes (Grenoble, Briançon, Strasbourg ...) le roi "prend connaissance" de son royaume. Le territoire est approprié par le pouvoir, de façon différente du premier "tour de France", celui de Charles IX de 1564 à 1566. De la guerre on passe à la ville, dans une "géographie de la ville avant la guerre" qu'apprécierait B. Tratnjek.

Source (Besançon)

5/ On appréciera également l'apparition de l'urbanisme : avec le temps, les maquettes s'agrandissent et montrent des villes : on pense à Besançon, puis à Strasbourg, enfin à Cherbourg et Brest. Sur des plateaux qui dépassent les 100 m², on observe l'expansion des villes, mais aussi leur modernisation : non seulement les ateliers industriels, mais aussi le chemin de fer ou les gazomètres. En sus de la réflexion stratégique, voir Besançon "avant" l'extension des faubourgs du XIX° siècle est également tout à fait passionnant pou rqui connaît la ville aujourd'hui : il s'agit là de "reflets de réalité" qui constituent une intéressante butte témoin pour les géographes.

source (Neuf-Brisach)

6/ Cette représentation (mot géopolitique s'il en est) de la réalité s'arrête à la fin de la révolution industrielle, à un moment où la guerre également s'industrialise, et où, peut-être, il n'est plus besoin de ces maquettes : mais on a peu d'indications sur les raisons de l'arrêt de leur construction :

  • le nouveau réseau de fortification Serré de Rivière en est-il la cause ?
  • croit-on au contraire qu'à cause du chemin de fer, la guerre ne se fera plus en ville mais dans les campagnes ?
  • ou faut-il y voir la conséquence de la longue période de stabilité apportée par l'Europe du traité de Vienne ?
  • voit-on apparaître un autre facteur de puissance, économique, qui rend ces maquettes désuètes, à cause justement de la dynamique du "progrès" qui rend ces représentations statiques trop figées par rapport à l'évolution et, déjà, l'accélération du temps ?
  • est-ce lié à la défaite de 1870, et au questionnement géopolitique qui s'ouvre alors autour de Vidal de La Blache ? une géographie trop visiblement associée à la puissance est-elle alors tolérable ?

On ne sait, et je laisse la question ouverte.

source (Briançon)

7/ Pour conclure, on s'interroge sur des notions proches : "Pouvoir", "Puissance". S'agit-il de synonymes ? Le pouvoir (politique ?) dépend-il de la puissance (militaire mais aussi économique) ? Cette question recouvre, en fait, l'interrogation fondamentale de la géopolitique et de ses rapports au territoire.

source (Embrun)

Exposition "La France en relief", jusqu'au 17 février, 5 € l'entrée, 2,5€ pour tarif réduit. Pas mal d'animations pour les enfants qui rendent la visite ludique et familiale.

  • Un seul regret : le catalogue, certes peu cher (9 €), est un peu décevant, avec peu d'information et de bibliographie : Dommage !
  • le site internet créé pour l'occasion, en lien avec la "Maison de l'histoire" qui anime la chronique
  • J'ai enfin appris que l'IGN a un peu changé de format depuis le 1er janvier 2012 : il est devenu "Institut national de l’information géographique et forestière" après avoir fusionné avec l'Inventaire forestier national. Il conserve le sigle ign.

O. Kempf