Ces vidéos sans « distinction »

Publié le 06 février 2012 par Mentre

Les sites de presse publient de plus en plus de vidéos. Celles-ci sont d’une qualité pour le moins inégale. Des sujets élaborés et soignés côtoient de courts films d’actualité visiblement tournés « à l’arrache », dont on peut se demander s’ils ont leur place sur des sites d’information.

Depuis déjà longtemps mon attention avait été attiré par de courtes vidéos, dont la pertinence et l’intérêt me laissaient dubitatifs. Ces « objets visuels » très proches des films amateurs présentent un certain nombre de caractéristiques communes :

  • un tournage en plan séquence —avec un abus du panoramique— trahissant une absence de montage
  • un tournage « à la main », dit autrement tournés sans utiliser de pied, ce qui se traduit par une image tremblée
  • un son « brut », qui malheureusement traduit une absence de réflexion sur le son et sa qualité (absence de bonnette sur les micros, post production, etc.)
  • l’absence quasi générale de banc titre, légendes et autres cartels, interdisant d’identifier (sur la vidéo elle-même) le lieu et les acteurs de la vidéo
  • l’absence de commentaires et d’interviews.

Bref, le degré zéro du journalisme. Voici à titre d’exemple ce que l’on peut trouver sur le site d‘Ouest France, à propos d’une baleine échouée sur la plage de la Torche, mais aussi sur d’autres sites de presse quotidienne régionale (PQN) comme ceux de L‘Est Républicain, de La Provence, de La Voix du Nord,  etc.


baleine échouée par OuestFranceFR

La multiplication de ces vidéos correspond à l’équipement des rédactions en smartphones, faisant de chaque journaliste un potentiel vidéaste. Ce mouvement n’est pas réservé à la seule presse française.

Par exemple outre Manche, l’ensemble des journalistes du Manchester Evening News (groupe M.E.N.) sont équipés de Nokia N8 depuis 18 mois, avec lesquels ils prennent photos et vidéos. Paul Gallagher, le responsable du site tire un bilan très positif de l’expérience, car il génère du trafic :

au cours des émeutes [août 2011] les 16 journalistes déployés dans la ville [de Manchester] ont produit 109 images qui ont créées 12.000 vues.

Mieux, un sujet que Paul Gallagher décrit comme étant « pratiquement un clip de 30 secondes [qui pourrait être extrait] d’une vidéo de la police » a réalisé 16.000 vues. [Plus de détails sur College of Journalism de la BBC]. Que ceux qui n’ont pas envie de regarder ce « clip » se rassurent, il rassemble tous les ingrédients de la vidéo bas de gamme: pas de banc titre, panoramique légèrement tremblé, pas de commentaire, le vent en bruit de fond, etc.

La publication de ce type de vidéos ouvre sur plusieurs champs de réflexion :

  • Qu’apportent-elles réellement en terme de plus-value journalistique? Elles réduisent le rôle du journaliste —ou du photographe— à celui de simple témoin, enregistrant une scène (le plus souvent sans caractère exceptionnel), sans en restituer le contexte. Pire, leur médiocre qualité les place à un niveau égal voire, le plus souvent, inférieur à celui d’un amateur qui capterait la même scène. La « distinction » [au sens de "se distinguer"] qui fait la spécificité du travail d’un professionnel, son apport est ici perdue.
  • Ces vidéos attirent et « génèrent du clic ». À court terme, c’est sans aucun doute un bon calcul. Mais sur le long terme, l’image des sites d’information ne peut que s’en trouver abîmée. Il existe déjà des sites qui privilégient la quantité sur la qualité, ce sont les « fermes de contenus ». Est-ce vraiment cela l’avenir souhaité pour les sites d’information?

Au-delà de ces questionnements, une certitude: les smartphones sont des appareils merveilleux, car ils sont tout à la fois des enregistreurs numériques, des appareils photos et des mini caméras [voir : Le meilleur ami du reporter] . Mais leur emploi exige la maîtrise non seulement de l’appareil lui-même —de ses possibilités et de ses limites—, mais aussi de ces trois techniques distinctes que sont la prise de son, la photo, et la capture de vidéos, et ce sans compter le montage!