Jules Supervielle (anthologie permanente)

Par Florence Trocmé

Mon cœur, si mal blotti dans notre solitude, 
L’un à l’autre attachés, nourris d’un même sang, 
Mon cœur et mon cerveau, mes ramiers sous le vent, 
Retenus à leur toit par une corde rude, 
Le toit c’est encore moi et même la maison, 
Et même les ramiers qui sont à naître encore 
Mais devinent déjà les couteaux de l’aurore, 
Palpitants et peureux dans un sommeil sans fond 
 
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État des lieux 
 
Ô rides de l’aridité 
Visage cent fois dévasté 
Par des batailles clandestines 
Et le coup de dent des ruines.  
L’aube fait son état des lieux, 
Nous sommes nus sous ses grands yeux 
Et voilà qu’elle nous assume 
Est-ce ainsi qu’on devient posthume ? 
Autrefois en nous attendant 
L’avenir était un géant. 
Quand il tournait vers nous sa face 
L’espace emplissait nos terrasses. 
Pressé de devenir passé, 
Moitié sombre moitié glacé, 
Plus maigre d’aurore en aurore 
L’avenir voûté nous ignore. 
Le présent l’imite et le fait 
Si bien qu’il en est contrefait.  
Même quand nous fermons les yeux 
Pour le retrouver quelque peu, 
Il est si distrait, si peu nôtre, 
Qu’il nous confond avec un autre. 
Ou bien visage sans paupières, 
Pour que son œil soit plus perçant 
Il fait main basse sur le sang 
Lui qui sait le rendre de pierre. 
Il plante ses secrets drapeaux 
Qui restent là jusqu’à pourrir 
Sur le corps chantant du poète 
Hanté de mots qui lui font fête 
Profonde, jusqu’à l’abolir 
 
Jules Supervielle, Œuvres poétiques complètes, édition publiée sous la direction de Michel Collot, Bibliothèque de la Pléiade, 1996, pp. 281 et 577.  
 
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