CLAIR DE LUNE (1882b), d'après Maupassant

Publié le 10 février 2012 par Dubruel


L’abbé haïssait les femmes.

Il détestait leur œuvre de damnation.

Il méprisait leurs corps de perdition.

À son avis Dieu n’avait crée les femmes

Que pour tenter

Les hommes et les régenter.

Une nièce vivait à ses côtés.

Il voulait en faire une sœur de charité.

Elle était jolie, moqueuse, écervelée.

Quand l’abbé la sermonnait,

Elle ricanait,

Quand il se courrouçait,

Elle l’embrassait.

Un matin,

Le sacristain

Apprit au célébrant

Que sa nièce avait un amant.

Il en ressentit une vive émotion.

Et resta un instant oppressé,

Avec du savon

Plein la figure car il se rasait.

Quand il se retrouva en état

De parler, il marmotta :

-Ce n’est pas vrai, tu mens !

-Que le Seigneur me juge si je mens.

J’vous dis qu’elle va le voir

Tous les soirs.

Ils se r’trouvent le long de l’Eure

Jusqu’à point d’heure.

Le prêtre demeura gonflé d’indignation.

À sa fureur

S’ajoutait l’exaspération

Du père moral, du tuteur,

Du chargé d’âme trompé,

Joué, volé, dupé.

Quand dix heures sonnèrent,

Il prit sa canne à pointe de fer,

La regarda en souriant,

Et la fit tourner en des moulinets menaçants.

Mais dehors, il fût surpris par la beauté

Du clair de lune, exalté

Par la grandeur de cette nuit estivale

Baignée de lumière pâle,

Étonné par la frémissante verdure

Des arbres, et saisi par les ramures

Exhalant leurs souffles parfumés.

Il respira l’air embaumé,

Et se remit en marche, buvant l’air

Comme les ivrognes boivent de la bière.

Il allait à pas lents,

Contemplant

La plaine inondée de lueurs caressantes,

Noyée dans la douceur languissante

De cette nuit sereine

…Qui lui fit oublier sa nièce, sans peine.

Des rossignols vocalisaient

Des chants qui font rêver sans faire penser.

L’abbé avait envie

De s’asseoir ici

Et d’admirer l’œuvre divine :

-J’hallucine.

Pourquoi Dieu a-t’il destiné

La nuit au sommeil ?

Pourquoi l’a-t’il rendue plus

Jolie que la journée ?

Et pourquoi la lune était-elle plus

Poétique que le soleil ?

Pourquoi avoir crée tant de séductions la nuit

Alors que les hommes sont en leurs lits ?

À qui sont destinés ces spectacles choisis,

Cette abondance de poésie ?

Je ne comprends pas.

Mais voilà que là-bas,

Deux ombres étendues sous les arbres,

Telles des gisants de marbre,

S’enlaçaient tendrement.

Toutes deux semblaient un seul être

Et s’en venaient vers le prêtre.

Celui-ci restait debout, le cœur battant.

Il croyait assister à une scène biblique

Et entendre le Cantique des Cantiques :

-Pourquoi Dieu interdit-il l’amour

Puisqu’il l’entoure

D’une splendeur aussi sacrée ?

Alors il s’enfuit, presque honteux

Comme s’il eût pénétré dans un saint lieu

Où il n’avait pas le droit d’entrer.

Signé du pseudo : Rosa des Aipines

Cette histoire, racontée en vers libres, est extraite du tome III (à paraître prochainement) consacré aux contes de Guy de Maupassant.

Les deux premiers volumes parus chez Edifree sont :

Tome I (34 contes) : Quel est cet imbécile qui ose mettre en vers des nouvelles de Guy de Maupassant ?

Tome II (40 contes) : Quel est donc ce cornichon qui persiste à mettre en vers des contes de Maupassant ?