Malades et jurés littéraires, le pari fou du prix Folire

Publié le 12 février 2012 par Lana
     SOPHIE GUIRAUD 11/02/2012, 09 h 47 | Mis à jour le 11/02/2012, 17 h 56   PPDA lors d’une visite au centre hospitalier de Thuir, avec une patiente. (DR)

Qui sera désigné, en novembre 2012, lauréat du prix Folire ? Ce singulier concours littéraire, né l’an dernier dans les Pyrénées-Orientales, ne se contentera pas de rajouter un nom entre les lauréats du Goncourt et du Renaudot. Comité de lecture, présélection… tout commence comme pour un prix classique. Sauf qu’ici, les jurés ne sont ni Académiciens, ni lecteurs avertis. Ils figurent sur la liste des 13 000 patients qui fréquentent chaque année l’hôpital psychiatrique de Thuir. Une expérience unique, une aventure riche.

Pas le prix des fous

“Le danger, c’était que ce soit le prix des fous”, précise immédiatement le directeur des soins Patrick Méchain, à l’heure du bilan de la première édition, alors qu’un deuxième rendez-vous se prépare. Les retours sont étonnants. Rien de révolutionnaire. Mais des changements subtils de comportement, des frontières déplacées ou ébranlées, un regard différent. Julien Camaly, infirmier, référent du groupe de lecture du centre pénitentiaire de Perpignan, a réuni sans difficultés un groupe de dix patients au sein du secteur “psy” de la prison, rattaché à l’hôpital de Thuir.

“Le support n’était pas facile. Mais pour une fois, on leur demandait leur voix alors qu’on leur demande généralement de se taire. C’est une fenêtre vers l’extérieur, l’occasion de se rencontrer, de casser la routine, mais pas seulement. Des masques sont tombés. Et ils ont vu que dans la contrainte, puisqu’on leur a imposé les livres, il y avait des choses intéressantes à découvrir.” L’infirmier réitérera l’aventure.

“Est-ce qu’on était capables de lire ? C’était le premier défi”, enchaîne Dominique Laurent, qui se présente comme “ancienne usager de la psychiatrie”. Elle a monté le plus ancien groupement d’entraide mutuelle (GEM) de la région, la Maison bleue, qu’elle préside. Ici, neuf personnes ont participé à Folire. Avec leurs problèmes de concentration et parfois leur goût perdu de lire… “Redonner le goût, faire des projets, s’investir sur plusieurs mois” et surtout “voter”, “un acte citoyen qui n’est pas anodin en période électorale chez des personnes qui se sentent éjectées des circuits”, malgré la “frustration” que peut générer l’élection de celui qu’on n’a pas choisi… Pour elle, le défi a “été relevé”. De manière “inattendue” : “Le message à faire passer, ce n’est pas “Regardez, les fous lisent !” On est en marge de la lecture.”

Des lecteurs pas des patients

Au-delà de nécessaires ajustements, les témoignages vont dans le même sens : “C’est la prise en charge holistique qu’on nous enseigne”, se félicite Sarah Cellon, infirmière qui a vu des patients “relativiser leur parcours”, d’autres, très discrets, “parler, s’emparer de l’espace offert”. Patrick Méchain constate que des anciens malades ont pu ainsi “revenir à l’hôpital dans une démarche positive, alors que c’est une parenthèse compliquée dans leur histoire”.

Et se félicite que “dans cette affaire, on n’ait jamais considéré le participant comme un patient”, mais “comme un lecteur”. “On contribue à modifier les représentations autour de la maladie mentale”, glisse enfin Philippe Raynaud, psychiatre.

“Ce n’est pas un petit concours, comme ça”, conclut Alexandre, un patient. Alain Llense (Elle fut longue la route, ed. Talaïa), le gagnant 2012, ne s’y est pas trompé. Il était très ému lors de la remise de son prix.

 Avec une validation scientifique

Folire va faire l’objet d’une évaluation scientifique sur les cinq années à venir. Menée en collaboration avec le CHU de Montpellier, elle étudiera si « Folire favorise l’insertion dans la vie sociale », et peut être considéré « comme un projet thérapeutique », explique Patrick Méchain, qui liste différentes pistes : lutter contre la stigmatisation et les troubles cognitifs, voir comment, à partir d’un livre, on peut parler de soi, se sentir libre de sa maladie… S’inscrire dans un droit non par nécessité mais par plaisir… Le prix n’en sera pas moins amené à évoluer : « On s’est imposé un cadre, pas de sexe, pas de violence… À tort, on a voulu protéger les patients de tout. » Sans pour autant y parvenir. Dominique Laurent tempête : « Il faut arrêter de penser pour nous. Choisir comme un lecteur plutôt que comme un infirmier ou un psy. »

Lire plutôt qu’écrire

« Tout est parti d’ici », rappelle Philippe Banyols. Un restaurant de Thuir, un repas avec André Bonet, président du Centre méditerranéen de littérature. Les deux hommes partent d’abord sur une fausse piste : inciter les patients de l’hôpital à prendre la plume, pour désigner parmi eux le meilleur auteur. L’idée est vite écartée : valorisant pour le lauréat, mais potentiellement ravageur pour les candidats malheureux mis en concurrence. Le concept est inversé : ce sont les patients, étiquetés “fous” par la société, qui jugeront les écrivains et désigneront leur préféré. Pas anodin non plus : « On ne savait pas où on mettait les pieds », reconnaît Philippe Banyols.

Après une présélection d’une dizaine de titres, trois romans sont sélectionnés en juillet dernier avant d’être proposés à la lecture aux malades. Patrick Poivre d’Arvor accepte de parrainer la première aventure, la mobilisation est plus importante que prévu. « On s’attendait à une dizaine de patients intéressés », se souvient Philippe Banyols. Le prix sera finalement décerné par 67 malades volontaires. Cette année, les éditeurs (Gallimard, Actes Sud, Le Diable Vauvert…) sont plus nombreux à jouer le jeu. Avec, toujours, la caution d’une célébrité.

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