La veille, chez moi

Publié le 13 février 2012 par Marc Lenot

Au début, il y a une rencontre, une audace, un projet, puis deux mille mètres de fil rouge qui construisent un mur en diagonale dans le salon, le séparant entre un espace hyper-privé, inaccessible, où ELLE sera, où nul ne peut plus entrer, et un espace devenu semi-public, où, tout au long de l'après-midi, de midi au coucher du soleil, les invités, connus ou inconnus, se presseront. Le contre-jour l'enveloppant pudiquement, à un mètre de nous derrière ce mur, Romina de Novellis, nue, agenouillée sur un coussin, va, près de sept heures durant, défaire peu à peu ce mur, dévider ce fil. La destruction du mur la dévoile au fur et à mesure que la pénombre s'installe et l'obscurcit. Du fil, elle fait des noeuds, évocation du rosaire que récitait sa mère à l'église, deux mille prières que l'enfant peu pieuse comptait inlassablement.

Il y a là une tentative d'épuisement, épuisement du corps (à la fin de la performance, l'artiste n'en peut plus), épuisement du temps (certains sont restés là tout le temps de la performance), épuisement du mythe. Car tout son travail ou presque tourne autour des mythes féminins, ici la tisserande (et je ne pouvais pas ne pas penser à la citation de Freud vue chez Anne Deguelle), ailleurs la nourricière, la lavandière, la mère, voire la sainte ou la pute, selon les lieux et les contextes.

Pénélope ou Parque, elle continue obstinément son labeur, sans faiblir, et la beauté de la scène irradie, trouble, fascine. On est aussi enveloppé par des chants du Salento (dans les Pouilles), litanies de travail ou de deuil, berceuses ou chants d'amour, dont certains recueillis par elle-même au cours de ses recherches anthropologiques. C'est une veille intense et troublante, dont on ne sort pas indemne.

Lire aussi le témoignage de Pauline Daniez.

Photos de l'auteur (la dernière montre une litho de Julian Opie au mur derrière les fils)