La science et l’art, et le corps

Publié le 20 février 2012 par Marc Lenot

Stéphane Graff, Testing the water, 2010

Cette exposition à la galerie Odile Ouizeman (jusqu'au 25 février seulement) n'exige pas d'être diplômé de Polytechnique, mais on y est néanmoins entouré d'équations mathématiques, d'expériences de physique et de démonstrations de biologie : rien d'obscur ou d'incompréhensible, mais, surtout quand le corps s'en mêle, une sensation troublante devant l'absence de frontière entre expérience scientifique et expérimentation artistique, entre émotion esthétique et plaisir mathématique ("certains pleurent d'émotion devant les équations de Maxwell").

Stéphane Graff, Professore (video)

Stéphane Graff abolit la frontière entre l'atelier de l'artiste et le laboratoire de son alter ego Professore. Son expérimentation passe aussi par l'utilisation de techniques photographiques anciennes. Le personnage du savant un peu fou hypnotisant son patient / modèle devant un tableau noir couvert d'équations pourrait être caricatural, mais les dédoublements d'image dus aux miroirs et aux inversions d'image créent un univers à la fois monstrueux et poétique, non dénué d'un érotisme un peu morbide.

Reynold Reynolds, Secret Machine (vidéo)

Reynold Reynolds, Secret Machine (vidéo)

Reynold Reynolds est beaucoup plus inquiétant car sa science est manipulatrice, démoniaque, dangereuse. Dans Secret Machine, aux mains d'une expérimentatrice kapo tout de noir vêtue qui prélève, masse, incise, déflore, la patiente, en combinaison blanche ou nue, est soumise à des exercices de noyade, d'insémination par du pollen, de course jusqu'à l'épuisement, de transes au sol, de descente d'escalier, de tremblements électriques : ses grimaces sont-elles de douleur ou de plaisir ? Le corps n'est en tout cas plus qu'un objet d'expérience, devant une grille de Muybridge. La caméra revient souvent sur la bibliothèque scientifique du labo, caution de tous ces tourments.

Eric Duyckaerts, Mémoire (vidéo)

C'est ensuite un plaisir toujours renouvelé d'aller écouter un cours de l'enthousiaste logicien Eric Duyckaerts qui, devant un papier peint violet et rouge à la Twombly, disserte éloquemment sur la mémoire biologique de la limace de mer Aplyssia et son réflexe 'Gill Siphon Withdrawal', ou tout autre sujet absurde, hermétique et passionnant. De menaçante, la science devient ludique, poétique, et on ne peut qu'admirer la performance de Duyckaerts, son expressivité, ses yeux écarquillés, sa gestuelle répétitive ("ana ça monte, cata ça descend"). On a même droit à " Ouk elabon pollin..."

Jean-Michel Pancin, Imbrication des dédales passionnels

Enfin, les équations mathématiques de Jean-Michel Pancin (qui va prochainement publier le livre Dédales, avec Raphaël Mognetti et Xavier Guichet, mais sans Laurent Derobert, lequel montrait récemment aux Bernardins un travail similaire sur l'amour), si elles sont totalement hermétiques à la quasi totalité des visiteurs, ne sont pas dénuées d'une certaine poésie, évoquant le mythe d'Icare.

Photos 1, 4, 6 & 7 courtoisie de la galerie Ouizeman. Photos 2, 3 & 5 de l'auteur.