Livre : L'oligarchie des incapables

Par Plumesolidaire

Oligarchie :

Système politique
dans lequel le pouvoir appartient à un petit nombre d'individus ou de familles, à une classe sociale restreinte et privilégiée.
« 
Au XVIIIesiècle le gouvernement municipal des villes avait donc dégénéré partout en une petite oligarchie  »

(Tocqueville,Anc. Rég. et Révol., 1856, p.114).

« Jusqu'à la fin du XIXesiècle, on a vécu sur une typologie des régimes politiques héritée des Grecs,
qui opposait la monarchie, l'oligarchie et la démocratie.
Monarchie ou gouvernement d'un seul, oligarchie ou gouvernement de quelques-uns, démocratie ou gouvernement de tous
 »
(
Traité sociol., 1968, p.5)

Ils se servent de l'Etat pour aider leurs amis, fabriquent des lois sur mesure pour leur bon plaisir et laissent le pays aux mains de bandes rivales. Patrons, hauts fonctionnaires, élus ou experts, ces oligarques nous gouvernent avec un mélange d'incompétence et de lâcheté. Après L'Omerta française, Sophie Coignard dont les enquêtes font trembler le monde politique et Romain Gubert, journalistes au Point, nous révèlent vingt ans de compromissions et d'affaires cachées, qui ont permis à une caste de maintenir son règne malgré ses échecs répétés.
En toute impunité."

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Le ressentiment contre l'élite française qui accapare les pouvoirs est une rangaine bien connue, qui appartient au fond de commerce historique des idées  de  l'extrême droite.

C'est aussi le fond de commerce de Sophie Coignard.

Si la description des auteurs est bien le reflet d'une réalité, ce n'est de mon point de vue que le reflet d'une partie de l'ensemble de la réalité.

Il y a bien une élite oligarque en France. L'affaire du projet de nomination de Jean Louis Borloo à la tête de Véolia semble en constituer un nouvel indice.

 

Le pamphlet présente toujours la moitié séduisante du visage  : celle qui conforte nos croyances, nous rassure et accroît notre indignation en désignant une victime expiatoire.

Or pour mieux voir la "réalité vraie" il est préférable de  se servir de ses deux yeux que d'un seul.

Je me méfie de ma propre propension à ressasser la même vision triste du monde.

Car, pour en revenir au livre,  outre le fait que les auteurs oublient d'aborder les moeurs de pans entiers de cette nomenklatura à la française : professions libérales, think tank par exemples..., on aurait apprécié qu'ils honorent au passage ces membres de l'élite silencieuse qui demeure attachée à l'intérêt général et au service public.

La composition de nos élites de toutes natures est heureusement plus complexe que celle de l'oligarchie décrite dans ce livre.

Même si cette aristocratie s'est considérablement développée ces dernières années, c'est vers l'autre partie que se portent nos espoirs.

Un pays sans élite est un véhicule sans moteur qui descend une route sinueuse de nuit sans phares !

Démocratie, élite, corps intermédiaires : autant de "mots valises" faciles à instrumentaliser sans les définir.

Une démocratie sans élite ne risque-t-elle pas de conduire à une démocratie populaire ?

Un pays sans corps intermédiaires ne s'expose-t-il pas au risque de la dictature, y compris à celle de l'opinion ?

Encore faudrait-il donc, savoir de quelle élite nous avons besoin aujourd'hui; mais ça c'est une autre affaire.

Plume Solidaire

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Chronique de Brice Couturier du 9 janvier 2012 - Les Matins de France Culture

"Pour Raymond Aron, l’une des caractéristiques des sociétés industrielles démocratiques, c’est que « les pouvoirs spirituel (ou intellectuel), politique et économique y sont séparés ». Il y a « dissociation des pouvoirs ». Et il ajoutait « les groupes qui exercent ces trois sortes de commandement sont en rivalité permanente. » 

40 ans plus tard, dans La faute aux élites, ce que Jacques Julliard écrivait à propos des élites françaises contredit ce modèle : « Quiconque a vécu aux Etats-Unis sait qu’y coexistent des lieux de pouvoir autonomes, au sein de la politique, de la finance, des médias, de l’université. Certes, ces milieux ne s’ignorent pas entre eux. Mais ils ne fusionnent pas non plus. Il en va différemment en France. Le Tout-Paris, expression vieillie pour une réalité toujours vivante, désigne un firmament de la célébrité où la politique, la banque, l’aristocratie, la spiritualité, l’art, la littérature, les affaires, la chanson, les médias, le grand banditisme, l’université, le sport se rencontrent, échangent des impressions, des politesses, des idées, des adresses, des services, des femmes, des informations, des positions sociales. (…) Ainsi se constitue un réseau continu de connivences, reliant entre eux les sommets des pyramides contiguës de hiérarchies professionnelles distinctes. »

L’un de nos maux français était ainsi nommé avec humour et pertinence. En France, les élites (dirigeants politiques, haute administration, monde des affaires, journalistes et présentateurs vedettes), loin d’être « en état de rivalité permanente », fusionnent au sommet. C’est bien pourquoi elles éprouvent le besoin de se concentrer dans trois ou quatre arrondissements de Paris. La solidarité des intérêts de carrière dicte un besoin de proximité géographique.

Second problème : cette super-élite, polyvalente, est parvenue à bloquer son propre renouvellement. En s’auto-reproduisant par le mariage endogame et en manipulant au service de ses enfants les sommets de la méritocratie républicaine, elle s’est muée en nouvelle aristocratie. Or, comme l’avait fort bien relevé Tocqueville, le peuple français ne tolère les privilèges des aristocrates que dans la mesure où il accepte aussi la dure loi des loteries : c’est-à-dire s’il conserve un espoir, même minuscule, d’y faire accéder un jour ses enfants, ou de gagner lui-même le gros lot….

Troisième problème : l’argent. Vous écrivez, Sophie Coignard et Roman Guibert, que notre super-élite, autrefois attachée surtout à ses statuts et aux symboles de son pouvoir, comme toute aristocratie, n’hésite plus à déroger pour s’en aller… faire du fric dans le privé. C’est le monde de la finance, celui qui s’est tant « goinfré » avant la crise qui donne désormais le ton. Et l’élite s’aligne désormais sur la hiérarchie des valeurs qui régit ce monde-là : celui où qui n’a pas sa Rolex à cinquante ans a raté sa vie… comme disait Séguéla. Vous faites une véritable fixation sur les inspecteurs des finances, révélant au passage que la majorité d’entre eux ont préféré partir « pantoufler » dans le privé, où leur compétence, certes, mais aussi leur connaissance intime de la mécanique financière de l’Etat, sont achetés à prix d’or…

J’ai gardé pour la conclusion le 4° problème, parce que c’est le plus urgent. Cette super-élite qui tient tout, devait nécessairement être tenue responsable de tout… Il est donc parfaitement légitime que la société lui impute l’échec français. Or, cet échec – chômage de masse structurel, manque de compétitivité, faiblesse de de l’innovation, Etat en quasi-faillite, défiance mutuelle et réformes impossibles – est désormais patent.

De temps à autres, éclate un coup de semonce : c’est la présence incongrue de Le Pen au 2° tour de la présidentielle de 2002, c’est la victoire du non au référendum de 2005, quand toute l’élite votait oui. Qui sait par quel biais s’exprimera, cette année, l’exaspération croissante de la société envers une aristocratie, dont non seulement la direction s’est révélée erronée, mais dont les intérêts particuliers semblent bien avoir pris le pas sur l’intérêt général.