Restructurer la Grèce dans la zone euro est illusoire

Publié le 27 février 2012 par Copeau @Contrepoints

Alors que les ministres des finances européens planifient l’approbation d’un deuxième plan d’aide à la Grèce, Hans-Werner Sinn, le directeur de l’Ifo, l’un des plus grands think-tanks économiques allemands, prévient que l’argent ne servira qu’à sauver les banques internationales – et non les Grecs. Il explique que la Grèce ne peut résoudre sa crise qu’en quittant l’euro.
Une interview publiée sur le Spiegel Online, le 20.02.2012

Graffiti d’un sablier à Athènes : “ Après la pluie, le beau temps."

Spiegel Online : Les ministres des Finances de la zone euro veulent autoriser un nouveau plan de sauvetage pour la Grèce ce lundi. Est-ce que les 130 milliards d’euros en plus (172 milliards de $) peuvent sauver la Grèce ?

Hans-Werner Sinn: Non et les hommes politiques le savent. Ils veulent gagner du temps jusqu’à la prochaine élection. Je pense que nous en perdons en faisant cela.

Pourquoi ?

Parce que la dette extérieure de la Grèce augmentera chaque année tant qu’elle ne quittera pas la zone euro. Nous nous éloignons même de plus en plus de la solution. Le problème de base est l’absence de compétitivité grecque. Les prêts à bas taux ont amené des prix et des salaires artificiellement élevés – et le pays doit redescendre de ce haut niveau.

Ainsi, les pays de la zone euro ne devraient pas approuver le plan de sauvetage ?

Ils devraient donner l’argent pour faciliter la sortie de l’union monétaire. Le gouvernement grec pourrait l’utiliser pour nationaliser les banques du pays et éviter l’effondrement de l’État. L’État et les banques devraient pouvoir continuer à fonctionner pendant la tourmente financière qu’une sortie de la zone euro entraînerait.

Cette tourmente frapperait-elle durement la population ?

Oui, incontestablement. Mais cette tourmente serait seulement passagère. Elle durerait peut-être un à deux ans. L’aide financière apportée par la communauté internationale pourrait aplanir cette difficulté. Mais la drachme se dépréciera immédiatement et la situation se stabilisera rapidement. Après la pluie, le beau temps.

Comment une sortie de l’euro aiderait-elle concrètement la Grèce ?

Elle redeviendrait compétitive. Parce que les produits grecs seraient rapidement moins chers, la demande se dirigerait rapidement des produits importés vers les produits fabriqués localement. Les Grecs n’achèteraient plus leurs tomates et leurs huiles d’olive depuis les Pays-Bas ou l’Italie mais depuis leurs propres fermes. Et les touristes, pour qui la Grèce est devenue trop chère ces dernières années, reviendraient. De plus, de nouveaux capitaux irrigueraient le pays. Les riches Grecs ont déposé des milliards voir des centaines de milliards d’euros en Suisse. Voyant les prix des biens immobiliers et les salaires chuter, il y aurait une incitation forte à revenir investir dans leurs pays.

La sortie de la zone Euro entraînerait-elle une faillite de la Grèce ?

Non, plutôt le contraire. La banqueroute entraîne la sortie. Les grecs vont immédiatement quitter la zone s’ils n’obtiennent pas de nouvelles aides internationales car la faillite ne peut pas se gérer dans la zone euro. L’État serait insolvable, ainsi que les banques. Le système complet de paiement s’effondrerait. Le chaos ne pourra être évité que si la Grèce quitte l’euro et que la dépréciation de la drachme se fait immédiatement.

Est-ce à dire que la Grèce devrait être forcée à partir ?

Non, personne ne devrait forcer personne. Mais, dans le même temps, la Grèce n’a pas le droit de recevoir en permanence l’assistance des autres pays de la zone euro. Et les créanciers de la Grèce n’ont pas le droit de se faire rembourser par la communauté internationale. Tout le monde doit gagner sa vie. Ceux qui choisissent de gagner l’argent avec de grands risques doivent supporter ces risques.

Si la Grèce était sur le point de quitter la zone Euro, est ce que les mesures dures d’austérité seraient nécessaires ?

Dans ce cas, les économies iraient uniquement dans une diminution de la croissance de la dette. Les économistes ne parlent que d’économie au cas où la dette serait repayée. La Grèce n’est pas prête de faire ça. Mais il est vrai que la Grèce s’est habituée à la manne du crédit bon marché en provenance de l’étranger. Et il est impossible politiquement de couper dans les salaires au point de rendre le pays à nouveau compétitif.

De combien faudrait-il diminuer les salaires ?

Les produits grecs devraient baisser de 30% pour être sur un pied d’égalité avec ceux de la Turquie. Cela ne peut être réalisé que si la Grèce sort de l’euro et avec une dévaluation de la drachme. Sans cette dernière, des millions de listes de prix et de contrats devraient être réécrits. Cela radicaliserait les syndicats de salariés et précipiterait le pays au bord de la guerre civile. De plus, des sociétés feraient faillite car leurs dettes resteraient les mêmes. Vous pouvez uniquement réduire vos dettes lors d’une dévaluation. Le projet de restructurer la Grèce à l’intérieur de la zone Euro est illusoire.

Pourquoi les pays de la zone euro sont-ils si unanimes à dire que la Grèce doit rester dans l’euro ?

Ce n’est pas vraiment pour aider la Grèce. Les Grecs sont pris en otage par les banques et les institutions financières de Wall Street, Londres et Paris qui veulent être sures que les flux financiers des plans de sauvetage publics reviennent dans leurs coffres, et non en Grèce.

Qu’en est-il de la contagion qui suivrait, si la Grèce faisait faillite ou sortait de la zone Euro? Les marchés financiers spéculeraient que d’autres pays suivraient la même destinée que la Grèce.

Il y aurait peut-être un effet domino. Mais je pense que cet argument est utilisé par des gens qui ont peur de perdre leur argent. Nous entendons partout que « le monde va s’arrêter si les Allemands arrêtent de payer. » En réalité, seul le portefeuille d’actifs de quelques investisseurs souffrirait.

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Interview réalisée par Stefan Kaiser pour Spiegel.
Traduction : Nicolas B. pour Contrepoints.