Charles Dubé : "Je refuse l'abîme du pessimisme"

Publié le 10 mars 2008 par Titus @TitusFR
Des "morceaux d'humanité". C'est ainsi que sont souvent décrites, ici et là, les chansons du Québécois Charles Dubé. Avec déjà deux albums à son actif, "Réverbère" et "Sortir de soi", cet auteur-compositeur-interprète qui fut pédopsychologue dans une autre existence, offre une lecture du monde à mille lieues du cynisme ambiant. Mais qui dit optimisme ou "idéalisme serein" ne dit pas forcément guimauve, loin de là. Un goût de liberté, une foi inextinguible en l'avenir traversent de part en part l'univers sensible de Charles Dubé. Dans l'interview qui suit, l'artiste nous révèle ses deux facettes, l'une solitaire, l'autre davantage tournée vers les autres...

En guise d'entrée en matière, voici la vidéo d'"Un ciel pour le soleil", chanson extraite du premier album de Charles Dubé, "Réverbère" sorti en 2004 :

Titus - Charles Dubé, votre album "Sortir de soi" tourne en boucle sur ma chaîne depuis près de deux mois. C'est un disque dont l'optimisme est contagieux et qui fait plutôt du bien par les temps qui courent... Les articles qui ont été publiés à votre sujet vous présentent souvent comme un "idéaliste serein". Cette définition vous sied-elle ?
Je crois que oui. En fait, je suis une personne plutôt optimiste de nature. J’ai souvent l’impression de voir le verre d’eau à moitié plein ;) D’un autre côté, je ne suis pas naïf non plus. Loin de moi l’idée de nier les difficultés de l’existence et des exigences que la vie amène. En fait, les problèmes, je m’en occupe, mais je refuse l’abîme du pessimisme.
Titus - J'ai évoqué votre optimisme. Toutefois, je ne voudrais pas donner l'impression que ce que vous faites se classe dans les produits "rose bonbon". La gravité, la tristesse apparaissent sans arrêt en filigrane dans vos compositions. Vous ne cherchez pas à éluder les difficultés de l'existence; seulement, vous semblez refuser d'y réagir par le cynisme, pourtant si répandu par ailleurs...
Je crois que je suis fondamentalement un humaniste dans la vie et par le fait même dans ma façon d’écrire. Le mouvement existentiel donne du sens à ma perception du monde. Conceptualiser le bien, c’est aussi devoir reconnaître la souffrance… Par ailleurs, il est vrai que le cynisme est répandu et qu’il est en quelque sorte une continuité de l’absence de lien vrai entre les gens. Il amène le regard ailleurs pour ne pas voir combien il est souvent difficile de vivre l’intimité entre nous et avec soi-même (dans cette vie ou tout va de plus en plus vite). Que le désir d’être avec l’autre est souvent difficile dans un monde ou tout se doit d’être parfait, car être intime doit inévitablement passer par l’obligation d’ouvrir sur sa propre vulnérabilité, sur ses forces et ses faiblesses. Mes chansons cherchent à exprimer la force et la vulnérabilité qui nous habitent, à reconnaître les bonheurs et les difficultés de la vie pour en arriver à célébrer ce qui nous fait du bien et nous unit à la fois.
Titus - Dans vos chansons qu'on décrit souvent comme des "morceaux d'humanité", vous parlez de vie, de mort, de vieillesse, d'amour. Des thèmes finalement indémodables mais que vous abordez avec une sincérité touchante. Je crois que vous avez toujours accordé beaucoup d'importance à cette sincérité de l'artiste, non ?
En effet, il me semble important de rester vrai dans ce que j’appelle «la démarche artistique». Je trouve plus de plaisir à chanter des choses que je ressens et qui me ressemblent. De plus, je perçois une plus grande réaction chez les gens face à mes chansons, comme s’ils s’y retrouvaient. On demeure tous humains après tout...
Titus - J'aimerais qu'on revienne un moment sur le milieu où vous avez grandi. En préparant cette interview, je me suis un peu égaré en lisant le portrait de Charles-Edgar Dubé que vous publiez sur votre site MySpace. Je me suis amusé à faire le tri, car au-delà de ce portrait un peu fantaisiste de poète maudit, j'imagine qu'il y a quelques détails véridiques. Par exemple votre naissance en 1975 à Sainte-Adèle, au Québec, peut-être ?
En effet, je suis né à Sainte-Adèle, au Québec. Un pays de neige, de montagnes et de jours d’été ensoleillés. J’y ai passé une enfance extraordinaire à jouer dans la forêt, à pêcher la truite avec mon frère plus vieux, et à découvrir un univers à travers les livres que mes parents nous fournissaient à la maison.
Titus - Votre mère pianiste est-elle celle qui vous a inculqué la musique ?
D’abord, ma mère est une femme extraordinaire. Elle a toujours été ouverte sur le monde autour d’elle. Pianiste, peintre, professeur de théâtre et de français, elle m’a transmis son optimisme, son amour de la vie et son goût pour l’art et la musique.
Titus - Votre père, mathématicien diplômé de littérature vous a quant à lui transmis sa passion des livres ?
Mon père est le pôle rationnel de la maison, mais il est aussi très ouvert. Il aime le «savoir» et excelle dans l’art de le transmettre. Il a toujours aimé regarder peindre ma mère ou l’écouter jouer du piano en lisant et en rêvassant. La poésie, la musique et la littérature ont toujours occupé une place importante pour mes parents, alors jouer de la guitare pour moi, et chercher à faire carrière dans ce domaine était également encouragé. Paradoxalement, j’ai d’abord cherché à étudier, passant bon nombre d’années à l’école pour ensuite aller vers la musique.
La chanson "La marée", extraite de l'album "Réverbère" :
Titus - Quelles ont été vos influences les plus marquantes, tant d'un point de vue littéraire que musical ? J'ai lu que vous étiez un fervent lecteur de Saint-Exupéry, est-ce vrai ?
J’adore la littérature et mon style d’écriture y trouve ses racines. Les auteurs comme Réjean Ducharme, Camus, St-Exupéry et Paul Auster sont mes préférés. J’affectionne la façon qu’ils ont de me faire rêver et le style qu’ils utilisent, chacun à leur manière, pour décrire la vie en soi et autour de soi. En musique, je crois que Richard Desjardins, Manu Chao et Bob Marley sont mes influences les plus notables. En fait, j’adore la sincérité de leur démarche, la profondeur qu’ils ont et cette grande humanité qui les caractérise tous les trois.
Titus - Vous avez étudié les sciences humaines, une sensibilité qui traverse aujourd'hui votre oeuvre, non ?
En effet, les gens sont au cœur de l’existence. Être avec soi et avec ceux qui nous entourent est la seule chose qui reste vraiment au bout de cette vie.
Titus - Avant de devenir musicien, vous avez exercé en tant que pédopsychologue pendant une dizaine d'années. Avez-vous jamais hésité entre une carrière artistique et cette autre voie ?
J’ai toujours aimé l’école, alors y faire mon chemin a été quelque chose de plaisant et de valorisant pour moi. La rencontre avec la compréhension de l’être humain et finir par aider des enfants souffrants et parfois perdus dans la vie, était pour moi passionnant. Par ailleurs, je suis arrivé un jour à sentir le besoin d’exprimer des choses et à laisser aller cette partie créatrice de moi qui cherchait la lumière. J’ai fait ce que je partageais en clinique… Je me suis laissé aller à ce qui cherchait à vivre en moi, et j’ai choisi la musique. Même si parfois il est difficile de rester sur ce chemin, j’y trouve encore énormément de bonheur.
Titus - J'ai lu que vous avez été art-thérapeute. Utilisiez-vous tous les arts dans cette pratique, ou essentiellement la musique ?
Jamais en ce qui a trait à la musique. Les médiums de travail utilisés sont le jeu de sable, la terre glaise, le plâtre et tout ce qui permet de construire quelque chose qui cherche à s’exprimer.
Titus - Parallèlement à votre métier, la musique était déjà un élément essentiel de votre vie. Pouvez-vous nous parler de votre premier public ?
Le premier public que j’ai connu est d’abord relié au théâtre. J’ai commencé sur les planches par cette forme d’art que j’ai beaucoup aimé et qui me plaît encore. Par la suite, les premières rencontres musicales avec un auditoire sont venues à l’université. J’avais un groupe de musique où je chantais et jouais de la guitare. Nous animions les fêtes des diverses facultés avec grand plaisir.
Titus - En 2001, vous avez participé au challenge "Relève" de Repentigny où vous avez décroché le premier prix. Est-ce que c'est votre entourage, votre premier public, qui vous a ainsi poussé à présenter vos chansons à un concours, ou aviez-vous le sentiment qu'il était temps de passer à la vitesse supérieure ?
Je souhaitais simplement présenter mes chansons et voir la réaction des gens. J’avais en même temps peur de le faire, d’être jugé par un public que je ne connaissais pas. Il y a toujours une dimension de pudeur dans le fait de livrer une partie de soi sur une scène. J’ai été très heureux du résultat et je crois que ça été le début de quelque chose qui existe encore aujourd’hui.
Titus - Ce premier succès aura une conséquence directe : celle de vous voir assurer quelques premières parties prestigieuses : Michel Pagliaro, Kevin Parent ou Laurence Jalbert. Mais je crois que la toute première opportunité d'assurer une première partie fut avec les Frères à ch'val...
Ces premières parties ont été mon école en fait. Regarder ces artistes travailler sur la scène et surtout en arrière-scène a été très important pour moi. Ces expériences ont été le départ dans un métier qui m’était encore inconnu. C’est aussi un travail que d’être sur scène et, comme tout métier, on doit vivre ce quotidien pour ensuite trouver sa façon de faire.
Titus - Les musiciens que vous aviez choisis à l'époque sont encore ceux qui vous accompagnent aujourd'hui. N'est-ce pas une indication de l'importance que vous accordez à l'amitié, et à la fidélité en amitié ?
Le hasard fait souvent bien les choses… En fait, cette rencontre musicale m’a permis d’ouvrir sur un monde que je ne connaissais pas. Rencontrer des gens formidables, ouverts et talentueux. Jouer d’une façon régulière avec les mêmes personnes amène inévitablement, des amitiés qui rendent possible la complicité sur la scène. De plus, je me rends compte que les gens ressentent cette complicité dans un spectacle. Cette relation sur scène, donne encore plus de puissance à cette rencontre entre l’artiste et le public.
Titus - En 2004, votre premier album "Réverbère" paraît, un disque pour lequel vous étiez bien entouré puisqu'on compte, parmi vos collaborateurs, le fameux guitariste montréalais Rick Haworth, un réalisateur associé à la plupart des belles découvertes musicales des deux dernières décennies au Québec...
C’est vrai que Rick a été très important pour "Réverbère". Il m’a aidé à me définir comme artiste et son talent a contribué à la construction et au succès de cet album.
Titus - Ce premier album a immédiatement fait sensation au Québec. Avez-vous eu le sentiment qu'un tourbillon, soudain, vous emportait, vous qui aviez toujours baigné dans la musique sans vraiment chercher à en faire carrière ?
Les tourbillons nous emportent toujours…, quelquefois plus loin qu’on pense. "Réverbère" a été très enivrant pour moi. J’ai connu l’industrie à la puissance «ça va vite» ;) J’ai presque uniquement de bons souvenirs de l’album et de la tournée qui en a suivi.
Titus - Pouvez-vous nous dire quelques mots sur la chanson "Réverbère", extraite de l'album éponyme ?
J’ai composé cette chanson après être revenu d’une fête avec des amis. Ayant perdu mon chemin dans un parc, j’ai vu un réverbère au loin qui éclairait le chemin du retour. J’ai marché dans sa direction et arrivé sous sa lumière, il y avait une grosse roche sur laquelle il y avait d’inscrit «On est mieux d’apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons tous mourir ensemble comme des idiots », une phrase de Martin Luther-King. Pendant le reste de mon retour, j’ai réfléchi à cette citation. Quelque temps plus tard, Al Qaïda attaquait les États-Unis. J’étais partagé entre la peine pour ces gens tués dans les tours et celle pour les 25.000 personnes décédées en Irak cette même année, à cause de l’embargo américain. Les quatre oiseaux de la chanson sont en fait les quatre avions attaquant le sol américain. J’ai donc écrit cette chanson en pensant à Luther-King et sa citation.
La vidéo de "Réverbère" :
Titus - Votre second album, "Sortir de soi", a été publié il y a quelques mois. Dites-moi si je me trompe, mais j'ai un peu le sentiment que cet album est une émanation directe de votre être, avec ses deux facettes, l'une ouvert sur le monde et les rencontres, et l'autre, plus solitaire et intimiste. Une facette enjouée, fraîche, où les refrains optimistes à l'image de votre chanson "Etre bien" s'enchaînent, et puis une facette plus intérieure, posée, comme dans "L'Etang".
J’aime ce parallèle que vous faites entre cet album et ma personnalité. On y retrouve en effet, ce désir de rencontrer les autres tout en partageant mon besoin de solitude. Sortir de soi vient de là. La rencontre avec l’autre est nécessaire pour faire du sens dans cette vie. Mais, pour aller vers l’autre, il faut aussi se connaître, avoir défini ses frontières afin de trouver l’espace pour cette rencontre.
Titus - Pour l'enregistrement de "Sortir de soi", vous étiez là-encore très bien entouré puisque l'album a été réalisé par François Lalonde, bien connu pour son travail avec Lhasa ou DobaCaracol... Pouvez-vous nous raconter votre rencontre et la manière dont s'est faite cette collaboration ?
Cette rencontre avec François a été soudaine et imprévue. Il était trop occupé pour travailler à l’album et j’avais décidé de commencer seul. Il m’a rappelé pour me dire qu’il était disponible et intéressé. Le reste c’est la vie. On a eu beaucoup de plaisir à le faire. A trouver la direction et l’intention.
Titus - Vous avez été remarqué au festival de Pully-Lavaux, en Suisse, d'où vous avez rapporté le prix Guy-Bel du meilleur auteur-compositeur-interprète. S'agissait-il de votre première incursion sur le continent européen ?
J’ai remporté ce prix en juin 2006. Formidable expérience… J’ai joué à Nantes, en Bretagne et à Paris également. Les gens en Europe comprennent ce que je chante et semblent touchés par l’émotion de mes chansons. Pour un artiste, c’est une chose formidable. Pour l’instant, il n’y a que Pully… mais j’espère qu’il y en aura d’autres.
Titus - En matière de proximité, vous vous posez en exemple. Votre site Internet donne ainsi la possibilité à vos fans d'être en relation quasi permanente avec leur artiste préféré. Vous avez appelé cette partie de votre site La Passerelle, qui s'avère un espace privilégié d'échange et de dialogue où l'on peut notamment découvrir vos suggestions musicales et littéraires... C'est une idée vraiment originale...
La passerelle permet en effet de rester en contact avec ceux qui s’intéressent à ce que je fais. C’est aussi un lieu de partage qui favorise l’échange entre le public et moi. J’adore cette possibilité, car souvent les gens ont besoin de dire certaines choses, qu’après un spectacle, ils n’ont pas le temps de partager.
Titus - En écoutant le morceau "Mon étoile", une très belle chanson écrite par un père pour son fils ou sa fille, j'ai eu envie de vous demander si vous aviez des enfants et si cette chanson avait été écrite pour lui ou elle ?
Cette chanson a été écrite pour mes deux fils que j’adore et qui me permettent de devenir meilleur à tous les jours. Ils sont mes racines les plus profondes dans cette vie. Ils représentent le lien et la vie dans son ensemble.
Titus - On a parlé d'optimisme au début de notre interview. Plusieurs chansons de votre album évoquent l'espoir, à l'instar de "Trouver le jour", "Cadence", "L'univers" ou "Etre bien". Pouvez-vous nous dire deux mots sur cette dernière et le tournage de la vidéo ?
Être bien est une chanson qui parle de la décision d’aller vers l’avant, de choisir d’être heureux. Je crois que notre bonheur réside dans une forme de choix, celui de décider de regarder là où il y a de la lumière. La vidéo parle de ce concept. J’ai cherché à faire en sorte que l’on puisse sentir ce mouvement vers l’avant. Laisser tomber ce qui nous rend triste et lourd (la voiture qui tombe) pour aller vers les autres.
La chanson "Etre bien", premier single du second album de Charles Dubé :
Titus - Le site Web de Radio Canada vous consacre un bel espace. Dans votre boîte à secrets, on découvre, dans les choses qui vous gênent, que vous adorez les flamands roses... C'est un nouvel exemple de votre sens de l'humour ou une réelle passion insolite ?
Un peu des deux… J’aime bien tourner en dérision mes travers et mes contradictions. Je crois que c’est dans les choses simples de la vie que l’on existe vraiment.
Titus - L'année 2008 sera-t-elle principalement consacrée à la promo de votre nouvel album et à la scène ou prévoyez-vous déjà de retourner en studio ?
L’année 2008 sera consacrée à la promotion de l’album «Sortir de soi» et par une tournée de spectacles, qui a débuté en octobre 2007. De plus, j’ai plein d’idées dans la tête et je souhaite, à l’automne 2008, retourner en studio pour tenter quelque chose. Semer la terre, et un jour, sous le vent, voir danser le blé...
(Photos : Anouk Lessard et DR).
POUR EN SAVOIR PLUS :
Le site officiel de Charles Dubé.
Le site MySpace de l'artiste.
La page consacrée à l'artiste sur le site de Tacca Musique.