L’économie américaine remet les gaz

Publié le 29 février 2012 par Copeau @Contrepoints

Le taux de chômage, les bénéfices et les ventes de voitures ont meilleur mine de l’autre côté de l’Atlantique qu’au Royaume-Uni.

Par Jeremy Warner.

Les médicaments fonctionnent-ils? Le stimulus fiscal du Président Obama a fait les gros titres, mais a été compensé par des réductions de dépenses publiques.

Comme l’une des nombreuses villes de la grande campagne américaine, Steubenville dans l’Ohio était un lieu sans espoirs : une ville aux aciéries fermées. La moitié des magasins avaient baissé leurs rideaux et le marché de l’immobilier était en décrépitude. La crise financière était un coup de plus dans une ville frappée par la désindustrialisation. Avec un taux de chômage de presque 15 %, beaucoup de familles ont déménagé par désespoir. Après avoir été le cœur prospère de l’industrie américaine, il n’y avait plus de futur.

Mais c’était il y a deux ans. Depuis, une nouvelle industrie est arrivée dans la ville, amenant des investissements, des milliers d’emploi et la prospérité. Steubenville est l’une de ces douzaines de nouvelles villes champignons le long des montagnes Appalaches, depuis l’Ohio et le Maryland, jusqu’à la Virgine Occidentale, la Pennsylvanie et l’état de New York. Toutes bénéficient de la révolution du gaz de schiste, une nouvelle technologie permettant d’avoir accès aux énormes réserves de gaz naturel bloquées dans la roche.

Les résultats sont surprenants. Il ne s’agit pas d’une bulle spéculative. Pour la première fois depuis 40 ans, les Etats-Unis d’Amérique sont proches de leur but : l’autosuffisance énergétique. Le coût de cette énergie a si brusquement baissé que la « Methanex Corporation », le plus grand fabricant de méthanol au monde, va relocaliser son usine du Chili vers la Louisiane, peut-être le plus bel exemple à ce jour de la nouvelle façon de travailler « à terre » (NdT: contraire de Offshore).

C’est l’une des nombreuses décisions provenant de la révolution des gaz de schiste. Dow Chemical a prévu une nouvelle unité de fabrication de propylène en 2015. Formosa Plastics a proposé simultanément un investissement d’un milliard et demi de dollars dans une usine de fabrication d’éthylène dans le même état. Dans le même temps, US Steel et Vallourec (NdT: une entreprise française, on pourra peut-être un jour nous aussi en profiter!) planifient des investissements de plusieurs millions de dollars dans de nouvelles aciéries pour faire face à la demande pour l’extraction des gaz de schiste.

Pourtant, les gaz de schistes ne sont qu’une partie de la renaissance économique des Etats-Unis. Partout à travers le pays, l’économie américaine reprend vie. Cette semaine par exemple, General Motors, presqu’au-delà de la faillite il y a trois ans, a annoncé les meilleurs bénéfices de toute son histoire.

Les ventes d’automobiles sont au plus haut depuis le début de la crise financière. Il y a même des signes que le marché immobilier se retourne. Les ventes aux enchères, un chiffre clé dans la santé du marché immobilier américain, repartent dans le bon sens. Dans certains états, les prix de l’immobilier sont en train de monter à nouveau.

Il y a encore beaucoup de raisons de s’inquiéter de la durabilité de la reprise américaine. Mais, comparés aux performances moribondes de l’économie britannique et du reste de l’Europe, les Etats-Unis semblent un modèle de reprise. Le taux de chômage diminue. La croissance, bien qu’en légère baisse après un quatrième trimestre en forte expansion, reste robuste. La production est de retour aux USA, et confortablement au-dessus du niveau maximum d’avant crise.

En Grande-Bretagne, par contraste, l’économie ne va nulle part depuis plus d’un an. La production reste bloquée à 4% de moins que le maximum de 2007. De plus, le chômage continue d’augmenter. Et, avec les baisses massives de dépenses publiques à venir, il va continuer de monter plus avant qu’il ne commence de baisser. (NdT: les dépenses publiques continuent en réalité d’augmenter en Grande-Bretagne cf. l’article de Contrepoints) .

Je devrais faire attention à ne pas tomber dans un pessimisme sombre. Il y a des signes encourageants dans les données macroéconomiques anglaises. Les ventes de détail ont brusquement augmenté en janvier, selon les chiffres publiés hier, battant à plat de couture le sombre consensus (NdT: de même les chiffres du budget de l’Etat ont été meilleurs que prévus). De même, la vue d’ensemble n’est pas aussi maussade que les chiffres globaux le suggèrent. En enlevant le secteur pétrolier, où la production a nettement décliné – certainement à cause de la tentative du gouvernement de taxer plus la mer du Nord – le reste de l’économie est en croissance. Certes la croissance est faible, mais ce n’est pas si mal.

Le plus important est la nette amélioration du commerce extérieur. La Grande-Bretagne a enregistré un record de plus de 10 ans dans sa balance commerciale, ce qui est notable puisque 40% de notre commerce extérieur est fait dans la zone euro.

Malgré tout, peu de personnes ici pensent qu’il y aura de la croissance économique cette année, bien que les choses s’améliorent aux USA. Le pays, où la crise économique est née, est en train de sortir bien plus rapidement que nous de ses conséquences économiques catastrophiques.

Pourquoi cela ? Pourquoi est-ce que les USA revoient le jour, alors que la Grande-Bretagne est toujours coincée au fond du trou ?

Pour l’ancien secrétaire au trésor américain, Larry Summers, le parti Travailliste, et la plupart des autres partisans de Keynes, les raisons sont claires. C’est largement à cause des politiques fiscales. Quand la Grande-Bretagne et la plupart des pays de la zone Euro appliquent des politiques d’austérité, les Etats-Unis ont laissé ouverts les robinets de la dépense publique pendant beaucoup plus longtemps. Il y a eu apparemment une grande tolérance aux déficits et une autorisation d’augmentation de la dette, s’opposant aux conséquences défavorables de la baisse de la demande privée et du désendettement de ce secteur.

La position de George Osborne, le Chancelier [NdT Ministre des Finances britanniques], a été assez différente. Tant que nous ne sortirons pas de notre endettement élevé, a-t-il expliqué, notre économie ne retournera pas à une croissance significative. Tant que les déficits ne seront pas correctement jugulés, l’économie continuera d’avoir des difficultés. Nous avons besoin de réduire les déficits pour permettre la croissance, continue-t-il. Mr Summers a fait une critique virulente de cette stratégie. L’idée d’une « austérité expansionniste fiscale », a-t-il dit dans une conférence à Davos le mois dernier, n’est pas seulement « oxymoronique », mais c’est débile (NdT : moronic veut dire débile en Anglais, c’est donc un jeu de mots intraduisible puisque Mr Summers propose de supprimer le préfixe du terme « oxynomoronique » pour qualifier cette politique…).

Aucun pays n’est sorti de la Grande Dépression dans les années 1930, a-t-il expliqué, sauf en quittant l’étalon-or et ensuite en se réarmant pour la Seconde Guerre Mondiale. Dans son esprit, c’est une leçon puissante. La croissance légitime ne reviendra pas d’une absence de demande. Dans des circonstances ou le secteur privé ne peut ou ne veut pas la fournir, c’est à l’état de se mettre dans la brèche. L’austérité ne peut pas être une stratégie de croissance durable, comme la zone Euro est en train de le découvrir à ses frais. (NdT: Une affirmation hautement contestable comme nos lecteurs le savent bien, voir cet article).

C’est un argument que je trouve très peu convaincant. D’abord parce que il n’est pas clair que les USA ont en fait réalisé une relance par les dépenses. Les effets d’annonce du stimulus fédéral de Barack Obama ont été partiellement, voire totalement, effacés par les baisses des dépenses des gouvernements fédéral et locaux. La plupart des Etats sont obligés d’avoir des budgets en équilibre. Ainsi, il y a eu des coupes sombres dans les dépenses au fur et à mesure de la baisse des recettes fiscales dues à la récession. La deuxième raison pour laquelle les choix fiscaux ne pèsent pas beaucoup est que la Grande-Bretagne n’avait pas d’autres choix que de baisser les déficits.

Si les gouvernements étaient aussi surs que l’augmentation des dépenses n’entraine pas de pénalités sur les taux d’intérêts, alors certainement même George Osborne aurait mis de côté ses croyances sur un Etat limité et aurait laissé filer les déficits. Mais bien sûr, nous savons qu’ils ne peuvent pas.

La taille anormalement élevée du secteur bancaire britannique, combiné avec le haut niveau d’endettement des ménages, rend la Grande-Bretagne particulièrement vulnérable à la crise des dettes souveraines et à sa contagion sur tous les marchés financiers de la zone Euro. Au vu de l’énorme niveau d’endettement, le Chancelier ne peut pas se permettre de prendre des risques avec les taux d’intérêt.

C’est ce niveau élevé de dettes qui fournit la meilleure explication sur l’absence de redémarrage de l’économie britannique. La Grande-Bretagne vient à peine de commencer de rembourser ses dettes. Aux USA, où la crise a commencé, le processus est plus avancé. La dette des ménages et du secteur financier a plus baissé que la dette du gouvernement américain n’a augmenté.

Deux autres facteurs ne sont pas négligeables. Le premier, les USA ne sont pas aussi exposés à la crise de la dette de la zone Euro que le Grande-Bretagne. Le destin du Royaume-Uni est complètement lié à la zone Euro à travers son commerce extérieur et son système bancaire. Le second est que l’Amérique est simplement bien plus flexible que l’Europe. Le secteur privé américain est bien plus grand en pourcentage de PIB, comparé à la Grande-Bretagne et à l’Europe. De plus, il est plus rapide et moins sentimental pour nettoyer les détritus de la dernière crise.

Les mauvaises dettes ont été amorties, les employés licenciés, et les entreprises non compétitives ont été autorisées à faire faillite ou, dans le cas des constructeurs automobiles, restructurés rapidement. Contrairement à l’Europe et au Royaume-Uni, où la préservation des emplois a amené à de sérieuses pertes de compétitivité, les USA ont grandement amélioré la leur pendant la crise.

Les gaz de schiste ont été la cerise sur le gâteau. Parfois, il semble que le choc brutal et rapide est meilleur que le très long ajustement.


Article titré « US economy is stepping on the gas » et publié sur The Telegraph le 18.02.2012.
Traduction Nicolas B. pour Contrepoints.