Le fossé, un film de Wang Bing

Publié le 08 mars 2012 par Charles Carrard

Cinéma chinois aujourd'hui, pour un film qui a créé la surprise à la Mostra de Venise en 2010 en recevant le lion d'or, la récompense la plus suprême.

Déjà connu pour son reportage éblouissant (mais très long, 9 heures) A l'Ouest des Rails, Wang Bing signe ici un film poignant sur l'un des excès de la période Mao : la rééducation par le travail dans les Laogai

Synopsis : 

À la fin des années 1950, le gouvernement chinois expédie aux travaux forcés des milliers d’hommes, considérés comme droitiers au regard de leur passé ou de leurs critiques envers le Parti communiste. Déportés au nord-ouest du pays, en plein désert de Gobi et à des milliers de kilomètres de leurs familles pour être rééduqués, ils sont confrontés au dénuement le plus total. Un grand nombre d’entre eux succombent, face à la dureté du travail physique puis à la pénurie de nourriture et aux rigueurs climatiques. Le Fossé raconte leur destin - l’extrême de la condition humaine.

Pour écrire le scénario du Fossé, Wang Bing a puisé dans "Adieu, Jiabianjoulivre", un recueil de nouvelles écrit par Yang Xianhui. Afin d'approfondir son sujet et mieux comprendre la vie des prisonniers, le réalisateur s'est rendu en Chine pour rencontrer des survivants des camps de Jiabiangou et de Mingshui. Ce travail d'enquête a été long (2005-2007) et surtout fastidieux. Au total, Wang Bing a retrouvé une centaine de survivants, dont certains qui ne voulaient pas raconter ce qu'ils avaient vécu. 


Filmé dans des conditions très difficiles (d'une part le désert de Gobi, d'autre l'interdiction de filmer des autorités) ce film nous plonge dans une fosse, l'entre chambre de la mort.

A la base, de simples villageois, enseignants, propriétaires terriens pour certaine, en fin du compte, des "Droitiers", envoyés par Mao dans les Lao Gai (voir définition d'un Lao Gai ici) qui vont pourrir dans le désert, condamnés à creuser un fossé pour empêcher ce dernier d'avancer sur la prairie.

Cadré très proche, le film nous montre tous les détails d'une telle existence, sans complaisance ni voyeurisme. Juste des faits, tous réels prévient Wang Bing qui a enquêté pendant 6 ans pour préparer ce film, en interrogeant les rares rescapés du lieu.

Il faut cependant aimer ce genre de films lents, sans trop de paroles. Ce qui est intéressant, c'est que les prisonniers, pour passer le temps, se remémorent leur vie d'avant, celle où ils avaient un métier. Et de se critiquer les uns les autres. Notamment cet homme, qui a passé sa vie à dénoncer ses voisins, et qui du jour au lendemain se retrouve droitier..

A la souffrance de ces hommes vient s'ajouter celle d'une femme, représentant toutes les femmes de ces prisonniers, qui ont tiré un trait sur leur mari (lesquels reçoivent, ironie du sort, les courriers administratifs leur annonçant que leurs épouses demandent le divorce...) qui recherche son mari, décédé quelques jours avant son arrivée.

On imagine la grande souffrance et surtout la solitude de ces hommes perdus au milieu de nulle part...

Le Fossé évoque un pan de l'Histoire chinoise encore tabou : le sort de milliers d'opposants politiques, déportés par le régime de Mao. Le réalisateur Wang Bing retrace brièvement l'histoire de certains d'entre eux : "Entre 1957 et 1958, trois mille « déviants de droite » (ou « Droitiers ») de la province du Gansu ont été envoyés aux travaux forcés dans le camp de rééducation de Jiabiangou qui se situait en bordure du désert de Gobi dans le nord-ouest de la Chine. Fin 1960, la Chine entière souffrait de famine. Dès octobre de la même année, les 1500 survivants du camp de Jiabiangou ont été regroupés à Mingshui dans une nouvelle annexe du camp, à Gaotai. L’épuisement, le manque de nourriture, les conditions climatiques furent tels que l’hécatombe était inévitable. Ils ne furent qu’environ 500 à en réchapper", explique-t-il.

Le Fossé compte dans son casting Li Xiangnian, un véritable survivant du camp de Jiabiangou, qui s'en est échappé à trois reprises. Il s'agit dans le film du vieil homme qui collecte des graines.

Le film est très impressionnant : c'est une lente agonie, une plongée directe au fond de l'inhumanité. On suit le quotidien d'hommes qui croupissent dans des trous, des souterrains creusés à la va-vite. Malades, épuisés, ils sont étendus là, peuvent à peine bouger. On les voit un moment à l'extérieur piocher en ligne dans la terre desséchée, mais, la plupart du temps, ils sont dans leur fossé, un pied dans la tombe en quelque sorte. Un vieux écrase un rat, le cuit et le mange ; un autre avale des grains de maïs vomis par son camarade, etc. 

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