Mayotte et Comores : Le progrès de Madagascar

Publié le 17 mars 2012 par Llachery @vestigesmaore

Article publié dans Le Progrès de Madagascar, éditions des 17, 24 Juillet 1909 et du 4 Aout 1909

De la presse coloniale :

Le règlement définitif de l'affaire Said  Ali, l'annexion à la France des protecto­rats de la Grande-Comore. d'Anjouan et de Moheli, le rattachement de Mayotte et dépendances au gouvernement général de Madagascar vont être discutés au Sénat dès la rentrée du Parlement ; la grande roue de la fatalité ramène donc aujour­d'hui l'archipel de la mer des Indes sur la table de l'actualité

L'histoire indigène de Mayotte, de la Grande-Comores, d'Anjouan et de Moheli, peuplées de races les plus diverses, Antalotes, Africains, Malgaches et Arabes,  n'est faite, depuis l'époque connue du Véme siècle de l'Eghyre, que de luttes sanglantes et incessantes.

En 1843, le capitaine Passot planta le  drapeau tricolore sur Mayotte qui devenait, par traité, colonie française.

En 1880 et en 1886, les sultans de la  Grande Comore, d'Anjouan et la reine de  Moheli obtinrent individuellement le protectorat de la France qui respectait leur autonomie.

En 1896, ces trois protectorats et le gouvernement de Mayotte furent rattachés au gouvernement de la Réunion, union éphémère, car en 1897, le décret du 6. juillet formait de l'archipel le groupe des Etablissements coloniaux de la mer des Indes placé sous l'autorité politique d'un gouverneur résident à Mayotte.

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La lutte, comme on le voit, n'avait pas cessé, la forme seule avait changé, de sanglante elle était devenue, politique ou administrative, elle restait incessante.

Cette situation n'arrêta pourtant pas l’élan de hardis Français qui vinrent dans  l'archipel installer des exploitations agricoles et industrielles.

Ils comptaient sur l'ordre sans lequel l'activité humaine ne peut se déployer avec fruit.

Leur espoir fut-il réalisé ?

Oui, car les gouverneurs qui se succédèrent à Mayotte de I843 à 1896 y accomplirent des périodes de quatre, cinq et même six années.

Aussi les exploitations agricoles devinrent elles nombreuses et florissantes et  l'industrie sucrière se développa-t-elle  brillamment.

A Mayotte, 32 concessions sont délivrées, mettant en exploitation 15,000 hectares.

1.200 hectares sont complantés de cannes ; les colons plantent 80,000 caféiers, 25,000 cocotiers, 5,000 cacaoyers et, par ailleurs, indigotiers, sésames, pignons d'Inde, ricins, maniocs, bananiers, etc., sans omettre les rizières de montagne, produisant à cette époque plus de 125,000 kilogrammes de riz.

Douze usines s'élèvent, la coupe des bois du pays alimentera leurs chaudières  et, en 1867, on relève à l'exportation le  chiffre de 4 millions de kilogrammes de  sucre produits par les usines de Koéni,Loujani, Cavani, Passamenti, Debeney,  Ajangua, Longoni, Goconi, D'Zoumogné, Soulou Combani.et Benjoni. Les 'mélasses produisent, un rhum. aussi parfumé que celui de Là Réunion.

La vanille et les arbres à essence ne sont  pas encore exploités à Mayotte, mais la prospérité rapide presque spontanée des  cultures et de l'industrie laisse à la colonie un horizon de fortune.

A Moheli et Anjouan arrivaient, des colons attirés par les succès de leurs compatriotes ; les plantations de canne surgissaient et l'usine de Pomoni à Anjouan exportait en 1867,un million de kilogrammes de sucre.

La Grande-Comores sommeillera encore sous l'indifférence indigène et sans  énergie française jusqu'en 1885.

Néanmoins, l'effort français à Mayotte, à Moheli et à Anjouan promettait aux  Comores un avenir doré.

Est-ce à dire que seules la fertilité du sol et la fécondité du climat ont fait jaillir ces richesses ? Non, car la nature qui  se montre dans la mer des Indes prodigue de Chaleur fécondante, sait aussi y mettre l'effort humain à terrible épreuve ; trois Cyclones -1849-1858-1864-dévastèrent l'Archipel et l’énergie humaine,

« l'énergie sans laquelle l'homme n'est qu'une proie indigné de pitié », fut le facteur essentiel de la prospérité de la colonie

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L'ordre alors était l’auxiliaire de l’énergie et l'administration, secondait en toutes circonstances les efforts du colon.

La douceur de la population jointe à la sagesse du commandement avaient fait  baisser les statistiques judicaires on en  peut juger par celle de Mayotte en 1867.

 

Africains

Natifs

Assassinats

///

///

Incendies

1

///

Coups et blessures

1

///

Viols

2

///

Vols qualifiés

6

2

Le total des délits, pour une population  de 11,000 indigènes, n'était que de 105 et  celui des contraventions n'atteignait pas 150

Cette sagesse de là population indigène  est toute à son éloge, car, nous devons le  signaler, la question de la main-d'œuvre était encore dans l’enfance, on peut même dire qu'on n'accordait alors que des devoirs à l'indigène sans lui reconnaître de droits.

Le rotin était, il est vrai, aboli, mais Combien dur était le travail — treize heures par jour — sans repos dominical et  l'emprisonnement à la moindre infraction.

Nous verrons plus loin l'étendus du  parcours accompli depuis dans cette voie, malheureusement, en constatant les  améliorations apportées au sort de l'indigène, nous ne pourrons relever un progrès dans sa mentalité ; nous tenterons de rechercher les causes de cette anomalie et  nous examinerons le remède à y apporter.

Ce remède est simple et de pratique  possible, son application ne serait, de  notre part, que l'application du devoir

- « du devoir que s'inscrit en lettres nettes vis-à-vis de tout oeil humain, lorsque  cet oeil volontairement ne se se reclot pour céder à la faiblesse. »

Mais, ayant l'examen de la situation  actuelle, une autre période intéressante,  succédant à celle que nous venons de tracer, devra retenir notre attention.

II

A partir de l896, la lutte entre administrativement et météorologiquement dans  une nouvelle phase, les vents métropolitains se déchaînent sur l'archipel avec autant de violence que les vents alysés ; ils s'allient pour raser tout et les ukases balayent les gouverneurs à peine installés  durant que les cyclones démolissent les  usines florissantes et dévastent les plantations prospères. (A Suivre)

(Suite)

 De 1896 à 1908, le commandement passe dix-huit fois des mains de gouverneurs en celles d'administrateurs, de celles-ci en celles des chargés d'affaires quelconques ,on relève, en effet, sur les contrôles, durant cette période : 5 Gouverneurs Généraux, 5 gouverneurs titulaires, 5 gouverneurs par intérim, 3 administrateurs et 5 chargés d'affaires. Durant cette avalanche, les îles essuient cinq cyclones : février 1898, avril 1898, décembre 1904, décembre 1905 et avril 1908  

Dans les protectorats, la stabilité administrative est encore plus négative, à Anjouan, à Moheli ou à la Grande-Comore les résidents arrivent et partent avec les moussons.

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Malgré ces sautes, exploitations agricoles et usines s'étaient développées. A Anjouan, florissantes étaient les cultures de Pagé, Sàngany, D'Ziani, Bambao, Pomoni, Nieumakelé, Patsy, etc.; usines à sucre et distilleries étaient en plein travail à Pomoni, Bambao et Patsy.

A Moheli, les domaines de Fomboni, Miramani et Yombéni étaient en plein  rapport et une usine à sucre fonctionnait à Fomboni,

A la Grande Comore , une ère. nouvelle , était le prélude de l'abolition de l'esclavage

Jusqu'en 1885, les indigènes avaient  jalousement fermé leur île aux Européens, dans la crainte de voir compromise, leur unique industrie, la vente des esclaves, dont les marchés; M.'Roni, Mitsamiouli, Fomboni et Chindini étaient réputés. A cette époque, un Français de Lorraine, M. Léon Humblot, réussit à traiter avec le sultan et formant la Société, dite de la Comore, il créa routes, tramways, plantations, magasins agricoles, bâtiments et scierie modèle.

Dès le 10 janvier de l'année,- le sultan Said Ali sollicitait et obtenait le Protectorat de la France.

L'arrivée des Français, avait pour premier effet l'abolition de l'esclavage,

On peut juger de l'activité et de l'énergie des nouveaux arrivants par les exportatiom de la Société de la Grande-Comore en 1907 :

  • Vanille -... 10.000 kilogrammes
  • Cacao.. 35.000 kilogrammes
  • Cocos. 300.000 noix
  • Pignons d'Inde.... 300.000 kilogrammes
  • Bois. 800 mètres cubes
  • Café, girofles, essences "et autres produits secondaires.

A Mayotte, l'effort initial s'était .continué et malgré la nouvelle concurrence des trois protectorats, malgré les entraves nouvelles, cultures et usines se maintenaient au travail.

Cependant là constance des variations de commandement et la répétition des cyclones étaient une double épreuve pour les colons, leur énergie les rendait, dignes de pitié, la nature et l'humanité restèrent sourde   on ne peut dire inexorables car l'une se reprenait à la fécondité et l'autre distribuait quelques maigres secours.  

Encore faut-il s'entendre, la métropole avança, en 1898, des fonds de secours à la colonie de Mayotte, mais celle-ci les rembourse à celle-là par annuités.

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L'année 1898 amena dans l'archipel des désastres irréparables pour quelques colons : en février, c'est un cyclone d'une violence terrible qui rase à Mayotte les usines de Loujani, .Passamenti, Soulou, Coconi, Benjoni et Longoni, à Anjouan  celle de Patsy ; en avril, c'est une nouvelle tourmente qui noie toutes les plantations de cannes  pour couronner ces fléaux, c'est en Europe l'effondrement des cours du sucre. Debeney, Koéni et Ajàngua écrasées éteignent leurs feux et leur propriété est abandonnée à l’administration en paiement de l'impôt foncier. Cette fois c'est bien l’anéantissement, toute.les usines précitées ont vécu ; leurs ruines recouvertes de brousse restent encore aujourd'hui, jalons historiques des luttes de l'énergie humaine contre la violence des éléments et l'injustice, de la fortune.

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S’ils avaient été prévoyants, les colons ne se fussent pas contentés, de monoculture, mais les succés successifs des campagnes sucrières avaient endormi leur  prudence. Leur réveil fut douloureux, ils comprirent qu'il ne suffit pas de vouloir et qu'il faut encore prévoir ; mais leur énergie avait encore des réserves et l'on replanta dés cannes à. D'Zoumogné, Combani et Cavani, on entreprit aussi sur ces domaines et. sur les autres de vastes cultures de vanilliers, de caféier, de canelliers . et de végétaux à essence, citronnelle et ylang-ylang. On joignit bientôt, à ces plantations l'aloès (fourcroya-Sisalana, etc.), dont les fibres commençaient à tenir les hauts cours sur les marchés européens

Mayotte suivait l'exemple de la Grande-Comore'. Anjouan et Moheli en feront autant toutefois, en I.902, l'usine de Fomboni à Moheli doit fermer les cannes ayant séché sur pied faute de bras pour les couper -grève qui dura plus de trois mois.

Dans l'archipel l'énergie résistait et la  volonté devenait le facteur essentiel sinon de la propriété du moins de la vie de la colonie.

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-La vanille touche des cours ascendants, ,la citronnelle et l’ylang-ylang atteignent les sommets, les succès du rhum compensent la faiblesse des sucres, les fibres d'aloés se tiennent brillamment, l'espoir renaît.

Mais les cyclones revinrent, 1907, 1905 et 1908 ; les cours de la vanille fléchirent, ils toucheront au plus bas, 9 francs alors  que la production en coûte 12 fr., la  citronnelle s’effondra de 250 francs à 10 francs : seule l'instabilité du commandement demeura.

La lutte durait toujours, toujours elle restait incessante.

L'aggravation de la situation ne paralysa pourtant pas l'énergie des Français qui avaient installé dans l'archipel cultures et industries, elle la fouetta au contraire et les colons de Mayotte et des Comores montrèrent qu'ils étaient des hommes.

Que devenait l'indigène dans la tourmente, quelles améliorations matérielles ou morales lui avait on donnée? C'est ce que nous allons examiner.

III

« C'est vous le nègre?. ..  (1)», Cette phrase rendue célèbre dans l'hémisphère boréal par la situation de la personnalité qui la lança, en 1876, à Saint-Cyr avait été prononcée dans l'hémisphère austral par le premier commandant, en 1843 à Mayotte...  

(1) Voir La Dépêche Coloniale des 12 et 19 mai 1909,

(A Suivre)

Elle, continua à y être répétée à chaque changement de mains du commandement  à considérer le nombre de mutations signalé plus haut on pourrait inférer qu'elle s'est enfin usée. Il n'en est rien, elle continue toujours et le nègre de l’archipel à l'instar de son congènere cyrard gradé et maintenant retraité, continue encore de nos jours, mais sans avoir avancé et sans espoir de retraite.

La question vaut cependant mieux qu'une plaisanterie. Elle est simplement primordiale, c'est la pierre, de touche de la morale, c'est la clef de voûte de l'édifice colonial , de sa solution dépend la fortune de la colonie.

Mais ceux qui ont voulu la déhaler « y ont attelé deux chevaux de races différentes. Et tandis que l'un s'endort, l'autre s'emporte ». Les uns, gens trop pratiques, veulent endormir l'indigène dans son Ignorance , pour en faire un simple outil humain. Les autres veulent l'emballer dans la vie à l'européenne, sans culture préalable.

Pourquoi ne pas faire aller l’attelage du même train ?

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A Mayotte et dans les Comores, les indigènes se. divisent en deux classes : les autochtones et les Africains dénommés Makois .

La question indigène se subdivise, elle aussi, en deux : le travail et l'éducation.

Travail

Mayotte - Après l'occupation française, 1843, aucune entrave ne fut apportée à la liberté du travail, comme aussi aucune amélioration au sort des indigènes. Les autochtones travaillaient, comme journaliers, leurs salaires étaient débattus entre eux et les colons, sans intervention de l'administration. Les Makois restaient, ce qu'ils étaient, des esclaves.

En 1848, l'esclave étant aboli, l'étiquette change pour les Makois d'esclaves ils deviennent engagés, le travail reste le même et le contrat qui les lie au colon ne reçoit aucune sanction de l'administration.

 En 1855, un arrêté local règle les conditions de l’engagement :

Les contrats ne peuvent être passés qu'en présence des délégués de l'administration ; durée maximale cinq ans, minimale : trois ans , renouvellement facultatif.

Salaire : adultes, 10 francs par mois, enfants de dix à seize ans, 2 fr. 50. Pour tous, ration journalière uniforme. 800 grammes de riz blanc.

En 1858, un arrêté, local supprime le maximum et le minimum de la durée de l’engagement qu'il fixe de façon uniforme à dix ans, toujours avec renouvellement sans modification de salaires.

De 1858 à 1885, aucune modification capitale n'est apportée à la situation, seuls quelques détails sont fixés par arrêtés locaux : mode de paiement des salaires, contrôle des payes par l'administration, etc., etc. Notons, toutefois, en 1867, l'abolition de la barre de justice.

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Le Makois étant bon ouvrier, vigoureux et rebelle à la fièvre paludéenne, son introduction augmenta considérablement dans la colonie.

En 1885, paraît le premier Décret réglant l'immigration :

Un syndic et un commissaire spécial en assurent l'application sous l'autorité du gouverneur :

Les immigrants, des deux sexes, sont pendant toute la durée de leur séjour dans la colonie, soumis à l'obligation de l'engagement, dont la durée est réduite à cinq ans. En cas de mon réengagement, rapatriement ;

Les salaires mensuels sont fixés à 12 fr.  50 (hommes) à 7 fr. 50 (femmes), à 5 fr.  garçons de douze à seize ans, (filles de douze à quatorze ans).

Interdiction de travail pour les enfants  au dessous de douze ans .

La ration de 800 grammes de riz blanc  est augmentée de poisson sec, de viande  salée, légumes secs et de sel, deux vêtements par an , logement.

Durée de la tâche réduite de treize à neuf heures et demie,

En cas de force majeure travail supplémentaire autorisé, mais avec salaire y afférent, minimum 0 fr. 05 par heure le jour, o fr. 10 la nuit. Repos les jours fériés et dimanches .Soins médicaux et hospitalisations sur le domaine du colon.

Les enfants d'immigrants fréquentent l'Ecole Française dispensés de l’engagement. (Malheureusement cette fréquentation de l'école reste facultative).

Un article du décret doit encore être signalé :

Tout immigrant qui, à l'expiration de son engagement, fournira de bons certificats pourra obtenir l'autorisation pour lui et sa famille de séjourner librement dans la colonie ou il jouira des droits civils édictés par l'article 13 du Code civil.

Le Makois devient ainsi l'égal de l'autochtone.

C'est la prime morale au travail.

La situation de l'autochtone ne varie pas, elle est en 1885 ce qu'elle était en 1843 ; elle restera la même jusqu'en 1905

Les cyclones de février et avril 1898 qui détruisirent usines et plantations eurent comme queue la désorganisation de l'immigration. La fermeture des principales usines amena la mise au dépôt de centaines de Makois. L'Administration, aux termes du décret, était astreinte à les nourrir jusqu'à leur embarquent et à les rapatrier les colons lui ayant fait abandon de leurs domaines. Pour se soustraire à ces obligations, le commandement prit un biais, dont il ne sut envisager les funestes conséquences, il accorda en bloc le permis de séjour à tous les Makois, bons ou mauvais sujets.

La porte était ouverte aux permis de séjour, il en résulta que tous les Makois restés engagés sur les propriétés ayant résisté au désastre, réclamèrent, eux aussi, l'expiration de leurs contrats le dit permis, délivré, dorénavant, sans la sage restriction du législateur : le certificat de bonne conduite et de travail. La prime morale au travail était morte.

La faveur réservée au mérite devenant le droit de la masse, le flot des mauvais sujets noya le petit groupe des bons sujets et l'oisiveté devint la règle des Makois.

L'oisiveté des Makois entraîna fatalement celle des autochtones et la main-d'oeuvre fit défaut dans la colonie.

Tout excès en entraîne un autre.

La liberté immodérée accordée aux Makois entraîna la ruine de celle des autochtones.

En 1904, sans arrêté, le commandement astreignit, proprio motu, tous les indigènes au travail et plus tard, pour se couvrir, il suscitera le décret de 1905.

KOUELI