La Dame en noir

Par Deuz

Harry Potter a rangé son balai et sa baguette magique au placard. C'est maintenant un jeune homme sérieux (la preuve, il est notaire) qui doit s'occuper seul de son fils de quatre ans, la mère de l'adorable bambin n'étant malheureusement plus de ce monde (ça claque pour un rien, ces foutus moldus). Mais quand notre veuf éploré doit se rendre dans le coin le plus paumé d'Angleterre pour régler la succession d'une riche cliente décédée, il renoue très vite avec l'ambiance fantastique de sa tendre enfance, en devenant le spectateur de mystérieux phénomènes qui lui feront alors amèrement regretter les parties insouciantes de Quidditch de ses douces années. Car il est bien loin, le temps où le célèbre binoclard en pleine puberté se promenait gaiement dans les couloirs enchantés de Poudlard, jetant un coup d’œil furtif sous les jupes de sorcières aguicheuses, quand il n'allait pas carrément mater dans les cabinets grâce à sa cape d'invisibilité. Nous arpentons maintenant à ses côtés les sombres pièces d'un manoir inquiétant, et chacun de ses pas tremblants nous entraîne toujours plus loin dans les ténèbres, au cœur d'un sublime cauchemar dont nous ne voudrons plus jamais nous réveiller.

"Par le slip de Dumbledore ! Ça a pris un sacré coup de vieux, Poudlard !"



Commençons par éluder la question qui nous vient automatiquement et logiquement à l'esprit, dès que l'on peut voir l'affiche ou la bande-annonce de La Dame en noir : Est-ce que Daniel Radcliffe assure ou est-ce que le pauvre bougre n'arrive jamais à nous faire oublier le petit sorcier qu'il incarnait et restera ainsi malgré lui le visage marqué à vie par la fameuse cicatrice en forme d'éclair au chocolat ? Rassurez-vous tout de suite : il assure. Il assure grave même, plus que la Matmut, il assure à mort, il fout la pâtée à Voldemort ! Personnellement, bien que mon introduction puisse laisser croire le contraire, je n'ai pas une seule seconde pensé à Harry Potter durant les quelques une heure trente que dure le film. Le personnage d'Arthur Kipps (enfin, je donne son vrai nom !), jeune veuf tourmenté cherchant désespérément une lumière dans l'obscurité, sied à merveille à l'acteur anglais, dont le visage aussi grave que fragile nous transmet avec force et élégance les divers états d'âme qui animent cet homme au bord du gouffre. On pourrait néanmoins encore se demander si l'âge peu avancé de l'ancien Gryffondor ne reste pas un handicap pouvant donner à celui-ci l'air de flotter dans un costume de père désœuvré trop grand pour lui. Il n'en est rien. En premier lieu, si l'on replace l'histoire qui nous est contée dans son contexte, celui d'une époque où l'église était bien plus puissante et présente qu'aujourd'hui, où l'on se mariait, faisait des enfants et mourrait bien plus tôt qu'aujourd'hui, il ne nous semble alors pas étonnant qu'il puisse être le père d'un enfant de quatre ans lorsque il en a lui-même à peu près vingt-cinq (vingt-trois en réalité, mais la magie du maquillage est également là pour renforcer la crédibilité de l'acteur). Ensuite, loin de desservir le rôle, la jeunesse de Daniel Radcliffe va jusqu'à nourrir son personnage et rajouter à la cohérence de son écriture. En effet, nous croyons d'autant plus à la difficulté avec laquelle Arthur peine à faire son deuil, car celui-ci nous apparaît alors à la fois comme un jouvenceau ayant perdu son premier et unique grand amour et tel un tout récent adulte devant brutalement endosser le statut de "famille monoparentale". De plus, l'égale jeunesse de sa bien aimée intensifie à ses yeux et aux nôtres le sentiment d'injustice qui accompagne sa mort prématurée, justifiant encore plus, s'il était besoin, la quête spirituelle de ce triste veuf complètement ébranlé.

"You're talking to me ?"


Bon, vous l'aurez compris, je kiffe Radcliffe. Mais qu'en est-il du film à proprement parler ? IT'S A KICK-ASS MOVIE, BABY ! Un sacré bon film d'horreur classique et gothique comme on en avait pas vu depuis bien trop longtemps ! Si l'histoire n'est pas d'une originalité abracadabrante, elle en reste pour autant très intéressante et parfaitement maîtrisée, nous évitant de la sorte (Dieu merci !) la présence d'un twist final débile à la Shyamalan ou les inexorables explications pseudo-scientifiques et totalement fumeuses qui continuent fâcheusement de surprendre et satisfaire toute une frange de spectateurs aveugles ("Non, tout était dans sa tête ?! Hein, il a de multiple personnalités ?! Mais c'est dingue ! Ils sont trop fort ces scénaristes !"). Et surtout, aussi simple puisse-t-elle paraître au premier abord, La Dame en noir a la décence de nous proposer une vraie histoire, accompagnée d'un discours assez singulier sur la mort, le deuil et l'amour, séparant ainsi le métrage de la catégorie des simples "films de trouille" qui, aussi bons soient-ils pour grand nombre d'entre eux, ne nous interrogent nullement une fois le grand écran redevenu aussi blanc que le fantôme d'une jeune mariée. Mais n'allez cependant pas croire que nous avons ici affaire à une fable intello et bavarde, toute boursouflée d'une fierté mal placée éloignant alors ce conte macabre des sinistres contrées que l'on se faisait une joie d'aller visiter. Au contraire, nous sommes bien en présence d'un pur film d'horreur et, après une exposition tout en retenue, celui-ci nous emportera à vive allure dans une course endiablée vers la terreur la plus éprouvante et suffocante qui soit. À ce titre, lors d'une scène d'angoisse aussi longue que mémorable, le réalisateur James Watkins nous offre d'ailleurs un superbe concentré de frayeur, dans une accumulation généreuse de jump scares du plus bel effet et résumant tout un pan de la tradition horrifique avec une facilité déconcertante et presque nonchalante. Rien que ça !

"Dobby, c'est toi qui fais ce bruit ? Dobby ?"


Au-delà de ce passage surprenant aux allures de formidable leçon de cinéma nous scotchant à notre siège assez longtemps pour que tout le pop-corn tombé lors de notre premier sursaut se colle définitivement à notre postérieur, c'est le film en entier, sur toute sa longueur, qui est réalisé avec un pareil soin méticuleux et un raffinement de chaque instant. Ce à quoi s'allient alors une direction artistique, une photographie et une lumière tout bonnement splendides, faisant preuve d'un goût délicat et contrôlé, finissant d'écarquiller nos petits yeux ébahis devant la contemplation de cet univers gothique saisissant. Nous ne pouvons, dans ce sens, que reconnaître et souligner la qualité du travail accompli en la matière, car de l'atmosphère morbide d'un manoir hanté aux chambres poussiéreuses et délabrées à l'air plus léger d'une bâtisse pleine d'un post-gothisme moderne et grandiloquent plus divertissant qu'étouffant, il n'y a parfois qu'un pas que La Dame en noir se garde bien heureusement d'effectuer. Pour donner un petit exemple de la réunion exemplaire de ces divers éléments dans la création d'images d'une troublante beauté glacée, je pense à ces quelques plans où l'on voit Arthur avancer une bougie à la main dans une chambre pleine de jouets et le reflet de cette faible lumière se déplacer dans les billes servant de globes oculaires aux poupées figées, comme si leur regard suivait les moindres gestes de notre héros à la démarche aussi hésitante qu'assurée (du reste, c'est là une des autres qualités de Daniel Radcliffe et du script lui-même : il est vraiment agréable de pouvoir pour une fois suivre un jeune homme à la fois continuellement effrayé et déterminé, plutôt que la sempiternelle scream queen pleurnicheuse se transformant soudainement en Rocky Balboa dans le dernier quart d'heure précédent le générique). Pour finir, la musique et surtout les bruitages, essentiels dans ce domaine, sont en parfaite adéquation avec la partie visuelle de haute volée et nous bercent constamment entre mélancolie oppressante et angoisse tonitruante, tout en sachant ménager leurs fréquents silences dans un souci d'effet ou de réalisme toujours juste et fort à propos. Que dire de plus (sans vous gâcher toute la surprise, il y aurait encore tant à dire sinon), si ce n'est que si vous aimez avoir peur (vraiment peur !) sans pour autant avoir envie de sortir de votre cinéma préféré en étant bizarrement stressé et en ayant l'impression d'avoir vu quelque chose d'aussi glauque qu'inutile (qui a dit Paranormal Activity ?), si vous avez adoré la Haunted Mansion de Disneyland étant gosse mais étiez déçus de ne plus voir vos cheveux se dresser en y retournant après deux heures de queue une fois devenu un adulte forcément blasé, ou si vous êtes tout simplement un amoureux du cinéma dans toute sa grandeur, n'hésitez pas une seconde à aller découvrir ce petit bijou noir et brillant qu'est à n'en pas douter La Dame en noir.

Un KICK-ASS MOVIE, bien entendu !


Titre original : The Woman in black
Réalisé par : James Watkins
Date de sortie française : 14 mars 2012