Mauvais augure

Publié le 21 mars 2012 par Toulouseweb
La « bulle » Airbus-Boeing risque-t-elle d’éclater ?
La menace revient sur le devant de la scène avec une belle régularité : à en croire quelques oiseaux de mauvais augure, Airbus et Boeing vendraient ces temps-ci beaucoup plus d’avions que leurs clients ne pourraient justifier. Non pas que les compagnies aériennes ne disposent pas des moyens financiers nécessaires au paiement de leurs achats mais plutôt en raison d’une forte surestimation de leurs besoins. D’où un beau débat, tenu dans la coulisse, fait sur mesure pour tout organisateur de débat, forum ou colloque, assuré de retenir l’attention sans possibilité de conduire à une quelconque conclusion.
Bien sûr, ici et là, des économistes se risquent à contester les prévisions de croissance du trafic aérien, lesquelles oscillent généralement entre 4,6 et 5,1% par an, sur 20 ans. Les modèles économétriques sont connus, traités avec mesure, et constituent des travaux beaucoup plus sérieux que de simples extrapolations du passé. Les voix discordantes sont non seulement rares (par exemple celle de l’Académie de l’air et de l’espace) mais aussi peu écoutées.
Les industriels ont pourtant moins de raison d’être objectifs. Mais à partir du moment où Airbus et Boeing présentent des prévisions similaires, il est pour le moins difficile de faire valoir un point de vue différent, d’autant que les grands motoristes entérinent les travaux des avionneurs. C’est en tout cas ce qu’on a envie de répondre au dernier «dissident» en date, Adam Pilarski, directeur général adjoint du Cabinet Avitas. On croirait entendre Giovanni Bisignani, il y a 2 ou 3 ans, au mieux de sa forme lorsqu’il était le tout puissant directeur général de l’IATA. Grave et solennel, parlant avec une inébranlable assurance, il avait adressé un sérieux avertissement à Airbus et Boeing, les intimant de réduire au plus vite leurs cadences de production pour éviter les affres de la surcapacité à leurs clients en même temps que ceux des «queues blanches» à eux-mêmes.
Les uns et les autres avaient poliment écouté, personne ne s’était risqué à apporter la contradiction au prédicateur. Peut-être y avait-il là une petite part de vérité mais, après tout, à Toulouse et Seattle, des spécialistes très respectables avaient largement prouvé, au fil des années, qu’ils maîtrisaient la situation en toutes circonstances. Pourquoi en irait-il autrement au fil des 10 ou 20 ans à venir ?
Adam Pilarski, droit dans ses bottes, annonce de grands chambardements, mais cela sans nous livrer le nom de son fournisseur de boule de cristal. A supposer que nous saisissions son cheminement de pensée, il croit notamment qu’il ne sera bientôt plus nécessaire de beaucoup investir dans le rajeunissement à marche forcée du parc aérien mondial. Pourquoi, en effet, acheter des avions de nouvelle génération, notamment NEO et MAX, si le prix du baril de pétrole s’effondre lamentablement pour se stabiliser à 40 dollars à l’horizon 2018 ? D’où cela vient-il ? Plus question non plus d’agiter le chiffon rouge du pic pétrolier, menace absolue, les réserves pétrolières prouvées ne cessant de croître et couvrant au moins le prochain demi-siècle.
Il y a une tout autre manière de créer la panique chez Airbus et Boeing : en s’efforçant de les convaincre que les nouveaux concurrents qui pointent à l’horizon vont faire des dégâts considérables dans leurs carnets de commandes. Passe encore le C.Series de Bombardier mais le Comac C 919 er l’Irkut MS 21 pourraient faire aussi bien que les lignées A320 et 737, à moindre prix, et connaître le succès.
La situation est figée, semble-t-il, pour une raison qui n’en est pas une. Si le duopole décidait d’apporter la contradiction aux oiseaux de mauvais augure, ces derniers risqueraient être crédibilisés du jour au lendemain. Cela dans le cadre d’un gigantesque café du commerce mondial qui n’amuserait personne, médias mis à part.
Peut-être Adam Pilarski espère-t-il secrètement la gloire, pour lui et Avitas. Avec un éclatement de bulle pour fond sonore. Malheureusement pour lui, il va visiblement au-devant d’une sérieuse déception.
Pierre Sparaco - AeroMorning