François Hollande et la constitution.

Publié le 21 mars 2012 par Vindex @BloggActualite
-Michel Debré a joué un rôle essentiel dans l'élaboration de la Constitution de 1958-
Récemment, le candidat Socialiste aux élections Présidentielles de 2012, François Hollande, a proposé deux modifications à forte teneur symbolique de la constitution de la V° République du 4 Octobre 1958, et sur des sujets à forte connotation polémique.Il a en effet proposé en premier lieu, le 22 Janvier 2012, d'améliorer la protection de la Laïcité dans la constitution en inscrivant dans celle-ci "La loi de 1905 séparant les Eglises de l'Etat".Il a ensuite fait l'annonce qu'il proposerait la suppression du mot "race" de l'article Premier de la Constitution de 1958, en date du 10 Mars 2012.Je vais essayer dans cet article de vous résumer les implications juridiques et politiques de telles propositions, qui semblent tenir à coeur Monsieur Hollande, bien que leur enjeux ne semble pas au premier abord d'une capitale importance, surtout la seconde proposition à mes yeux, qui ressemblait davantage à une annonce démagogique circonstanciée (le candidat faisait alors un discours devant le rassemblement des ultra-marins).La proposition sur la LaïcitéAvant toute chose, rappelons ce que signifie le terme de « laïcité »

Son origine étymologique provient du terme grec « laos », signifiant « peuple » par opposition au terme « klerikos » qui désignait les « clercs ». Ce terme participe donc de la distinction entre société civile et pouvoir religieux. Suite à la sécularisation du pouvoir religieux, l'on a tendu à considérer le religieux comme étranger au fait politique et aux préceptes qui doivent en diriger l'action et la gestion.

Cette laïcité dite « de combat », très en vogue vers la fin du XIX° siècle en France et mise en avant par les républicains et les radicaux, a conduit principalement à la Loi du 9 Décembre 1905 relative à la séparation des Églises et de l'État, qui fait l'objet de la proposition de François Hollande.

Quelques précisions sur la laïcité

Si la proposition du candidat socialiste apparaît inutile aux yeux du plus grand nombre (l'article premier de la constitution disposant effectivement que la République française est laïque), il convient de rétablir la vérité et d'apporter un certain crédit à la proposition, non forcément sur le fond mais à tout le moins sur l'utilité, qui est en droit bien réelle.

Et pour cause, le principe constitutionnel de laïcité n'apparaît qu'avec la IV° République : « L'organisation de l'enseignement public et laïque à tous les degrés et un devoir de l'État » (article 13 du Préambule de la Constitution du 27 Octobre 1946), repris ensuite de façon plus générale en 1958 dès le premier article du texte même de la constitution.

Il faut ainsi distinguer la portée juridique de la laïcité constitutionnellement garantie de son précédent législatif au contenu plus précis et différent (interprétation confirmée par Maurice Barbier, Maître de Conférence en Sciences Politiques).

Peu définie à l'origine, la laïcité constitutionnelle apparaît actuellement, au regard des décisions du conseil constitutionnel et du Conseil d'Etat en la matière, comme une application religieuse de la neutralité de l'État : « le principe constitutionnel de laïcité qui s'applique en Polynésie française et implique neutralité de l'Etat et des collectivités territoriales de la République et traitement égal des différents cultes » (Conseil d'Etat, 16 Mars 2005, Ministre de l'Outre-Mer) ; les dispositions constitutionnelles sur la laïcité « interdisent à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s'affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers » (Conseil constitutionnel, DC 19 novembre 2004, Traité établissant une Constitution pour l'Europe) ce qui rappelle le principe de neutralité (lié ici à la religion donc à la laïcité).

C'est aussi l'interprétation qu'en a livré la Cour Administrative d'Appel de Lyon dans un arrêt du 27 Novembre 2003, Nadjet Ben Abdallah : « Le principe de laïcité de la République, affirmé par l'article 1er de la Constitution, qui a pour corollaire nécessaire le principe de neutralité des services publics, fait obstacle à ce que les agents publics disposent, dans le cadre du service public, du droit de manifester leurs croyances religieuses ; ».

Ainsi donc, faut-il différencier la laïcité constitutionnelle, qui est une laïcité-neutralité, tandis que la laïcité législative est une laïcité-séparation, dont le but est l'absence de tout financement des cultes religieux par l'État (sous réserve de certaines exceptions, soit matérielles, relatives à l'ordre public, soit territoriale, relative à la situation concordataire en Alsace-Moselle).

Alors que cette laïcité législative empêche théoriquement le financement des cultes par l'État, la laïcité constitutionnelle n'empêche pas semblable phénomène, par exemple pour les subventions à l'enseignement confessionnel (Conseil Constitutionnel, 23 Novembre 1977, ce principe « ne saurait exclure l'existence de l'enseignement privé, non plus que l'octroi d'une aide de l'Etat à cet enseignement dans des conditions définies par la loi »).

La proposition de François Hollande n'est donc pas incohérente loin s'en faut, car cela reviendrait à faire du principe légal de laïcité un principe à valeur constitutionnelle, lequel serait alors doté d'un volet « neutralité » et d'un volet « séparation », renforçant la valeur de ce principe et interdisant de façon plus rigoureuse tout financement des cultes par l'État, quelle qu'en soit la forme.

Critique

Il faut en premier lieu préciser que le point 46 de son programme précise qu'il ne touchera pas à la spécificité réservée en la matière à l'Alsace-Moselle, ce qui reste une entorse non-négligeable à la laïcité pour quelqu'un se disant « viscéralement attaché à la Laïcité ».

Ensuite, il apparaît évident que la déclaration de faire inscrire la loi de 1905 dans la constitution est abusive, du fait que l'intégralité de cette loi (44 articles tout de même) n'a tout simplement pas vocation à y être intégrée, ne retenant ainsi que le principe de non-subvention des cultes du titre premier de la Loi.

Précisons au surplus qu'une telle constitutionnalisation aurait pour effet d'interdire à l'avenir tout financement direct ou indirect de bâtiments dédiés aux cultes, plus spécifiquement les mosquées (le besoin se faisant effectivement ressentir depuis quelques années) dont l'initiative était la plupart du temps prise par des élus socialistes (bien que pour ma part il ne semble pas que cela ressorte du rôle de l'État, mais il faut bien relever les contradictions).

Enfin il convient de rappeler que cela causerait également du soucis en terme de financement des écoles confessionnelles.

En effet, la constitutionnalisation de la laïcité-séparation entraînerait une impossibilité de ce type de financement, qui a pourtant tout son sens : les cultes participant en effet au service public d'enseignement (lorsqu'ils sont sous-contrat avec l'État), ils doivent bénéficier d'aides publiques, et le fait qu'une place leur soit accordée dans le paysage d'instruction publique français est essentiel à la pluralité de l'enseignement, qui me semble être un corollaire nécessaire de la liberté de conscience.

Effectivement, les « services d'aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons » mentionnés à l'article 2 de la Loi ne semblent pas désigner dans leur ensemble les établissements privés d'enseignement confessionnel.

La laïcité en France, actuellement mais de par son origine historique en vérité, a trop tendance d'après moi à n'être qu'un anti-cléricalisme déguisé (quelle que soit la religion ciblée), n'étant pas garante d'une ouverture d'esprit suffisante sur le phénomène religieux, mais surtout (et cela est plus grave) tendant à rejeter une partie même de notre histoire, notre patrimoine, notre identité, dont la religion catholique reste une composante essentielle.

À titre personnel, une religion d'Etat (le catholicisme), couplée à une totale tolérance en terme de liberté de conscience (impliquant donc liberté de culte pour toute autre religion), dans le respect des règles de l'ordre public (dont une bonne part sont contenues dans la Loi de 1905 : interdiction du prosélytisme, pratique du culte dans les endroits spéciaux) et dans un certain soucis d'équité (et non d'égalité) entre religions me semble être une solution satisfaisante et équilibrée.

Mais j'idéalise.

La proposition sur le mot Race

La teneur de cette proposition semble plus polémique que la première, sa visée bien plus électoraliste et son contenu plus symbolique encore (la première ayant tout de même bon nombre d'implications juridiques importantes).

Il convient de préciser que, contrairement à ce que titre injustement 20minutes.fr , le candidat favori ne supprimera pas le mot race de la constitution, puisqu'il n'en a pas le pouvoir : bien que le président de la République dispose du pouvoir d'initiative de la révision de la constitution, la décision ne lui revient pas : seul le parlement réuni en congrès (par la majorité qualifiée des 3/5 des suffrages exprimés) ou le peuple par référendum (par la majorité simple) peut approuver la modification (le tout en application de l'article 89 de la constitution).

Critique juridique

Le but est donc de supprimer le mot « race » de l'article Premier de la constitution (décidément très visé) tel qu'il est ainsi rédigé « La France (…) assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion ».

Tout d'abord, outre le caractère symbolique de la mesure, celui-ci doit encore être relativisé en son sein même, puisque quand bien même le texte constitutionnel de 1958 ne comporterait plus stricto sensu le terme « race », le bloc de constitutionnalité (qui comporte également la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, le préambule de la constitution du 27 Octobre 1946 et la charte de l'environnement de 2004) contiendrait encore à 2 reprises ce concept, aux points 1° et 16° du préambule de la constitution de 1946, pour illustrer l'universalisme des droits de l'homme, l'égalité de droit et la solidarité.

Or il est impossible de modifier cette source de droit constitutionnel, et la supprimer purement et simplement menacerait la valeur constitutionnelle de certains droits ou libertés.

Plus stupide encore, cette suppression, si elle n'est compensée par aucun autre terme se rapprochant de la race, viderait en partie de sa substance le principe d'égalité rappelé par l'article 1, alors qu'il ne me semble pas que ce soit l'objectif de la proposition.

On peut donc dire que l'effet de cette réforme est nul voire négatif.

Critique politique

Sur le plan scientifique, les débats me sont complètement étrangers et je ne suis pas qualifié pour en parler. La communauté scientifique dans sa grande majorité semble réfuter l'existence des races au sens qu'elle accorde à ce mot. Les théories racialistes, établissant la plupart du temps une hiérarchies entre les hommes en fonction de leurs origines, sont rejetées, et pour ma part j'aurais tendance à faire confiance aux spécialistes habilités à en parler.

Cependant, en premier lieu, cette proposition s'attaque à un mot, le connotant, rangeant plus que jamais le mot « race » dans la catégorie des « mots interdits ».

Ce réflexe pavlovien qui consiste à toujours connoter un mot en fonction de l'instrumentalisation dont il a fait l'objet n'est pas rendre hommage à la richesse de notre langue, nécessaire à sa subtilité.

En quelque sorte, rappeler la perversion des mots par l'usage partial dont ils ont fait l'objet et en limiter le sens à cette seule instrumentalisation ne fait que la confirmer (portant un certain crédit à ce que l'on veut pourtant dénoncer), agréant par là même le sens de ce mot au regard du phénomène idéologique que celui-ci à injustement subit : c'est le début de la novlangue, ou le phénomène de changement de sens des mots décrit par Georges Orwell dans sa fiction d'anticipation 1984, à l'origine de l'abêtissement intellectuel de la société civile.

Pourtant, les mots ethnies, types, origines, et autres synonymes ne choquent pas et désignent des réalités relativement proches sans intentions péjoratives aucunes, ce qui prouve bien que le mot race n'est dénigré que parce qu'il fut l'instrument du racisme et non en tant que tel, alors qu'il est pourtant antérieur et non lié de manière déterminante à cette idéologie.

Or, le terme de race ne doit pas être abordé en tant qu'il fut l'instrument d'idéologies diverses, mais simplement en tant qu'agent de communication d'un sens plus ou moins clair aux yeux de tous, à savoir les différences observables principales et récurrentes entre êtres humains pouvant révéler des origines géographiques, ethniques, culturelles diverses (les variétés constantes de notre espèce), que celles-ci soient réelles ou présumées, et qui pour autant (et c'est tout le sens de la disposition constitutionnelle remise en cause) ne peuvent être prises en compte pour justifier une quelconque inégalité de droit entre individus.

Ôter le mot race de la constitution implique sa condamnation en tant que tel, mais son éviction ne signifie pas l'effacement des différences que ce terme se propose non de décrire en leurs spécificités mais d'établir en leur principe. Nier les différences entre groupes humains est à mon sens une erreur qui peut, par négation de la diversité qui en découle, conduire à l'uniformité globalisante et aliénante des individus et à l'annihilation progressive du génie que suscite la rencontre raisonnable de leur altérité propre.

Je pense donc que François Hollande, en faisant cette proposition, se trompe de priorité pour la France, autant pour ce qui concerne la vision de ses problèmes actuels si nombreux et complexes que pour apporter une solution crédible aux problèmes qu'il dénonce par cette proposition (à savoir la lutte contre les discriminations).

Ce pourquoi je ne considère la proposition du candidat socialiste que pour ce qu'elle est : un effet d'annonce, une pirouette rhétorique, dont l'abusif amalgame n'a d'égale que la récupération politique escomptée.

Rémi Decombe.