Au nom du père.

Publié le 21 mars 2012 par Maybachcarter

Au nom du père.

21 mars 2012 · by MayBach Carter Ewing · in les Blablatages

 Comme beaucoup de ceux & celles qui ont grandi dans une métropole africaine, j’ai toujours détesté les départs au village natal des parents. Ca me faisait peur, à cause des grand-mères sorcières mangeuses d’enfants (légendes, je précise), peur à cause de la poussière, peur de l’ennui aussi.

Ceci étant, je me suis rendue dans la “maison de campagne” paternelle il y a 2 jours, une espèce de domaine à mi-chemin entre un mini-hôtel Design et une sorte de ranch (poulailler, lacs, porcherie, plantations), avec le sourire aux lèvres. Mon père d’ailleurs, je n’en ai jamais vraiment parlé publiquement.

Je l’ai déjà maintes fois dit, les parents africains ont cet attachement particulier à la réussite “académique” de leurs enfants. Par académique, j’entends avoir un diplôme d’ingénieur/médecin/avocat, puis décrocher un CDI dans une grosse boîte, puis acheter un appartement, se marier etc… Maintenant que je grandis, je peux comprendre une telle recherche de “sécurité” de leur part. Malheureusement pour les miens, je n’ai pas suivi la voie royale jusqu’au bout, et je leur ai fait comprendre que j’arrêtais mon année scolaire pour pouvoir me donner entièrement à ce qui est désormais, mon activité professionnelle. Je craignais qu’à l’annonce de ma décision, le sang, les larmes et les reproches ne m’étouffent. Et à vrai dire, cela fait des semaines que je m’y préparais psychologiquement. Ce séjour dans la “case” de mon père était en fait une recherche de bénédiction..que j’ai obtenu d’entrée de jeu. Est-ce parce qu’il a été lui-même entrepreneur toute sa vie ? Est-ce parce qu’il me fait confiance ? Est-ce un peu des deux ? Toujours est-il qu’il a été tellement compréhensif qu’à la fin, je me suis demandée si je m’étais mal exprimée ou si mon speech sur mon impossibilité de cumuler école/travail était passé à la trappe. Généralement peu loquace, et relativement avare en compliments (comme ma mère, qui considère que l’on peut toujours faire mieux), j’ai vu mon paternel vanter mon travail auprès des nombreux cousins & cousines du village, non sans fierté. Et eux me répondaient, me tapotant l’épaule, en me félicitant (du moins, j’ai déduit qu’ils me félicitaient puisque je ne comprends rien ou presque à la langue ewondo). Et ça aussi, ça a été un moment fort pour moi, de voir ces cultivatrices d’un certain âge, ces femmes rurales qui (pour certaines) ne sont jamais sorties de leur village, s’extasier devant des compensées Topshop rouges dans le dernier numéro de Fashizblack. C’est dans ces moments que l’on comprend que finalement, la mode, c’est avant tout une question de sensibilité et d’amour de l’esthétisme, peu importe les origines raciales/sociales ou le niveau culturel. Revenons à nos moutons.

Phrase cliché par excellence, mais mon père m’a toujours impressionnée, et je me suis lancée comme défi depuis mes 10 ans, de faire aussi bien voire mieux que lui. Il m’impressionnait parce que je le trouvais un peu sorcier sur les bords. Comment arrivait-il à donner l’exacte année, la texture et le lieu de production d’un vin juste à l’odeur ? Comment arrivait-il à savoir quel concerto (quand, où et comment) de Bach avait été joué à l’opéra de Vienne ? Comment arrivait-il à deviner que tel tableau provenait d’un peintre méconnu du 17ème siècle ? Globalement, l’univers de mon père a toujours été tellement éloigné du mien, tellement compliqué d’accès tant il faut maîtriser certains codes..que je ne pouvais qu’admirer, tout en essayant de lui donner le change lors d’une conversation (c’était peine perdue, mais histoire de sauver la face..). Avec le temps, ça a eu une influence que je considère comme positive, notamment sur mon ouverture d’esprit et ma capacité à passer d’un univers à l’autre, sans trop de difficultés.

C’est surprenant, vu l’image que je me suis toujours faite de lui, de le voir maintenant évoluer dans un cadre où je n’aurais jamais pu imaginer qu’il se sente à l’aise: le village. Quand je dis village, je parle de la brousse en fait. Bon, bien sûr, il a tout fait pour recréer le confort auquel il est habitué, mais ça reste très surprenant de voir à quel point il se plaît dans ce nouvel environnement, situé à 45 minutes de Yaoundé. Pour y arriver, on doit rouler sur 8kms de piste en terre rouge. Le domaine (encore en construction/aménagement) porte le nom d’ “Epka Mvon”, signifiant “Le terrain des épreuves”. C’est là que les ancêtres du clan venaient passer le rite d’initiation qui parachevait leur transition de garçon à homme. Je dois dire que je découvre encore mes racines paternelles, les traditions Ewondo, mon appartenance au clan “Mvog Nkodo” donc mes questions étaient souvent plus proches de celle d’une touriste que d’une enfant du pays, ce qui est somme toute assez normal.

Il y a des rituels auxquels je tiens: les dîners en tête-à-tête avec mon père en font partie. Cette fois-ci, je me suis, sans le vouloir, retrouvée à l’interviewer finalement. Il a toujours appliqué une telle rigueur à cultiver son jardin secret et sa discrétion, que finalement, je n’ai jamais vraiment eu l’occasion d’aller en profondeur (en même temps, je n’en avais peut-être pas la maturité non plus).

 C’est ainsi donc que j’apprends que son premier métier à sa sortie de l’ESSEC fût.. journaliste et éditeur de son propre magazine. Avec son associé et meilleur ami, ils ont fondé dans la deuxième moitié des années 70, une revue économique intitulée “Les sociétés congolaises”. D’après ce qu’il m’a expliqué, le Zaïre de Mobutu Sese Seko était une véritable mine d’or pour tout entrepreneur à l’époque, raison pour laquelle ils se sont installés à Kinshasa (au lieu de Yaoundé) en rentrant de Paris. Malheureusement, pour des problèmes de rivalités entre expatriés camerounais, le magazine n’a tenu que le temps de six numéros…. Vous l’imaginez, j’ai été incroyablement surprise de réaliser que finalement, près de 40 ans plus tard, je suis en train de “marcher dans les traces” de mon père sans l’avoir fait exprès. Reproduction du schéma. Bon, bien sûr, j’espère que Fashizblack tiendra un peu plus de 6 numéros tout de même.

C’est comme cela que je prends conscience de l’importance d’un “modèle” de réussite dans la construction d’une personnalité, qui plus est quand ce modèle est votre père et/ou votre mère. Cela vous conditionne, et par incidence, vous prépare déjà à certains choix de vie dont vous n’avez même pas idée le plus souvent.

Le reste de la soirée, mon père a évoqué son enfance, ce que le milieu des affaires lui a enseigné (et que je devrais savoir), et surtout…ses mémoires. Cela fait plusieurs années qu’en cachette, il écrit un manuscrit sur le Cameroun avant & après l’indépendance (il a connu les deux périodes) qui mêle sociologie, finance, choix politiques et (un peu) vie personnelle. J’ai voulu lui demander de pouvoir jeter un coup d’oeil, mais comme je l’ai précédemment dit, j’ai énormément de respect en ce qui concerne son culte du secret, et de toute façon, je doute qu’il m’aurait laissé consulter son “work in progress”, perfectionniste qu’il est.

Et puis entre deux gorgées de digestif, j’évoque la possibilité (gardons toujours en tête qu’aucun succès n’est définitif) de m’installer à Accra au Ghana si jamais tout ne marche pas à Paris. A nouveau, je pensais qu’il aurait la même réaction que lorsque j’ai voulu aller faie un stage à Lagos. Au contraire. Ayant visité Accra quelques mois auparavant pour un voyage d’affaires, il m’a fait savoir que c’était (comme je le pensais) un lieu plutôt intéressant pour se lancer dans le business des services vu l’émergence (plutôt rapide pour la sous-région) d’une classe moyenne. Autant vous dire que maintenant que j’ai la bénédiction paternelle, je me sens (un peu) pousser des ailes haha. Je suis ravie d’avoir fait le déplacement, voire de m’être autant donnée juste pour cela.

Le lendemain, on a fait la route jusqu’à Douala ensemble, à refaire le monde, parler politique française, bassesse des débats, récupérations idéologiques….. et bien sûr, gibier local ahaha

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