Coupable

Par Luc24

Laetitia Masson est une cinéaste qui n'a jamais connu de succès en salles. Ayant beaucoup aimé tous les films d'elle qu'il m'ait été donné de voir (Pourquoi (pas) le brésil qui redéfinissait les lois de l'adaptation littéraire au cinéma; Love Me un film étrangement lynchien ou encore A Vendre). Son nouveau film, Coupable est sorti sur une combinaison de salles dérisoire et n'a pas eu de critiques dithyrambiques. Mais pourquoi ne pas se laisser tenter ?

La critique  

Entre polar et romances, un film singulier qui marque

Le film s'ouvre bizarrement avec une voix off qui nous parle de l'amour, de la recherche désespérée de l'âme soeur, de notre société conditionnée qui rêve de mariage et vie à deux. Se superposent une sorte de faux documentaire sur un couple brisé, un homme et une femme qui s'était mis ensemble pour des raisons opposées (lui par coup de foudre, elle par dépit). Puis le faux documentaire continue, exposant le personnage de l'inspecteur Louis (Denis Podalydes). Il nous parle d'une femme qu'il a rencontre et qui le hante. Et soudain nous découvrons les protagonistes de ce long-métrage qui dès les premières séquences impose un ton et une ambiance à part. Il y a ce couple bourgeois : elle, Blanche (Anne Consigny sous Prozac) est la femme idéale aux robes de princesse. Lui est un homme d'affaires riche mais qui communique peu, ou du moins plus avec elle. Dans leur vaste demeure de conte de fée, l'ambiance est glaciale, résultat de non dits accumulés. Dans leur cuisine travaille Marguerite (Hélène Fillieres, magistrale) , femme discrète qui se plie aux volontés de ses employeurs. Plus loin dans la ville, un autre couple. Lui (Jérémie Renier) est un jeune avocat qui attend l'affaire qui le propulsera vers la gloire et la fortune. Elle (Amira Casar sous un mélange prozac/ecsta) expérimente, cherche à produire un parfum unique qui aurait l'odeur de l'amour. Plongés dans un quotidien fait de silences et de frustrations, ils attendent des jours meilleurs et en attendant se chamaillent. Et puis voilà que le richissime mari de Blanche est retrouvé assassiné. L'inspecteur Louis va mener son enquête, l'avocat va faire en sorte d'être employé par la veuve et la cuisinière Marguerite se désigne de plus en plus comme la coupable idéale. Qui a tué le businessman ? Et si la question et les enjeux ne se trouvaient pas là ?

Coupable n'est pas un film tout public, c'est une évidence. Car la réalisation nous pousse dans un climat étouffant où la douce mélancolie sombre rapidement dans la dépression la plus insupportable. Les plans sont archi léchés et pensés, Laetitia Masson est connue pour se pencher beaucoup sur la forme de ses films, c'est une chercheuse d'images stylisées. Mais il serait bien bête de la blamer pour ça car elle n'en oublie pas le fond. Son nouveau film est brillament écrit et ne manque pas d'humour ni de cynisme. La réalisatrice épingle nos désirs d'amours automatiquement mêlés au désir d'une vie à deux. Mais à quoi bon associer l'amour à une existence forcément commune qui tôt ou tard finira par nous faire basculer dans le silence ou pire l'indifférence ? C'est la peur d'être seul dans un monde où le regard extérieur est une attaque quotidienne. Le personnage de Marguerite , mi femme enfant mi femme fatale, se baladant toujours avec sa malette remplie de couteaux de cuisine, est emblématique du thème du film. Elle veut aimer, ou peut être surtout être aimée. Ainsi elle questionne les hommes autour d'elle : "Et vous , vous auriez pu m'aimer?" Ce personnage singulier sera d'ailleurs au fil du film plongé dans des situations de plus en plus improbables et pathéthiques (l'occasion pour Masson de déployer un humour particulièrement réjouissant).

Coupable ne se résume donc pas à son enquête avec ses blondes hitchcockiennes et fatales , le film offre une variation intelligente et souvent juste sur le thème de l'amour tel qu'on peut le concevoir ou le rêver de nos jours. Tout le long métrage durant règne la frustration, les rendez-vous manqués se succédant pour laisser place à une prison intérieure dont la clé semble bien cachée. Du sexe, on en attend, les corps des acteurs habités semblant bruler de désir. Mais non, tout est en retenue. Et c'est là que trainent ces couteaux , petits objets tranchant prêts à pénétrer la chair de l'être aimé, seul échappatoir à un amour défait, éteint, trop destructeur. Qui de Blanche ou Marguerite est l'assassin ? Le doute se répend mais le suspense n'est pas là. On voudrait juste savoir si tous ces personnages mal aimés finiront par trouver une issue après s'être autorisés à se perdre. Voici un film grave et intelligent, avec de vrais partis pris esthétiques et scénaristiques, une oeuvre à la fois froide et sensible. Au final la scène la plus érotique sera celle d'une danse à deux (et quelle scène de cinéma !). Mélange abouti et réfléchi de polar et de chassé croisés amoureux , Coupable est un film qui laisse une trace.