Toulouse : les nouveaux délits du Président ou du candidat ?

Publié le 23 mars 2012 par Copeau @Contrepoints

Ces trois nouvelles infractions reposent donc sur une improvisation juridique qui d’ailleurs ne saurait prospérer. Ceci nous conduit à envisager l’impensable. L’intervention du Président de la République ne doit-elle pas être requalifiée en discours électoral ?

Par Roseline Letteron.

La mort de Mohamed Merah dans l’assaut final de son appartement suscite une certaine forme de soulagement, puisqu’il est désormais hors d’état de nuire. La compassion est tout entière tournée vers les familles des victimes de ses actes. Dans l’adversité, l’unité nationale est une réalité, même en période électorale, et cette constatation a quelque chose de réconfortant.

À peine une heure après la fin de Mohamed Merah, le Président de la République a pris la parole. Rappelons-le, il s’agissait bien d’une intervention du Président, et non pas du candidat. Elle était d’ailleurs enregistrée à l’Élysée, le costume était gris, la mine grave. Il a présenté aux familles les condoléances « de la nation rassemblée » et remercié ceux qui ont participé aux opérations de recherches et à l’assaut final, y compris le ministère de l’intérieur Claude Guéant.

Son intervention prend ensuite une tout autre tournure, moins présidentielle, et plus électorale. Comme après chaque fait divers tragique, ou presque, il annonce une refonte des textes organisant la lutte contre le terrorisme. Trois réformes sont proposées.

Le délit de « consultation habituelle de sites faisant l’apologie du terrorisme ».

Le Président annonce la création d’un nouveau délit pénal « de consultation habituelle de sites faisant l’apologie du terrorisme ou qui appellent à la haine ou à la violence ». L’idée repose sur une transposition au domaine du terrorisme des dispositions de l’article 227-13 du code pénal, dans sa rédaction issue de la loi du 5 mars 2007. Il punit d’une peine de deux ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende toute personne qui « consulte habituellement » un service de communication au public en ligne mettant à disposition des images de mineurs présentant un caractère pornographique.

Ces dispositions n’ont suscité qu’une seule condamnation, du moins si on en croit Legifrance. Encore cette condamnation a-t-elle encouru la Cassation le 5 janvier 2011, car les juges avaient condamné la personne de manière rétroactive, pour des consultations de sites pédopornographiques intervenues avant l’entrée en vigueur de la loi du 5 mars 2007.

Ce silence jurisprudentiel s’explique peut être par l’incertitude dans le contenu de la norme. À partir de quelle fréquence une consultation devient-elle « habituelle » ? La question n’est pas encore résolue, et elle risque de l’être moins encore moins pour les sites faisant l’apologie du terrorisme. Ces derniers n’intéressent d’ailleurs pas que des sympathisants. Faudra-t-il donc poursuivre les journalistes ou les sociologues qui s’intéressent à l’image que le terrorisme veut donner de lui-même sur internet ?

Le délit de voyage à l’étranger pour y suivre des travaux d’endoctrinement.

Le second délit, plus surprenant, prévoit de punir « tout personne se rendant à l’étranger pour y suivre des travaux d’endoctrinement à des idéologies conduisant au terrorisme ». Là encore, le flou domine car la définition juridique des « travaux d’endoctrinement » risque d’être bien délicate. Lorsque le site de l’UMP nous apprend que des jeunes de ce parti ont été invités à Washington par les jeunes du Parti Républicain, peut-on interpréter ce voyage d’études comme des « travaux d’endoctrinement » ? Certes non, car les jeunes de l’UMP, comme leurs homologues du GOP, sont très mignons, très propre-sur-soi, et ne développent aucune « idéologie conduisant au terrorisme ». C’est vrai, sauf que tout est question d’interprétation.

La notion d’ « idéologie conduisant au terrorisme » n’est pas plus claire. Ne risque-t-on pas un jour de considérer que l’Islam, en tant que tel, est une « idéologie conduisant au terrorisme » ? Mettre un doigt dans un tel engrenage juridique risque de conduire tout droit au racisme et à l’intolérance et de nuire à cette politique d’intégration qu’il serait utile de développer, justement pour éviter que d’autres Mohamed Merah se manifestent.

Reste évidemment la question de la preuve. On imagine assez bien le voyageur rentrant d’Afghanistan et remplissant une des ces petites fiches que les hôtesses distribuent dans l’avion afin de fluidifier les formalités de police. Mettez une croix dans la case correspondante : « Avez vous suivi un endoctrinement à des idéologies conduisant au terrorisme ». Nul doute que ceux qui sortent tout droit des camps d’entrainement des zones tribales répondront « oui »…

L'Assaut. Julien Leclercq. 2011. Le GIGN en action

Le délit de propagation d’apologie d’idéologie extrémiste

Le dernier délit proposé par le Président Sarkozy, celui de « propagation ou d’apologie d’idéologie extrémiste », se heurte aux mêmes problèmes. Il s’inspire évidemment de la loi Gayssot qui interdit de diffuser toute idéologie négationniste, mais le négationnisme se définit aisément dès lors qu’il ne vise que la Shoah, elle même reconnue comme génocide par les Accords de Londres et les décisions de Nüremberg.

Comment en revanche doit-on définir l’ « idéologie extrémiste » ? Va-t-on poursuivre monsieur Poutou qui rêve du « Grand Soir », ou ces catholiques intégristes qui s’enchainent aux blocs opératoires pour protester contre l’IVG ? La qualification d’  »idéologie extrémiste » est, en soi, idéologique, et elle ne peut donc justifier une atteinte aussi importante à la liberté d’expression. L’impossibilité de définir cette notion d’idéologie extrémiste est donc certainement constitutive d’une atteinte au principe de clarté et de lisibilité de la loi défini par le Conseil constitutionnel.

Le Président de la République devrait peut être se souvenir que, très récemment, le Conseil constitutionnel lui a infligé un véritable camouflet, en déclarant inconstitutionnelle la loi pénalisant la négation du génocide arménien. Dans cette décision du 28 février 2011, le Conseil rappelle que la liberté de communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme (art. 11 de la Déclaration de 1789) et qu’en conséquence, les atteintes qui lui sont portées doivent « être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi ». Dès lors, la constitutionnalité du délit de propagation d’apologie d’idéologie extrémiste est très problématique, car l’interdiction de la liberté d’expression de certains groupements risque d’être jugée disproportionnée, dès lors qu’il s’agit de lutter contre d’hypothétiques menées terroristes.

Improvisation juridique

Ces trois nouvelles infractions reposent donc sur une improvisation juridique qui d’ailleurs ne saurait prospérer. Chacun sait en effet, et ce sont les termes mêmes de l’article 34 de la Constitution, que seul le législateur est compétent pour prendre des mesures portant atteinte à l’exercice des libertés. Or, le législateur est en vacances, ou plus exactement en campagne électorale. Le parlement ne reprendra ses travaux que le 26 juin, après les élections présidentielles et législatives. Le Président Sarkozy ne peut donc ignorer que ces déclarations pourtant lourdement médiatisées n’auront aucune suite concrète.

Ceci nous conduit à envisager l’impensable. L’intervention du Président de la République ne doit-elle pas être requalifiée en discours électoral ?


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