Montréal-Shanghaï

Publié le 23 mars 2012 par Toulouseweb
L’alliance Bombardier-Comac devient réalité.
Annoncé en mars 2011 dans une relative indifférence, l’accord Bombardier-Comac a été signé cette semaine, conduisant les biréacteurs C.Series, d’une part, Comac C919, d’autre part, de tisser des liens techniques étroits. Les deux biréacteurs, directement complémentaires sur le plan de la capacité, partageront le même cockpit, les mêmes circuits électriques, des alliages aluminium-lithium et certains aspects du support après-vente assuré par des équipes canadiennes et chinoises.
Cette alliance, qualifiée modestement de simple «entente», à peine qualifiée de «stratégique» sans l’emphase qu’on aurait pu attendre, est tout à la fois inattendue, logique et à l’origine d’une grande perplexité. On comprend qu’elle soit justifiée par la recherche de synergies purement techniques, source d’économies importantes mais, dans le même temps, elle risque d’hypothéquer au moins en partie l’avenir de chacun des deux partenaires.
On ne connaît pas l’importance de l’investissement des Chinois dans le développement du C919, mais il ne peut être que considérable, probablement de l’ordre de 10 milliards de dollars. Il s’agit en effet de créer de toutes pièces le concurrent direct des Airbus A320 NEO et Boeing 737 MAX, une opération de très grande ampleur qui engage l’avenir à long terme. Et l’on devine déjà que le C919 sera suivi, plus tard, par un long-courrier gros porteur. Dès lors, on a du mal à comprendre que Comac cherche à réduire quelque peu son investissement initial en partageant une partie des études avec Bombardier. Et sans que l’on comprenne si l’opération profitera davantage aux Chinois qu’aux Canadiens. A première vue, ce serait plutôt le contraire. Le jeu en vaut-il la chandelle ?
Anticipant la suite des événements, Christian Scherer, directeur de la stratégie et des programmes futurs d’Airbus, vient précisément de s’en ouvrir à notre confrère Bruno Lancesseur, directeur de la publication professionnelle «AeroDefenseNews». Les nouveaux venus, dit Christian Scherer, ne veulent plus dépendre de fournisseurs qui se situent dans d’autres zones géopolitiques. Mais, souligne-t-il, «Bombardier est isolé et relativement exposé en ayant investi massivement dans le C.Series alors que l’ensemble de ses concurrents l’ont fait avec une évolution d’un module existant qui coûte une fraction de ce que coûte un programme complet nouveau». Christian Scherer ajoute que «les nouveaux prétendants ont commis une erreur fondamentale, celle de ne rien amener de nouveau au marché».
Voilà une opinion qui ne laisse guère de place à la discussion, sachant que, dans le même temps, un affrontement très violent a débuté sur le créneau des biréacteurs régionaux à 100 places, du Sukhoi Superjet au Mitsubishi MRJ en passant par les E-Jet d’Embraer ou encore les nouveaux alliés que sont Bombardier et Comac qui s’affronte dans le même temps avec les CRJ et ARJ21. Y aura-t-il plus d’appelés que d’élus ? Pour l’instant, les commandes restent plutôt rares, encore qu’il faille patienter jusqu’au moment où la crise ne sera plus qu’un mauvais souvenir conjoncturel. A supposer que ce moment devienne bel et bien réalité, ce qui n’est toujours pas certain.
Pierre Beaudoin, président de la direction de Bombardier, qui utilise un vocabulaire typiquement nord-américain, parle de «maximiser les économies de coûts et les parts de marché des deux parties». Son homologue chinois, Jin Zhuanglong, va plus loin et, regardant d’ores et déjà au-delà des C919 et C.Series, prédit le meilleur aux activités globales des deux entreprises. Ce sont là des propos de circonstances mais on doute qu’ils suscitent des insomnies chez Airbus et Boeing. Et, de toute manière, pour connaître le dénouement, il faudra faire preuve de beaucoup de patience.
Pierre Sparaco - AeroMorning