L’amour au lance-flamme

Par Borokoff

A propos de Bellflower de et avec Evan Glodell 3 out of 5 stars

A Ventura, dans la banlieue de Los Angeles, Woodrow (Evan Glodell) et Aiden (Tyler Dawson), deux potes américains un peu paumés et proches de la trentaine ne vivent que pour leur passion : le bricolage. Vivant dans leur bulle et une mythologie qu’ils se sont créées à partir du film Mad Max, ils sont tout proches de mettre au point un lance-flammes mais rêvent secrètement d’un projet encore plus fou : équiper une vieille Buick Skylark de 1972 noir mat de pots d’échappements capables de cracher du feu. Mais la romance de Woodrow avec une fille rencontrée dans un bar complique leurs projets et éloigne les deux hommes…

C’est un drôle de film que Bellflower, premier long métrage d’Evan Glodell qui en est aussi le scénariste, l’un des producteurs et l’acteur principal. Un drôle de film déjà par son histoire et sa trajectoire : un tournage fleuve entrepris à l’été 2008 et qui s’est terminé deux ans plus tard, après que la Medusa (la voiture du film) ait explosé et qu’il fallut retrouver des fonds pour boucler le projet.

Bellflower a été tourné pour un budget d’un peu plus de 17 000 dollars par un jeune homme qui, ayant vu les portes d’Hollywood se fermer une à une, décida de faire son film lui-même jusqu’à prendre la liberté de bidouiller les objectifs pivotants « Tilt » and « shift » de sa caméra pour en obtenir la profondeur de champ qu’il désirait à chaque prise.

Il y a plusieurs films dans Bellflower, fausse histoire de bagnoles à la Tarantino ou à la Rodriguez mais prétexte à raconter une romance et une amitié infaillible entre deux marginaux qui ne réalisent pas vraiment qu’ils vivent dans leur monde et coupés de la société. Jusqu’au jour où l’un deux tombe amoureux, « brisant » en quelque sorte le pacte qu’ils avaient scellé.

A travers Milly, Woodrow découvre la réalité physique du monde et d’une femme qui le fera redescendre de sa tour en même temps que chuter de son piédestal.

Dans la première moitié du film, la manière dont Bellflower a été conçu (très peu de moyens financiers), les histoires d’amour croisées ou d’amitié gentiment régressive qu’il raconte évoquent un projet comme Donoma de Djinn Carrénard. Dans cette première partie, Bellflower semble très influencé par l’esthétique publicitaire et la mode (vêtements, coupes de cheveux, etc…) jusque dans le choix de ses compositions.

Et puis, peu à peu, on glisse vers tout autre chose. Après la rupture violente de Woodrow avec Milly (elle l’a fait cocu), tout change. L’intrigue, jusque-là assez linéaire (on suivait presque en temps réel cette bande de potes) s’agrémente de flashs-back, de souvenirs de Woodrow avec Milly qui le hantent.

Evan Glodell

La narration se tord, le temps et l’action se brouillent, se confondent. Woodrow ne sait plus lui-même quand s’est passé telle scène, lui qui boit et fume de plus en plus. Et le film rentre alors dans une romance de plus en plus sombre et torturée pour ne pas dire apocalyptique. On pense à Blue Valentine.

Mais Bellflower pousse encore plus loin sa recherche esthétique et son côté à la fois onirique, torturé et poétique. Plus le film avance, et plus sa trame narrative classique explose. La frontière entre le rêve et la réalité s’amenuise (y compris pour le spectateur), la différence entre le monde qui entoure Woodrow et la projection terrifiante qu’il en fait devient infime, insaisissable, imperceptible. On est dans une vision onirique (enfer du subconscient) à la Lynch. Au spectateur d’interpréter ce qui est réel et ce qui est de l’ordre des cauchemars de Woodrow, de ses hallucinations et de ses fantasmes.

Les séquelles qu’ont laissé sur lui sa séparation avec Milly le déconnectent de plus en plus de la réalité comme la quantité de bière qu’il consomme. Woodrow se trouve devant un mur infranchissable qui est sa propre impuissance à se remettre en question, lui qui a toujours vécu dans un monde à moitié fictif et peuplé de super-héros légendaires.

Woodrow est un romantique et si Evan Glodell n’a pas hésité à glisser de son histoire personnelle et d’une rupture amoureuse particulièrement douloureuse qu’il connut dans sa propre vie, cette part d’auto-fiction ajoute à la confusion des sens qu’éprouve le spectateur. Dommage que la volupté mêlée de violence qu’éprouve le spectateur tout comme Woodrow (on pense à Crash de Cronenberg) n’atteigne un sommet de « trash » un peu kitsch à la fin.

Car jusque-là, on était persuadés d’avoir devant nous non seulement un travail très personnel et intime mais une expérience visuelle, plastique et sonore stimulante. Comme le cinéma nous en offre peu…

http://www.youtube.com/watch?v=NEN_GtHO9lg

Film américain de de et avec Evan Glodell, avec Jessie Wiseman, Tyler Dawson (01 h 46).

Scénario d’Evan Glodell : 3 out of 5 stars

Mise en scène : 3 out of 5 stars

Acteurs : 3 out of 5 stars

Dialogues : 3 out of 5 stars

Compsoitons : 3 out of 5 stars