Salle 5 - vitrine 4 ² : les peintures du mastaba de metchetchi - 30. de la "pancarte"

Publié le 24 mars 2012 par Rl1948

   Lire les glorifications du menu d'offrande pour Metchetchi ...

   Vous aurez assurément remarqué, amis lecteurs, ces mots censés être prononcés par les prêtres-lecteurs défilant sur deux fragments (E 25517 et E 25518), indiqués à la fois sur le bandeau horizontal de hiéroglyphes qui surmonte la scène et en colonnes verticales devant chacun de ces officiants que nous avons rencontrés mardi, lors de notre précédent entretien.

   Permettez-moi de profiter de l'opportunité que cette indication me donne pour, ce samedi matin, évoquer avec vous le dit "menu" que, souvent, les égyptologues définissent aussi sous l'appellation de "pancarte".

 

   Bien qu'estimant le second terme fort vague et finalement peu approprié, je trouve intéressant ce doublon sémantique car il définit à mon sens deux éléménts distincts : personnellement, j'aurais tendance à qualifier de "menu" la liste des seules denrées représentées souvent au-dessus (ou en dessous) de la table d'offrandes devant laquelle est assis le propriétaire de la tombe et de "pancarte" - faute de terme plus précis - celle qui établit l'inventaire de toutes les offrandes : alimentaires, évidemment, mais aussi les étoffes, le mobilier, les vases d'onguents, etc., sans oublier quelques injonctions adressées au propriétaire de la tombe.

   De sorte qu'en fonction de cette distinction, devant nous, ici dans la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, sur le morceau de mouna peint (E 25543) de 35 cm de haut et 46 de long exposé dans la seconde moitié de la vitrine 4 ², ce serait plutôt d'une "pancarte" d'inventaire qu'à mon sens il s'agirait.


   

   Très ancienne puisqu'on trouvait déjà parties de ces énumérations gravées sur des stèles d'époque thinite, dans le programme figuratif des mastabas memphites d'Ancien Empire, cette liste prenait généralement place entre les cérémonies rituelles marquées, notamment, par la présence d'un officiant versant l'eau de la libation consacrant les offrandes, ainsi que celle des prêtres-lecteurs récitant (ou lisant) les paroles de glorification - ce qui est ici le cas -, et la scène du repas funéraire proprement dite.

   Si donc nous avons croisé les premiers voici seulement quelques jours, pour sa part, la représentation peinte de Metchetchi éventuellement assis devant sa table de victuailles ne nous est pas parvenue parmi la quarantaine de fragments.

   Qu'à cela ne tienne, vous l'avez déjà rencontrée : souvenez-vous, lors du tout premier rendez-vous que, voici un an, le 15 mars 2011 très exactement, j'avais consacré à ce dignitaire aulique, vous pouviez en effet remarquer ce tableau gravé sur la stèle fausse-porte détenue par le Metropolitan Museum de New York.

   Pour l'heure, il suffira de simplement vous retourner un instant vers la vitrine 5 derrière nous puisqu'elle propose semblable scène provenant du mastaba D 20 d'un autre haut-fonctionnaire royal de la même époque, un certain Tepemânkh (E 25408).

   Revenons à Metchetchi, voulez-vous ?  Sur cette "pancarte" dont j'ai estimé judicieux de ne photographier que la partie centrale, la mieux conservée, la plus lisible, ne subsistent aujourd'hui que 38 petites colonnes s'étirant sur deux registres superposés et notifiant chacune le nom d'un produit : une diversité de pains véritablement confondante (une quinzaine !), des gâteaux également de multiples sortes, quelques catégories de fruits, dont caroubes et jujubes, diverses céréales et trois types de vin ... ; le tout inscrit en hiéroglyphes colorés suivis du déterminatif d'un homme agenouillé, doigts de pieds pointant sur le sol qui, dans la majorité des cas, tend un vase à bout de bras. Et en dessous, une case dans laquelle est chiffrée la ration prévue pour chacune de ces denrées alimentaires.

   Sachant que, dès la Vème dynastie, fut fixée une liste canonique du rituel de l'offrande comprenant, répertoriés toujours dans le même ordre, répartis en quelque 90 items, rites à exécuter et produits de bouche qu'à sa meilleure convenance le trépassé pouvait déguster, énumération que l'égyptologue allemand Winfried Barta a minutieusement étudiée, l'on peut, sans trop conjecturer, établir que chez Metchetchi manquent les 26 premières colonnes, à gauche, sur la hauteur des deux registres, soit qu'elles n'aient pas été arrachées jadis par les pillards à la paroi du tombeau dont, je vous le rappelle, aucune équipe de fouilles n'a, jusqu'à présent, retrouvé traces sur le plateau de Guizeh, soit qu'elles aient été vendues et disséminées dans diverses collections particulières. 

   En d'autres termes, pour nous arriver complète, la "pancarte" de Metchetchi eût dû se composer d'une cinquantaine de colonnes supplémentaires : celles du registre supérieur étant les premières de l'ensemble, celles du registre inférieur nommant essentiellement les types de viande et de volaille.  

   Soyez évidemment conscients, amis lecteurs, que ce gargantuesque festin des scènes du repas funéraire que vous ne manquerez pas de rencontrer dans vos visites de mastabas - in situ ou dans les musées - ne rendent nullement compte des repas réels pris par les Égyptiens de l'Antiquité, fussent-ils notables : ce ne sont, d'une part, qu'images à valeur performative de ce que souhaite bénéficier tout défunt au cours de sa seconde vie et, d'autre part, que manière d'exprimer un des aspects du système relationnel établi entre lui et les membres vivants de sa famille, voire ses amis, tous censés, à certaines périodes déterminées, lui déposer sur la table d'offrande au pied de la stèle fausse-porte de quoi subsister dans l'Au-delà.

     Qu'elle se lise de droite vers la gauche, ou dans le sens inverse ; qu'elle se présente en colonnes verticales - à l'instar de celle de Metchetchi -, ou en cases carrées comme chez Tepemânkh ; que peinte ou gravée, elle figure soit sur un des murs d'une chapelle funéraire, sur une des parois de cercueils tels ceux retrouvés dans la nécropole de Sedment en 1992 et 1993 ou sur un des panneaux d'une stèle tryptique comme celle de Ky et de son épouse Zatchedabed (E 14184), cette imposante nomenclature du rituel de l'offrande qui put connaître quelques variations d'une dynastie à une autre à la fin de l'Ancien Empire et à la Première Période intermédiaire présente néanmoins pour chacune de ces époques un catalogue type, constituant ainsi un critère de datation précis pour tout nouveau monument mis au jour.

     Loin de moi l'envie, au terme de notre présente discussion, de vous réciter l'intégralité des produits mentionnés et des actions à accomplir proposées pour chacune de ces listes canoniques : fastidieux et tautologique, l'exercice n'aurait aucun intérêt !

     En revanche, et uniquement à titre d'exemple, accordez-moi quelques instants encore pour rapidement synthétiser la "pancarte" gravée en relief dans le creux sur le panneau gauche de la stèle-chapelle de Ky et de son épouse que je viens ci-avant de citer.

   Les 17 premiers énoncés se réfèrent aux rites préparatoires : ceux de purification, (verser l'eau, lit-on d'emblée), d'encensement (à deux reprises : brûler l'encens), d'onction (avec les sept huiles rituelles que nous rencontrerons la semaine prochaine), de maquillage (un sachet de fard vert, un de fard noir), d'habillement de la momie (2 bandes d'étoffe), de préparation de la table des offrandes alimentaires ; puis viennent les deux mentions stipulant les dons en provenance du palais.

   Les colonnes 18 à 25 concernent le premier repas, le petit déjeuner : invitation est faite au défunt de s'installer à sa table (Assis !, lui est-il péremptoirement enjoint) sur laquelle plusieurs variétés de pains lui sont octroyées, accompagnés qu'ils sont de deux vases de bières différentes

(Pain et bière, je vous rappelle, qui constituent les premiers ingrédients nommés dans la traditionnelle formule d'offrandes.)

   Les propositions suivantes, de 26 à 87, fondent véritablement le principal de l'alimentation post mortem : elles comprennent l'énumération absolument époustouflante que j'épinglais tout à l'heure chez Metchetchi d'une quinzaine de pains différents précédant les pièces de viande et de volaille (épaule de boeuf, cuisse de boeuf, rognon, côte de boeuf, foie, rate, poitrineoie cendrée, oie rieuse, canard pilet, sarcelle d'hiver, pigeon). Viennent ensuite différents types de gâteaux (au moins quatre), de bières (quatre également) et d'autres boissons (non précisées), de vins (cinq sortes), de céréales, grillées ou non, (orge blanche, orge verte) et de fruits.

   Vous noterez toutefois que cette longue liste de vivres ne mentionne bizarrement qu'un seul légume - l'oignon -, alors que plusieurs sources font état de différentes sortes, notamment les tables d'offrandes figurées sur les parois des mastabas qui en regorgent et que, par parenthèse, l'on ne parvient pas toujours à bien déterminer ! 

   Et cette "pancarte" de se terminer par quelques formulations assez générales, vagues à souhait (88 à 90) : toutes les bonnes choses ; toutes les friandises ; toutes les offrandes du Nouvel An ...

   Loisible à vous maintenant, amis lecteurs, de monter au premier étage ci-dessus, en salle 22, et d'ainsi découvrir cette stèle-chapelle dans la galerie d'étude n° 1, au tout début de la première vitrine de droite ...         

 

   (Grand merci à la conceptrice du blog Louvreboîte pour l'amabilité avec laquelle, en prenant du monument ce cliché parmi d'autres, elle a remarquablement et rapidement répondu à mon attente.)

(Abdel Fatah/Bickel : 2000, 1-36 ;  Barta : 1963, 8-9 et 47-9 ; Van de Walle : 1978, 37-44 ; Ziegler : 1990, 131-2 et 244-52)