Voir rouge

Par Pierre-Léon Lalonde
Quelle belle marée rouge sur la ville la semaine dernière! Quand on a un minimum de conscience sociale, on ne peut faire autrement qu'être remué par ce mouvement étudiant. Moi qui habituellement ne cherche pas la confrontation dans mon taxi, me voilà en train d'argumenter avec ceux qui ne sont pas d'accord avec ces manifestations.
D'abord, quelques chauffeurs au garage qui ne voient que les entraves de circulation. Déjà qu'ils auront du mal a envoyer leurs propres enfants à l'Université avec leur salaire de crève-faim. Eux, comme bien d'autres ne voient pas plus loin que leurs petits intérêts du moment! En même temps, c'est difficile de voir à long terme quand les fins de mois arrivent aussi vites.
Je présume que les chauffeurs de taxi en général doivent se plaindre du trafic engendré par ces intempestives marches, car d'emblée, certains passagers entament leurs conversations sur ce sujet.
— Bah! Personnellement ça me dérange pas, ça me fait faire des détours... Par où voulez-vous passer déjà?
Évidemment, je déconne un peu. Ce n'est pas parce que je ne suis pas d'accord avec leurs visions des choses que je fais moins mal mon travail. En plus, j'aime bien entendre leurs arguments. Comme cette dame de qui a trouvé bien terrible de voir à la télévision ces méchants étudiants s'en prendre à la police (sic) ou ce jeune torontois qui me demandait pourquoi j'étais pour ce mouvement?
— Ben tu ne trouves pas qu'on paye déjà assez de taxes ici au Québec?
On s'est rapidement mis d'accord...
Et puis cet autre qui voudrait que l'armée intervienne pour les faire rentrer dans le rang.
— Cibole man! On n’est pas en Syrie! À ce que je sache, on a encore le droit de manifester, on est en démocratie!
Heureusement, j'embarque aussi quelques d'étudiants qui ont participé à cette grande marche. (Rassurez-vous, M. Martineau, Gendron et compagnie... ils se mettent souvent à plusieurs pour partager les coûts...) Quelle joie de voir leur fébrilité, leur énergie et leur volonté de vraiment changer les choses.
Un d'eux me demande :
— Mais vous, Monsieur le taxi? Pourquoi êtes-vous pour la grève?
— Pour tout dire, si je fais du taxi aujourd'hui c'est en bonne partie à cause du gouvernement Bourassa qui a dégelé les frais universitaires en 89. À l'époque, je ne voulais pas m'endetter et j'ai décidé de prendre une pause pour réfléchir. Comme tu vois, la réflexion se poursuit toujours. Si le mouvement étudiant avait été aussi fort à l'époque qu'il l'est aujourd'hui, je ne serais probablement pas ici pour te jaser. En tous cas j'espère que vous allez faire plier Charest! Faut pas lâcher!
Quand il a débarqué du taxi, il a détaché son petit carré rouge de sa veste et il me l'a donné.